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Manifestation contre le passe sanitaire: une manif de droite?

A la rencontre des opposants au passe sanitaire


Manifestation contre le passe sanitaire: une manif de droite?
Florian Philippot, ancien numéro du FN, fondateur des "Patriotes", et candidat à l'élection présidentielle de 2022, le 17 juillet 2021, à Paris, lors de la manifestation "Pour la Liberté" qui s'oppose au passe sanitaire imposé par Emmanuel Macron. Il est accompagné du chanteur Francis Lalanne, de la députée ex-LReM Martine Wonner, de l'avocat Fabrice Di Vizio, du président de Debout La France Nicolas Dupont-Aignan et de l'ex-figure des Gilets jaunes, Jacline Mouraud © ISA HARSIN/SIPA, Numéro de reportage : 01028440_000010

Les manifestations du 17 juillet contre le passe sanitaire ont été confrontées au mépris et à l’insulte de la classe politique et des médias. Notre auteur, lui, a préféré aller en immersion dans la manifestation parisienne. Un mouvement séditieux empli d’antivax fanatiques arborant des étoiles jaunes? Il a plutôt croisé des gens légitimement inquiets de ce qui pourrait advenir après le passe sanitaire imposé.


La chaleur des mois juillets parisiens est propice aux passions révolutionnaires, aussi, entre la date, les lieux historiques qui m’entourent et les drapeaux tricolores, je pourrais me croire à une autre époque.  En arrivant sur la place du Palais Royal en ayant coupé par le jardin des Tuileries, les clameurs et le brouhaha de la foule qui me parviennent sont d’une telle intensité que je me demande si la situation n’est pas déjà tendue.

Une « marche historique » pour la « liberté »

De loin, je ne pouvais pas vraiment réaliser l’ampleur de la mobilisation, mais en arrivant place du Carrousel je constate : c’est énorme. Toute la place devant le Louvre est envahie, le place du Palais Royal également. Tout le monde a déjà saisi l’ampleur de la manifestation. Le cortège est déjà parti et défile en rangs serrés pour emprunter le pont du Carrousel. Il est bruyant, animé, une voiture porte la sono. Un gars en gilet jaune, grand drapeau bleu-blanc-rouge, harangue les touristes interloqués « c’est la deuxième Révolution française ». Je ne prends pas la peine de remonter jusqu’au Conseil d’État, et j’emboite le pas à la longue file pour traverser la Seine. Déjà des panneaux « Non au PaSS sanitaire », « non au pass de la honte ». C’est la principale revendication. Les étoiles jaunes et les pancartes comparant le passe à Auschwitz, qui feront tant parler, sont déjà là, mais on retrouve une grande diversité d’affiches, avec des messages divers. Le principal mot d’ordre est « liberté », beaucoup s’attaquent au vaccin, avec des messages comme « Ma santé m’appartient » et même des « mon corps m’appartient ». Beaucoup de femmes, parmi ceux qui les portent, s’inquiétant notamment pour leur santé ou leur fertilité. On retrouve beaucoup de slogans assez explicites : par exemple un moustachu propose, sur son affiche en carton, de réserver sa dose pour le postérieur du président. Les manifestants qui m’entourent, pour le moment ont plutôt le « look » gilets jaunes. Quelques-uns en portent d’ailleurs. Les slogans lancés, comme « Macron, ton passe on n’en veut pas », « le passe ne passera pas », ou autres poétiques « Macron, on t’encule » sont plutôt bien repris, notamment par des groupes déjà constitués, qui semblent avoir l’habitude des manifestations de gauches ou syndicalistes. Par exemple, derrière moi, un groupe reprend le célèbre « on est là ».

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Sur les quais, on croise les premières forces de l’ordre. Calmes mais efficaces, les gendarmes semblent ne rien craindre, se contentant de filmer la foule, en tenue d’intervention, mais sans casque, avec tout de même quelques LBD sur l’épaule. On en verra très peu de toute l’après-midi. Les seules provocations à leurs égards sont des manifestants qui se prennent en photo devant eux, ou vont hurler des slogans devant les caméras. Au contraire, un couple devant moi lance « On est avec vous, vous le savez ». Plusieurs fois on scande des « La police avec nous » qui sont bien repris. Si les panneaux et les affiches oranges indiquent la trace des organisateurs, « les Patriotes », le parti de Florian Philippot, les messages sont en général plutôt non-partisans. Quelques-uns hurlent même des messages sur le registre « tous pourris », n’épargnant personne, et promettant d’avoir la peau de tout le monde, même de Philippot. Des hommes politiques sont toutefois aperçus, comme Nicolas Dupont-Aignan, qui marche avec l’organisateur, ou Marion Maréchal. L’esprit est nettement antisystème : on remonte rue des Saints-Pères, et on hue vigoureusement quand on passe devant Sciences-Po.

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Voyage en France profonde

Le cortège est toujours aussi dense. Un ami m’apprend qu’il est encore Place du Palais Royal, alors que je suis plus d’un kilomètre devant lui. Je le rejoins, et j’ai alors l’occasion d’embrasser toute la sociologie de la manifestation. Quelques curiosités : un homme porte au bout d’un bâton une brosse WC teinte en jaune fluo. Un autre, maquillé, est déguisé en statue de la liberté et multiplie les photos avec les manifestants. Sur un abribus, un homme, torse nu, avec kilt, casque à corne et drapeau français se fait acclamer. « C’est nous les gaulois réfractaires, bravo », crie une manifestante. On reprend le mot. L’ambiance reste calme, civilisée même. Une riveraine masquée enlève des autocollants posés sur sa porte, tandis que les manifestants hèlent les habitants, qui, pour certains, masqués et seuls dans leurs appartements regardent la foule « Descendez, venez avec nous ». On retrouve beaucoup de « populos », mais aussi des gens plus « typés » bourgeois. Beaucoup de retraités, mais énormément d’actifs, et un nombre non négligeable d’enfants. La France dans toute sa diversité, quoique, la « diversité » semble peu représentée. On y croise toutefois des femmes voilées. Les journalistes avec gilets « PRESS » et casques font un peu tache. Je croise tout de même des militants ultras, mais pas d’antifas, plutôt de droite radicale.

Les Gaulois réfractaires… © D.R.

Les raisons de la colère

La plupart des manifestants sont révoltés par le passe ou l’obligation sanitaire. Ils viennent de toute la France (je croise des Lyonnais, des Bordelais, des banlieusards), et de toutes extractions (je discute par exemple avec un commercial de province), mais pour l’essentiel, ces sont des représentants de la « France qui bosse », des « gens honnêtes », laborieux, qui refusent encore une fois ce qu’ils voient comme des atteintes à leur liberté, et surtout des mesures qui vont venir perturber leur quotidien déjà compliqué.

L’ambiance est tout de même trouble. On sent une remise en cause totale du système, de la caste au pouvoir. En tout cas c’est une ambiance de fin d’un monde… Si certains ne semblent pas avoir l’habitude de manifester, d’autres sont déjà rodés : ils s’entendent pour reprendre les slogans, avancent en groupes… De manière plus frappante, un certain nombre de personnes sont « équipés ». Ce ne sont pourtant pas des ultras, mais je croise des infirmières avec des masques de piscine, un couple de cinquantenaires, d’allure respectable, mais casques sous le bras. Beaucoup de chaussures solides, de blousons malgré la chaleur, de gants, d’écharpes. L’expérience des gilets jaunes est passée par là, et une grande partie des manifestants semble avoir conscience que tout peut déraper rapidement. L’inquiétude est réelle, la mobilisation populaire. On aurait tort de la sous-estimer. La politique du traitement médiatique par l’insulte n’est probablement pas la bonne…

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Les élites contre le peuple

Enfin arrivés devant le ministère de la Santé, c’est l’heure des discours. On n’entend pas tout, mais on acclame très fort et on scande « Liberté ». Philippot fidélise ses troupes et ses lieutenants en faisant parler des responsables locaux des « Patriotes ». Puis des alliés se succèdent : parmi eux, un représentant de VIA, la députée Martine Wonner, Richard Boutry, Francis Lalanne, qui tient la scène et est fortement applaudi. Fabrice Di Vizio, le médiatique avocat, qui affirme que « nous allons nous battre et nous allons gagner » rencontre un franc succès. Enfin, c’est le tour de Philippot, celui qui a déjà annoncé sa candidature pour 2022. Il se félicite du succès de cette « marche historique », lui qui se mobilise depuis 35 semaines. Il affirme qu’une mobilisation d’une telle ampleur peut faire reculer le gouvernement, comme en Russie ou en Angleterre. Il revendique les mots « dictature » et « tyrannie » et dénonce principalement ce qu’il qualifie d’« apartheid » entre les citoyens, en refusant d’entrer dans le piège macronien de la division. Le sujet n’est pas le vaccin, il ne défend que la liberté de choisir. Il dénonce les conflits d’intérêt, la corruption de la « caste », médiatique ou politique, qui mépriserait le peuple, comme avec les gilets jaunes, ou comme lors du référendum de 2005. Sans faire référence à son passage au FN, il défend la souveraineté de la France et de son « très vieux et grand peuple, qui existe depuis 2000 ans ». On l’acclame, sans distinction. Son message de rassemblement aurait été entendu ? Pour terminer, après avoir appelé à un été de mobilisations et de résistance, il lance « l’hymne de la liberté en France et dans le monde entier », la Marseillaise. Je m’en vais et je vois toutes les têtes se lever et reprendre les paroles de notre hymne national d’une seule voix. Pas une bouche qui ne chante pas.



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