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Pour faire le portrait d’un bobo

"Le Monde" va changer de base


Pour faire le portrait d’un bobo
La façade de l'immeuble du journal Le Monde à Paris, janvier 2015. SIPA.

Faire le portrait de M, c’est faire le portrait des bobos. Le magazine, branché, intersectionnel, modulable comme une citadine polyvalente segment B, une Pastabox réchauffée aux micro-ondes positives, ravit les « mutins de Panurge et rebellocrates » (Muray)…


En feuilletant M (le supplément hebdomadaire du Monde) du 11 février, j’ai pensé au poème de Prévert, Pour faire le portrait d’un oiseau. « Peindre d’abord une cage / Avec une porte ouverte / Peindre ensuite / Quelque chose de joli / Quelque chose de simple / Quelque chose de beau / Quelque chose d’utile pour l’oiseau … ». Ça pianote, piaille, piaffe, sur YouTube, TikTok, le métavers, mais les rois de l’azur, princes des nuées – Baudelaire et L’Albatros – ont du plomb dans l’aile et Paname a perdu 70% de ses moineaux. Le monde change de peau : sera-t-il doux et sucré comme la liberté ? Des bécasses activistes, jeunes oies édifiantes, pigeons, I Soli ignoti, s’emploient, font des piges sur le male gaze et les Malgaches.

Notre chroniqueur a feuilleté pour vous M Le magazine (woke) du « Monde » de la semaine

Faire le portrait de M, c’est faire le portrait des bobos. Le magazine, branché, intersectionnel, modulable comme une citadine polyvalente segment B, une Pastabox réchauffée aux micro-ondes positives, ravit les « mutins de Panurge et rebellocrates » (Muray). L’important c’est d’aimer. Du Beau, du Bon, du Bien, du Benêt : M le Béni.  Sur toutes les pages, sur les images dorées des news magazines, Liberté, j’écris ton nom. Les promesses d’émancipation par la culture et l’éducation n’ont pas été tenues mais les dominés font la Une et le buzz. Partout triomphent l’indignation multiculturelle, la libre circulation des vaincus et du politiquement correct, le capitalisme de la révolte. « Les jeunes consciences ont le plumage raide et le vol bruyant » (Michaux).

Woke en stock 

Cent mille milliards de voyages, idées malignes, belles pensées, chemins de traverse : le menu M du weekend dernier était particulièrement savoureux.

– La gazette. Bill Clinton fête l’anniversaire de la création du congé maternité à la Maison-Blanche. La Comédie-Française chante Gainsbourg. La propriété normande de Léopold Sédar et Colette Senghor se transforme en maison de la poésie et résidence d’auteurs.  Dimanche 5 février, séance inaugurale de l’Institut La Boétie. Pour former les cadres insoumis à la servitude volontaire, la chaire est castriste. Une armée de guérilleros à la retraite, doctorants indigents, zadistes indignés, Boyard, Bayard, Brutus, spécialistes d’habitus et compost équitable, brûle des flambeaux de cire rouge. Dussopt est guillotiné, Bayou a pris un clystère. Lundi, grève. Mardi, manif. Mercredi, Edouard Louis Ragueneau a perdu un amant et changé d’éditeur. Jeudi, Mélenchon – comte de Guigne de la Nupes – dit Non à Macron. Vendredi, Annie, Duègne de France. Samedi, Piketty, à Rousseau a dit Oui. « La grandeur de la Gauche, c’est de vouloir sauver les médiocres. Sa faiblesse c’est qu’il y en a trop » (San Antonio).

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– En couverture et plat de résistance de M, Tony Estanguer, le Boss du comité d’organisation des JO. Triple champion olympique, sourire enjôleur, Tony sait y faire. « Les JO 2024 seront spectaculaires, populaires et écologiques ». La grosse angoisse, ce sont les sauvageons à capuche et machette, les hooligans anglais du 93. Tony est malin : le Dies irae, les larmes, lacrymo, la sécurité, relèvent du pouvoir régalien.

Gros plan sur Les Vaginites, un trio trash punk engagé. Zororité, Rage against ze machists, Moche is beautiful. En culotte maculée de sang, Corinne Masiero et ses joyeuses Collégiennes résistent, chantent « les vieilles, les imbaisables, les hystériques, les dépentesques… choune, moule, foune, brousse, buisson, c’est l’hymne à la vulve » … Vaste programme. Pervers Prévert ? Est-ce que le pont va casser ? Faut-il fendre la Presse ?

 – C’est plus compliqué pour David et Samir qui filent le parfait amour à Tel-Aviv. Le nouveau gouvernement Netanyahou est à droite, fonder une famille impliquera des défis, les tabous sont tenaces, la famille de Samir est tradi : son beau-frère menace de l’enterrer vivant s’il fait un coming-out, sa mère veut le faire soigner. On dirait un sketch de Muriel Robin.

 – La photographe Joanna Piotrowska « met en lumière l’intimité de corps en lutte, celle d’individus qui résistent à toutes sortes de dominations ». Les corps sont sous tension, la politique se niche dans les tapis. Formée à Londres et Cracovie, Joanna aime Chirico, Kafka, Virginia, Moravia. Hyperactive, « elle met en scène des êtres vulnérables … déploie une stratégie anti spectaculaire », construit des cabanes avec des nappes, des porte manteaux, des abat jours, cherche des bourses de recherche. Ses compositions « chorégraphiées au cordeau » sont exposées au BAL, 6, impasse de la Défense. 

Aux Bouffes du nord, Lyna Khoudri interprète Perdre son sac, écrit et mis en scène par Pascal Rambert. « Un texte nerveux dans lequel une laveuse de vitres règle ses comptes avec la société capitaliste… L’héroïne passée par une classe prépa évoque sa précarité, sa révolte, ce mode capitaliste où il est impossible de naviguer, mais aussi son goût des femmes ». Ouvrez, ouvrez la cage aux bobos, regardez-les s’envoler, c’est beau….

La Révolution est un diner de Gala

Pour la gastronomie, les forçats de la faim, M recommande un cake au citron à la pâte aérienne vendu rue de Bretagne, axe central du haut Marais. À l’affiche d’A la belle étoile, le vidéaste et influenceur Riadh Belaïche est intarissable sur les bricks, « fourre-tout culinaires géniaux », les lasagnes et fraisiers succulents préparés par sa maman.

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La fin du magazine est visuelle, c’est la Mode, toujours décalée, métissée, audacieuse. Cette semaine, c’est L’équipée sauvage. « Chaussée de grosses bottes de moto ou de fines sandales, en minijupe ou pantalon de cuir, la bikeuse n’a besoin de personne pour prendre des chemins de traverse ». Une brune pas épaisse prend des pauses rebelles pour vendre des blousons en cuir, blouse à capuche en soie, boucles d’oreilles en argent et quartz.

Les chroniques engagées, reportages coup de poing sont entrecoupés de publicités pleine page. C’est la lutte finale des marques, l’Internationale des poids lourds du Dow Jones, Cac 40, Nikkei 225. Pour toutes les bourses. Avis aux Vaginites : un nouveau sérum permet de diviser les rides par deux en quatre heures, réduire 80% des signes de l’âge en 30 jours.  Grâce aux technologies Beauté, les plus belles coiffures ! Une eau de parfum pour vivre au rythme de la ville. Le nouveau E tech full Hybrid fait 200 ch. Le monde va changer de base mais l’actionnariat, le cœur de cible et la cible du cœur restent stables : CSP +. Qui ça ? Les bobos ; Ah bon, mais où ça ? Les bobos.

Bourgeois-bohème, Gauche caviar… On dit « Champagne socialist » en Angleterre, « Limousine liberal » en Amérique, en Italie « Radical chic », « Salonkommunist » en Allemagne.

« Pour être anarchistes, il ne nous a manqué que de l’argent » (Alfred Capus).



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