Quand Jérôme Leroy se branche sur Radio Nostalgie.
À cause de la grève dure menée à Radio France, moi qui ai tendance à zapper habituellement entre France Info et France Culture, je me suis replié sur Radio Nostalgie.
Vieillir, c’est s’apercevoir que les chansons sur Radio Nostalgie sont majoritairement des années quatre-vingts et que vous les avez écoutées sur les derniers juke-box qui ont dû disparaître en même temps que le mur de Berlin et l’idée que le PS était encore de gauche. Alors qu’il y a vingt ans, sur Nostalgie, c’était les années soixante qui tenaient le haut du pavé et que vous les entendiez, ces chansons-là, plutôt en sortant de l’école maternelle.
La madeleine de Jérôme Leroy?
Et soudain, sur l’autoradio, j’entends Besoin de rien, envie de toi de Peter et Sloane et j’éprouve alors un choc assez semblable à celui raconté par un écrivain du début du XXème siècle qui fait apparaître un tout paysage et toute une époque dans une tasse de thé simplement à cause de la saveur d’une friandise qu’il vient d’y tremper.
Peter et Sloane…
Bien sûr, on peut toujours rigoler. Mais cette chanson qui passait sur des milliers de transistors matinaux, en 1984, a accompagné tellement de fatigues et d’espérances vagues que finalement ce qui est important, ce n’est pas qu’elle soit bonne ou mauvaise, c’est qu’elle ait compté pour la mère de famille qui ajuste une dernière cagoule, après avoir revissé le couvercle du Benco dans une cuisine qu’on n’a pas fini de payer, qu’elle ait compté pour l’ouvrier de cinquante piges déjà délocalisable qui remonte le col de sa canadienne et grimpe sur sa mobylette la trouille au ventre, qu’elle ait compté pour l’éboueur malien qui se fait éclabousser par l’arroseuse municipale en riant tristement, qu’elle ait compté pour l’adolescente dans la chambre au papier peint caché par un poster de Magritte et qui va trouver le temps de passer au planning familial demander la pilule après le cours d’EPS; qu’elle ait compté pour ces gens qui prendront de plus en plus cher au fur et à mesure que la décennie avancera et célébrera de manière toujours plus obscène les noces du socialisme de gouvernement et de l’argent. C’est comme pour la foi : il m’importe assez peu que le saint-suaire soit un vrai ou un faux, ce que compte ce sont les millions de fidèles qui y croient depuis des siècles, ce qu’il représente pour eux d’espérance et de consolation.
La variété, un genre populaire
Alors, oui, on peut toujours rigoler. Pourtant, cette chanson-là, c’est aussi celle de mon peuple. Et puis aussi, soyons honnête, de cette fille en pull benetton qui m’a brisé le coeur pendant trente secondes, dans une boite de la côte normande, avant qu’on recommence à danser et qu’on rentre à l’aube dans une Autobianchi Abarth même pas foutue de tenir la route entre Veules-les-Roses et Rouen, La guerre de Jugurtha en Garnier Flammarion dans le cartable sur la banquette arrière, et toujours ce besoin de rien et cette envie d’elle.
“Regarde, le jour se lève.”
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !