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Re-migration vers l’Afrique : le bras de fer entre Londres et les ONG concerne toute l’Europe

Le Rwanda ne serait pas « un pays sûr » - un  argument à la fois faux et méprisant.


Re-migration vers l’Afrique : le bras de fer entre Londres et les ONG concerne toute l’Europe
Paul Kagame, président du Rwanda, à la COP27, à Charm el-Cheikh, Egypte, le 8 novembre 2022. Peter Dejong/AP/SIPA AP22738063_000061

Et si les accords de re-migration comme celui conclu entre le Royaume Uni et le Rwanda constituaient la solution pour lutter contre l’afflux de migrants illégaux en Europe? Tribune d’Alain Destexhe, sénateur honoraire belge.


En avril dernier, le Royaume Uni et le Rwanda ont conclu un accord de coopération en vue de déporter toute personne entrée sur le territoire britannique de manière illégalevers le Rwanda où leurs demandes d’asile seront analysées. On sait que ces clandestins sont presque tous des migrants économiques et non des réfugiés politiques au sens de la Convention de Genève de 1951.

Cependant, en suspendant en urgence l’expulsion d’un Irakien prévue le 12 juin, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui définit le cadre de la politique migratoire européenne, a empêché le premier avion affrété par le gouvernement britannique de décoller vers le Rwanda : une grande victoire pour les ONG et tous les activistes qui veulent abolir les frontières. L’affaire est actuellement à l’examen devant la Haute Cour de justice de Londres. Prétexte évoqué ? Le Rwanda ne serait pas « un pays sûr », un  argument à la fois faux et méprisant.

Faux,  parce le Rwanda est au contraire un des pays les plus sûrs d’Afrique – voire du monde – comme le montrent plusieurs classements internationaux. Il suffit de discuter avec des Rwandais ou des étrangers qui y vivent pour le constater : à certains égards, on se sent plus en sécurité à Kigali que dans certaines villes européennes ou américaines ! S’y promener seul le soir est certainement moins dangereux que dans certains quartiers de Bruxelles ou de Paris.

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Méprisant, aussi, car ces ONG « humanitaires » dénient au fond à l’Afrique la possibilité même des respecter les règles et normes internationales dont elles se sont érigées en défenseuses, et véhiculent  ainsi l’image d’un continent qui ne serait qu’un océan de misère et de chaos, et donc d’Africains qui seraient incapables de se gérer eux-mêmes selon des « normes civilisées ». On ne peut ici que constater l’ironie de cette vision néocolonialiste voire raciste,  par ceux qui, par ailleurs, entendent décoloniser les mentalités occidentales.

Le Rwanda a déjà prouvé qu’il est parfaitement capable d’accueillir, dans de bonnes conditions, des migrants, soit pour la période traitement de leur dossier, soit  pour s’y établir s’ils fuient réellement la répression ou l’insécurité. De plus, le pays  leur offre la possibilité de travailler dès leur arrivée s’ils le souhaitent, et donc de s’intégrer. Bien entendu, ils ne seront pas non plus assignés à résidence. Libres à eux de retourner dans leur pays d’origine s’ils le souhaitent, ou de se rendre dans un pays tiers prêt à les accepter.

En les envoyant au Rwanda ou ailleurs en Afrique, l’Europe enverrait un signal clair que les portes du  continent sont fermées aux clandestins, ce qui limiterait le nombre de candidats au départ (et donc les décès en Méditerranée ou dans la Manche), comme les activités criminelles des passeurs. En réalité, cette politique serait beaucoup plus « humanitaire » que les discours hypocrites des ONG du même nom qui, selon la formule de Bossuet, « se plaignent des conséquences dont ils chérissent les causes ».

Quel est l’intérêt du Rwanda dans cette affaire ? Certains diront qu’il est purement financier, ce pays devant recevoir 120 millions de livres du gouvernement britannique, mais on peut aussi l’envisager à travers la  vision qu’il a de son histoire et de son développement.

Le pays des milles collines a connu en 1994 le génocide des Tutsis, l’un des rares génocides incontestables du XXème siècle, une tragédie qui continue à marquer la société rwandaise. De plus, beaucoup de Rwandais, à commencer par le président Paul Kagamé, ont été réfugiés, ce qui les rend plus sensibles que d’autres au drame des migrants. Pour se développer, le « petit » Rwanda (dont la superficie est semblable à celle de la Belgique), qui n’a guère de matières premières, a choisi un positionnement original en se faisant le champion de l’Afrique et de la coopération internationale.

Cette stratégie se décline de multiples façons, allant de la promotion des investissements à la création d’une compagnie aérienne fiable avec un réseau international étendu (Rwandair), en passant par l’accueil de grandes conférences internationales, l’envoi de casques bleus sur les terrains de crise, ou encore le développement d’un tourisme qualitatif. Sur la scène internationale, le Rwanda apporte une contribution active à la résolution de problèmes globaux. En février dernier, il a par exemple été le fer de lance d’un accord international de lutte contre les déchets plastiques, ambition qu’il avait été l’un des premiers au monde à appliquer en interdisant les sacs plastiques dès 2008.

L’accord avec le Royaume Uni s’inscrit donc dans ce cadre singulier qui combine une détermination à développer l’économie locale, la mémoire vive du génocide de 1994, ainsi qu’une volonté de coopération au niveau international pour contribuer à résoudre les problèmes les plus urgents de notre époque. Sur la scène internationale, ce pays occupe une place disproportionnée par rapport à sa taille et sa population. En comparaison de la plupart des pays africains, et n’en déplaise aux ONG autoproclamées des « droits de l’homme », le Rwanda est un modèle de stabilité et de développement. Pour ceux qui doutent des succès de Kigali, il leur est suggéré de jeter un coup œil sur les indicateurs internationaux ou de faire un détour par les pays voisins.

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Dans cette affaire, une fois de plus, l’opaque et politisée CEDH a encore frappé. David Cameron puis  Teresa May en 2016 avaient envisagé de s’en retirer, un projet qui semble, hélas, abandonné depuis le Brexit. Pourtant, plus encore que le carcan de l’Union européenne, la  jurisprudence de la CEDH (sur les clandestins comme sur le regroupement familial) constitue le principal obstacle à l’arrêt de l’immigration incontrôlée vers l’Europe. Ne nous y trompons pas : si cet accord se concrétisait, il pourrait être copié par d’autres pays africains et européens, comme le Danemark l’envisage à présent.

Le bras de fer en cours à Londres risque de déboucher sur une nouvelle défaite en rase campagne des gouvernements face aux ONG. Mais, avec un peu de courage politique, il pourrait ouvrir la voie à une solution au problème migratoire.

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Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins sans frontières, ex-président de l’International Crisis Group

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