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Relation sexuelle à 11 ans: ce n’est pas à la rue de rendre justice


Relation sexuelle à 11 ans: ce n’est pas à la rue de rendre justice
Palais de justice de Pontoise dans le Val-d'Oise. SIPA. 00581831_000008

L’opinion publique française, ou plutôt ceux qui la font et qui la manipulent, n’aime pas la justice. Culturellement, dans notre pays de vieille tradition administrative, et depuis longtemps, on préfère l’ordre à la justice. Un désordre est plus grave qu’un innocent en prison.

L’affaire dite « de Pontoise » en est une nouvelle démonstration. Ameuté par un article publié dans Mediapart, une clameur a parcouru médias et réseaux avec une violence invraisemblable. On a asséné à l’opinion un scénario selon lequel un homme de 28 ans aurait violé une fillette de 11 ans, mais que le parquet refuserait de le poursuivre pour viol, ayant demandé son renvoi en correctionnelle pour de « simples abus sexuels ». Avec le résumé sommaire que l’on trouve en tête d’une pétition rédigée par des gens qui ne connaissent rien du dossier et que leur ignorance aurait dû pousser à garder leur sang-froid : «Malgré une plainte pour viol, un homme de 28 ans est aujourd’hui jugé pour atteinte sexuelle et non pour VIOL au prétexte que l’enfant serait consentante ! »

Se souvenir de Jacqueline Sauvage…

Cette présentation est simplement complètement fausse. Ceux qui ont lancé l’opération le savent très bien car l’objectif est clair, comme dans l’affaire Sauvage de triste mémoire, il s’agit de faire pression sur la justice et, à défaut d’y réussir, d’obtenir du législateur l’adoption de textes délirants permettant d’assouvir l’envie compulsive de pénal. Hier la « légitime défense différée » aujourd’hui « la présomption irréfragable en matière pénale » (au secours !).

Dans l’affaire Sauvage, en martelant un mensonge avéré, le lobby féministe a obtenu de François Hollande l’élargissement d’une personne reconnue coupable de meurtre par deux cours d’assises successives. Les moyens sont les mêmes, et l’objectif premier également, contourner la justice. Soit en la forçant à céder à la pression, soit à obtenir du pouvoir politique la possibilité d’assouvir leurs passions. Et pour cela, en utilisant sans vergogne mensonge et émotion, on n’hésite pas à instrumentaliser une opinion publique chauffée à blanc, dont on a une idée lorsque l’on parcourt les réseaux.

Comme d’habitude, s’agissant de lynchage médiatique, la foule y arbore sa sale gueule. N’ayant absolument aucune leçon à recevoir de qui que ce soit, en matière de protection de l’enfance, que ce soit pour des raisons personnelles et professionnelles, je suis d’autant plus à l’aise pour appeler à la raison, bien que l’appel au calme dans ce hourvari soit difficile. Être traîné dans la boue et qualifié sur les réseaux d’avocat, souteneur et complice des pédophiles, pédophile lui-même et « last but not least » de sataniste (!) ne me fera pas varier. La rue a peut-être abattu le nazisme, mais ce n’est pas le lieu où une société civilisée rend la justice.

La justice juge des faits, mais au nom du droit

Dans l’affaire Sauvage, lorsque j’ai pris connaissance de l’histoire de la femme battue par son mari pendant près de 50 ans et n’ayant trouvé que dans la mort donnée à celui-ci le moyen d’échapper à son bourreau, j’ai immédiatement été interpellé par quelque chose qui ne collait pas. Madame Sauvage avait été condamnée après une instruction régulière à 10 ans de réclusion criminelle par deux cours d’assises successives. Souscrire à la fable qui nous était servie imposait de considérer que la vingtaine de magistrats qui avaient eu à en connaître, et les 21 jurés populaires étaient d’horribles masculinistes, machistes, considérant qu’il était normal de battre sa femme comme plâtre. Au-delà du mépris social que cela véhiculait vis-à-vis des jurés, rationnellement cela ne collait pas. Je me suis donc informé de la réalité du dossier. Celle-ci démontrait le mensonge du scénario asséné.  Les décisions de François Hollande ont bafoué l’ensemble de la chaîne judiciaire, juges de l’application des peines compris. Les magistrats, à raison, les ont perçues comme telle.

C’est la même chose dans l’affaire de Pontoise. Reprenons le scénario proposé : «Malgré une plainte pour viol, un homme de 28 ans est aujourd’hui jugé pour atteinte sexuelle et non pour VIOL au prétexte que l’enfant serait consentante ! » Y souscrire implique de considérer que le parquet de Pontoise qui comprend une dizaine de magistrats, les services de police qui ont procédé à l’enquête préliminaire, les médecins qui ont obligatoirement été consultés sont tous des salauds complices des pédophiles. Au-delà de l’insulte qui leur est faite, cette hypothèse n’est pas sérieuse. J’ai donc été me renseigner dans la mesure du possible, sur le contenu réel de ce dossier. Bis repetita, comme dans l’affaire Sauvage, l’histoire que l’on nous sert est fausse. Je me contenterai de cette affirmation, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, je considère comme confidentiel ce qui a été porté à ma connaissance, du fait de l’instance en cours. Ensuite, le jeune homme poursuivi a un avocat qui assure sa défense, et je ne suis pas là pour faire la même chose. Enfin, rappelant que ma carrière est derrière moi, je ne poursuis aucun autre objectif que celui de lutter contre des dévoiements qui essaient de mettre en cause le droit à un procès équitable imprescriptible dans une société développée. Je demande donc à ceux qui me connaissent de garder raison et de me faire confiance.

Trois solutions

Parce que l’enjeu est important et que cette nouvelle attaque violente contre l’institution, qu’on le veuille ou non, et quelle que soit la fermeté des magistrats saisis de cette affaire, ne peut que l’affaiblir. Il faut par conséquent revenir sur la situation judiciaire de ce dossier. Une plainte a été déposée pour des faits sur lesquels les versions des protagonistes, présumée victime et présumé violeur divergent radicalement. Une enquête préliminaire a été diligentée par le parquet qui, pour résultat de celle-ci, a jugé nécessaire de poursuivre en choisissant la qualification d’abus sexuels plutôt que celle de viol, ce qui implique non pas un passage devant la cour d’assises mais devant le tribunal correctionnel. Je ne suis pas dans la tête des magistrats qui ont pris cette décision, mais je vais essayer de la comprendre au regard des règles impératives qui s’imposent au processus pénal dans la recherche et l’élaboration de la vérité judiciaire. Dont chacun doit savoir qu’elle sera relative, mais que ces règles formelles sont là pour permettre le caractère contradictoire et loyal de la procédure, dans l’intérêt des parties mais aussi de la société tout entière.

Il y a plusieurs raisons qui ont pu amener le parquet à considérer qu’il valait mieux renvoyer l’affaire devant le tribunal correctionnel. La définition du viol dans le code pénal français, est la suivante : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » Par conséquent la pénétration doit se faire à l’une des quatre conditions citées dans l’article 222-23, qui ne sont pas cumulatives mais alternatives, c’est-à-dire qu’une seule d’entre elles est suffisante. Il appartient donc à l’accusation d’établir l’existence d’au moins une de ces conditions. Mais il faut également établir la conscience qu’avait le présumé violeur d’accomplir la pénétration à l’aide d’une de ces conditions. Parce que, dans le droit pénal français, il existe ce que l’on appelle l’élément moral de l’infraction : « Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Je pense que les membres du parquet, institution hiérarchique, ont pensé, au vu de leur dossier, qu’il leur serait très difficile sinon impossible de rapporter cette preuve. Mais comme l’article 227–25 du même code réprime « le fait par un majeur d’exercer sans violence, contrainte, menace surprise, une atteinte sexuelle sur un mineur de 15 ans est punie de cinq ans d’emprisonnement » et que la jeune fille était âgée de 11 ans au moment des faits, il sera plus facile d’obtenir la condamnation du jeune homme. Mais là encore, en établissant que celui-ci avait conscience de cette minorité. Preuve à la charge du parquet évidemment. De ce que je connais du dossier, il est tout à fait possible que j’aie fait la même chose. Mais dire, comme je l’ai lu partout « la justice française refuse de considérer comme un viol une relation sexuelle avec une jeune fille de 11 ans », est un autre mensonge. Le parquet de Pontoise qui est une partie au procès a pris une position, la juridiction de jugement saisie aura trois solutions :

– Considérer qu’il y a des indices graves et concordants, qu’il y a eu viol, et, dans ce cas-là, requalifier les faits, et renvoyer  l’affaire à une instruction, puisqu’en matière de crime (ce qu’est le viol) l’instruction est obligatoire. À la fin de celle-ci, si le juge d’instruction considère que l’infraction est constituée, il pourra ordonner la mise en accusation du jeune homme devant la cour d’assises. Cette décision est susceptible d’appel, étant examinée par la chambre d’instruction composée de trois magistrats. Ce qui veut dire que sept magistrats du siège (tribunal correctionnel, juge d’instruction et chambre d’instruction) auront à délibérer et statuer sur la nécessité de renvoyer, ou pas, le jeune homme aux assises. Et si tout le monde faisait confiance à ces garanties plutôt que d’insulter les membres du parquet de Pontoise, étalant sur les réseaux et dans la presse, fureur et analphabétisme juridique et judiciaire ? Et si tout le monde s’interrogeait aussi pour savoir si l’intérêt de la jeune fille en passait par là ? Pour les victimes, instruction et audiences de cour d’assises sont de terribles épreuves.

– Il y a une deuxième hypothèse qui est celle de la condamnation du jeune homme pour abus sexuels par le tribunal correctionnel après l’audience du 28 février prochain. Cette décision sera susceptible d’appel et la cour d’appel aura elle aussi le devoir d’apprécier la qualification et éventuellement de revenir au processus précédent.

– La troisième hypothèse est celle d’une relaxe, qui pourra aussi faire l’objet d’un appel qui pourra à nouveau rebattre toutes les cartes.

Le calme et la raison ne sont pas des luxes

Alors on peut trouver ça compliqué, superfétatoire, considérer que le « présumé violeur » devrait déjà être pendu. Mais c’est la façon dont fonctionne un État de droit civilisé pour remplir ses obligations en assurant à tout le monde le droit à un procès équitable. On notera d’ailleurs, le silence des organisations syndicales de magistrats, pourtant très promptes à soutenir les acrobaties procédurales dès lors qu’elles concernent Nicolas Sarkozy ou François Fillon

C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut garder son calme, et faire fonctionner sa raison. Toutes les garanties sont en place pour que le processus se déroule dans les règles et que la justice se prononce. Ce qu’elle n’a pas encore fait aujourd’hui. Cette volonté de certains de faire pression sur l’institution est une tentative de la dévoyer pour lui imposer leurs objectifs. Si elle est d’abord insultante pour les magistrats, elle alimente une défiance délétère vis-à-vis d’une institution dont l’intérêt de tous est qu’elle puisse bien fonctionner.




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