Pour une politique de la plage: Monsieur Hulot avec nous!
Aujourd’hui, quelque part sur la côte picarde, il fait bleu. Il fait bleu partout, sur les dunes, sur la mer, sur les promenades. Hier, il y avait déjà, précoce, cette rumeur estivale des plages, qui est le bruit même du bonheur, comme est le bruit même du bonheur la bande son des Vacances de monsieur Hulot de Jacques Tati. Des rires, des ballons, des cerfs-volants, des pare-vents qui claquent, toute une humanité légèrement éblouie après tant de gris, étonnée par cette grâce simple qu’on lui accorde. Par ici, à marée basse, la mer est loin. Pour la rejoindre, on sent, en marchant vers elle, au moins quatre ou cinq consistances de sable, on voit au moins quatre ou cinq nuances de couleur, comme une coupe géologique horizontale, et quatre ou cinq variations de température sous la plante des pieds.
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On aurait envie d’être précis comme une photographie, on aurait envie de saisir chaque détail comme, au bar de la plage, sur une table basse entourée de chaises longues qui s’enfoncent, la buée sur le magnum de rosé que boivent des jeunes filles à peine sorties de l’adolescence et qui redoublent par une légère ivresse leur bonheur d’être au monde, ensemble. Il y a des traces de sel sur leurs mollets. A chaque fois, me revient cette certitude que ces jours-là, dans ces stations balnéaires où le soleil ne va pas de soi mais est un don, offrent une évidence politique: l’humanité est faite pour le loisir. Paul Morand, dans Bains de mer, bains de rêves, en avait eu le pressentiment en regardant « ces villes de toile qui ourlent désormais la frange de tous les rivages européens, comme dans un monde après la Bombe. » Oui, l’humanité s’est assez battue par le travail pendant des siècles dans les champs, les mines, les usines pour dominer la nature et changer la marâtre en mère nourricière. Mais si elle continue, elle va finir par vraiment l’abimer, la nature. Il n’y a plus guère de climatosceptiques, sauf dans les soues complotistes : d’ailleurs même le capitalisme a décidé que son prochain eldorado serait la décarbonation de la production, le dernier espoir de faire encore des profits et les assureurs, qui sont des gens pragmatiques, ne sont pas franchement… rassurés ! Mais avant tout, il est temps qu’on lui donne, à cette humanité, la récompense de son effort: abolir l’économie, répartir les richesses, lui rendre le temps qu’on lui a volé et qu’on lui vole encore. Ou, en termes marxistes, qu’on « en finisse avec la valeur d’échange d’une marchandise et le temps de travail socialement nécessaire à sa production. » Un vieux monsieur fait danser son cerf-volant avec une grâce chinoise: il danse autant que lui. Une des buveuses de rosé se lève, passe une main dans une toison bouclée et fait naitre un profil précis à briser le coeur. Un char à voile vire de bord. La marée remonte. Oui, il est temps de rendre le temps. Maintenant.
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