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Au procès de Rokhaya Diallo, accusations de racisme et rires sur Charlie Hebdo

L'élue PS, Frédérique Calandra, poursuit l'activiste et ses amies féministes pour diffamation


Au procès de Rokhaya Diallo, accusations de racisme et rires sur Charlie Hebdo
Rokhaya Diallo, février 2018. SIPA. 00846812_000034

Pour prendre le pouls des débats et des polémiques qui agitent notre société, rien de tel qu’un après-midi à écouter les audiences de la 17e chambre du tribunal de Paris, spécialisée dans les affaires de presse. Le 19 juin dernier, le zoom était braqué sur les fractures de la gauche et du féminisme français. Des fractures profondes avec pour toile de fond un arrondissement populaire, des informations erronées et un contexte qui appartient désormais à notre mémoire collective : celui des attentats de janvier 2015.

« Pour la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo »

Tout commence quelques semaines après ces drames qui ont ensanglanté Paris et fait descendre dans les rues quatre millions de personnes en état de choc, venues rappeler leur attachement à la liberté d’expression et aux valeurs républicaines. Fin février 2015, Frédérique Calandra, maire PS du XXe arrondissement de Paris, apprend que son adjointe Emmanuelle Rivier (EELV) chargée de l’Egalité hommes-femmes, a organisé sans son consentement, pour la journée des droits des femmes du 8 mars, une projection-débat autour de la sociologue Christine Delphy. Lorsqu’elle découvre que la très médiatique Rokhaya Diallo participe à l’événement, Frédérique Calandra s’alarme. Non seulement Rokhaya Diallo a signé la tribune « Pour la liberté d’expression, contre le soutien à Charlie Hebdo » au lendemain de l’incendie criminel du journal en 2011, mais elle conteste aussi la loi de 2004 sur les signes religieux ostentatoires à l’école. Une amie signale à Frédérique Calandra le profil des autres intervenantes : féministes intersectionnelles et différentialistes, elles ont aussi signé la tribune de 2011 « contre le soutien à Charlie Hebdo ».

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A la barre, Frédérique Calandra rappelle que, porte de Vincennes, elle a attendu de connaître, avec Anne Hidalgo, le nombre des victimes de l’attentat de l’Hyper Cacher, situé dans son arrondissement. Et qu’elle a « beaucoup fréquenté » le Père Lachaise pour les obsèques des morts des attentats. C’est donc dans ce contexte dramatique qu’elle décide d’annuler la projection-débat. Elle justifie sa décision : elle n’a jamais validé l’événement de son adjointe, ce qui est pourtant la procédure habituelle, il ne reflète pas les valeurs féministes sur lesquelles elle a été élue : Frédérique Calandra se présente en effet comme une féministe universaliste, attachée à la laïcité et à la loi de 2004.

Six femmes et une diffamation

Emmanuelle Rivier menace alors de déclencher une tempête médiatique. Elle a lieu. Dans deux textes relayés sur le web et les réseaux sociaux, la maire du XXe arrondissement est suspectée de censure et de racisme : le texte de Sylvie Tissot professeur de sciences politiques à l’université de Paris VIII, sur le site de son collectif « Les mots sont importants », insinue que la décision de censurer Rokhaya Diallo est liée au fait qu’elle est noire et musulmane. Le texte du collectif « 8 mars pour tou.te.s » renchérit et évoque un climat raciste et xénophobe : dans le XXe arrondissement de Frédérique Calandra, les Roms subiraient un harcèlement policier et il serait interdit aux employés de la mairie de parler arabe.

La projection-débat a été reprogrammée dans le XXe arrondissement, mais pas sous les auspices de la mairie. Aujourd’hui, Frédérique Calandra reconnaît que si un débat contradictoire avec des féministes universalistes avait été proposé, elle aurait réfléchi avant d’annuler.

Trois ans et quatre mois après ce 8 mars 2015, à la suite de la plainte pour diffamation déposée par la maire du XXe arrondissement, six femmes dont Rokhaya Diallo et Sylvie Tissot, comparaissaient donc devant la 17e Chambre. Rokhaya Diallo pour la diffusion d’un des textes sur les réseaux sociaux, les cinq autres pour être les autrices (sic) de ces textes.

Biffins du monde

Lors de l’audience, Frédérique Calandra est revenue sur l’interdiction au personnel de sa mairie de parler arabe. D’abord, contrairement à ce qu’a relayé la presse à l’époque, la question n’était pas l’arabe mais le créole. Et il a été simplement rappelé au personnel de parler en français avec le public et au sein du travail en équipe. « Dans les couloirs, les employés entre eux parlent la langue qu’ils veulent », conclut Frédérique Calandra.

Concernant le climat xénophobe et « la chasse aux biffins », le procureur, Grégory Weill, questionne une des prévenues, Sarah Bénichou, enseignante contractuelle. Sait-elle qui décide des interventions policières à Paris ? Sarah Bénichou bafouille. Le procureur lui apprend que c’est le préfet de police. Emmanuelle Mallet, artiste plasticienne qui habite le XVIIIe arrondissement, se défend : elle sait très bien ce qu’il se passe dans le XXe, elle « vit dans le monde ». Et toutes se réfèrent à des articles de presse de 20 minutes et de Metronews à propos des Roms et des biffins. Articles qui ont été démentis à l’époque par Frédérique Calandra sur le site de sa mairie…

L’édile va alors expliquer, raconter son arrondissement. Un Paris populaire se dessine. Et une pratique qui remonte à la Commune : la biffe et ses biffins, ces chiffonniers qui fouillent les poubelles pour trouver ce qu’ils vont pouvoir revendre vers la porte de Montreuil. Cette activité illégale, pratiquée par une centaine de personnes, était tolérée par la mairie et les brocanteurs des Puces. Mais en 2009, avec l’installation de campements roms de l’autre côté du périphérique, quand Dominique Voynet (EELV) est devenue maire de Montreuil, le carré des Biffins a grossi et a attiré jusqu’à 4000 vendeurs. Violences, rixes, protestations des riverains et des Puciens excédés, vols… « Mon rôle est de gérer l’espace public », rappelle à la barre Frédérique Calandra. Elle refuse alors la favélisation du quartier et décide en 2011 de lancer une recyclerie. Des emplois sont créés, des familles logées, des enfants scolarisés. Frédérique Calandra précise en effet que les Roms émigrent en famille, contrairement à d’autres migrants. Le XXe est une des portes d’entrée à Paris. Et l’arrondissement a accueilli beaucoup de réfugiés syriens, principalement célibataires. Cette prise en charge, c’est le quotidien d’une maire engagée, habitée par des valeurs de gauche, dont les parents, dans les années 1970, ont accueilli des Chiliens fuyant Pinochet. Une maire qui doit gérer des drames comme l’incendie de la Cartonnerie, rue des Pyrénées. Le terrain attenant au bâtiment, un ancien squat d’artistes, accueillait quelques familles roms. La mairie de Paris y a fait installer des sanitaires malgré la réticence de Frédérique Calandra, consciente de la dangerosité de l’édifice. Lors d’une fête, une personne alcoolisée qui y dormait a péri dans les flammes.

Les faits sont racistes 

Pour maître Henri Braun, avocat de cinq prévenues, dire que les Roms parlent le romani, que leur immigration est familiale et que contrairement aux autres biffins, ils ignorent la coutume de la biffe – on remet dans les poubelles ce qu’on ne va pas vendre – eh bien énoncer ces faits, c’est tenir « des propos racistes » ! Et la manière dont Frédérique Calandra a évoqué l’incendie à la Cartonnerie témoigne d’un « jugement moral » sur les mœurs festives des Roms…

La longueur des circonvolutions de maître Braun – également avocat de Houria Bouteldja et du CCIF, et signataire de la tribune de 2011 contre Charlie – ont visiblement agacé la Cour. Il termine sa plaidoirie en demandant la requalification de la diffamation en injure : un moyen classique de faire tomber la poursuite.

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Pour le procureur en revanche, les articles sont clairement diffamatoires. Et curieusement, leur argumentaire essentialise Madame Diallo : elle est réduite à sa couleur de peau, ce qui « coupe court à tout débat », « on ne se parle plus ». Il interroge Madame Diallo sur son éviction du Conseil national du numérique : comment savoir si c’est le racisme et non ses postures politiques qui l’ont motivée ? Rokhaya Diallo, quelque peu embarrassée, maintient qu’il faut poser la question du racisme…

Laurence De Cock expulsée

Dans le public, on reconnait Madjid Messaoudene – élu FG de Saint-Denis et proche des Indigènes de la République -, des militants d’Act-Up ou encore Thierry Schaffhauser membre du Syndicat du travail sexuel (Strass) : toute la nébuleuse de l’intersectionnalité que le sociologue Eric Fassin, en qualité de témoin, définit doctement devant la Cour. L’intersectionnalité « prend en compte d’autres rapports de domination » et croise les discriminations liées au sexe, à la race ou à la classe. On retrouve là ce qui oppose le féminisme universaliste d’une Frédérique Calandra ou d’une Elisabeth Badinter, à celui des indigénistes qui le partitionnent en féminisme blanc et bourgeois, noir, racisé, musulman…

La salle est très réactive : gros éclats de rires quand l’avocate de Frédérique Calandra, Sabrina Goldman, pointe la contradiction entre le racisme supposé de sa cliente et ses engagements au Parti socialiste… Un témoin évoque l’équipe de Charlie. Le procureur l’interrompt pour faire sortir de la salle cinq personnes qui ne cessent de ricaner. L’une d’elle arbore un keffieh palestinien multicolore. Un jeune homme quitte l’audience sans se départir de son sourire. L’historienne Laurence De Cock et l’une de ses amies sont également sommées de quitter la salle…

Silence en revanche lorsqu’un imam et aumônier des prisons explique pourquoi il fut démis de ses fonctions d’imam de sa mosquée du XXe, à la suite d’un voyage en Israël après les attentats de Paris. « Je suis un imam ouvert ». Il loue une « maire formidable » qui « si elle était raciste, n’aiderait pas un imam ni des musulmans ».

La victime devient l’accusé

Si Frédérique Calandra a regretté la phrase dite en off à une journaliste, « Si un jour, Rokhaya Diallo veut débattre, pas de problème, je la défoncerai», propos qui n’aurait jamais dû être publié, en revanche, les prévenues n’ont exprimé aucun remords sur leurs écrits. Sylvie Tissot s’est retranché derrière la forme interrogative de ses hypothèses. Les autres, malgré les explications de Frédérique Calandra, ont maintenu leurs imputations de censure et de racisme. Leur avocat, tout comme celui de madame Diallo, n’en plaidaient pas moins la relaxe en invoquant de subtils délais de prescriptions – arguments repoussés par le procureur et le conseil de la partie civile.

Cette audience aura illustré une nouvelle fois l’inversion accusatoire et la perversion des valeurs à l’œuvre dans nos débats. C’est « le grand détournement » que dénonce Fatiha Boudjahlat. La victime devient l’accusé : Frédérique Calandra qui s’estime victime de diffamation a dû prouver qu’elle n’était pas raciste. Et celles qui lui imputaient cette étiquette jouent la carte de l’essentialisation, qui est le propre du racisme. L’emploi d’un mot générique (« les Roms ») suffit à vous suspecter et vous mettre sur le grill…

En saisissant la justice, Frédérique Calandra permet de mettre la lumière sur ces renversements dialectiques. Et elle envoie un message aux élus : le chantage au racisme dévoyé ne passera pas. Si la polémique est le reflet d’une saine démocratie, on ne saurait insinuer et imputer à la légère. Au risque, comme l’a dit Gilles Clavreul, ancien délégué à la DILCRA et témoin de madame Calandra, que « la violence des mots ne se transforme en violence des actes ». Au risque d’attenter à l’honneur d’une personne et d’une élue. Le rendu du jugement aura lieu le 2 octobre prochain.



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