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Le style de Céline

La carte postale de Pascal Louvrier


Le style de Céline
Louis-Ferdinand Céline (c) Rue des Archives / RDA

Quand tout s’écroule autour de vous dans un monde où la folie hygiéniste fait perdre les pédales, il est bon de relire Céline.


Exilé au Danemark, Louis-Ferdinand Céline rentre en France en 1951. Son éditeur, Robert Denoël, ayant été assassiné, il signe un juteux contrat avec Gaston Gallimard pour la publication de Féerie pour une autre fois, la réédition de Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit — Céline se plaint toujours, mais aujourd’hui il risquerait de ne plus être édité. Le succès n’est pas au rendez-vous. Alors il a l’idée d’entretiens avec un personnage imaginaire, le professeur Y, alias Colonel Réséda, pour souligner sa conception de la littérature et expliquer l’originalité de son style.

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Attaque frontale du professeur Y

C’est jubilatoire et d’une grande férocité. L’attaque est frontale. Jugez : « La vérité, là, tout simplement, la librairie souffre d’une très grave crise de mévente. Allez pas croire un seul zéro de tous ces prétendus tirages à 100 000 ! 40 000 !… et même 400 exemplaires !… attrape-gogos ! » Rien de nouveau sous le soleil, donc. En juin, avant de quitter Paris saccagé par une bande d’ignares faussement écolos, un écrivain, devenu paria, me confirmait que rien ne se vendait à part quelques bouquins nettoyés au politiquement correct, insipides, plats, effondrés de la syntaxe. Ce que Céline nomme dans Entretiens avec le professeur Y le roman chromo, c’est-à-dire vulgaire et creux. Des romans que le cinéma pourrait recycler. Céline : « Parce que leurs romans, tous leurs romans gagneraient beaucoup, gagneraient tout, à être repris par un cinéaste… leurs romans ne sont plus que des scénarios, plus ou moins commerciaux, en mal de cinéastes !… » Ainsi sommes-nous entrés dans l’ère post-littéraire, où il est impossible de citer un personnage de roman contemporain tout simplement parce qu’il n’y en a plus.

Maudit médecin

Céline dézingue son époque qui est la nôtre, en pire. Le cinéma, « il a que de l’émotion en toc !… » La clientèle du chromo, « elle est morphine de la Radio » — entendez de la télévision, chaines de désinformation en boucle. Et le monde dans tout ça, « il va au faux, naturellement… il aime que le faux !… » C’est notre très basse-époque que décrit Céline, avec sa truculence dévastatrice, où tout n’est que falsification, simulacre, confusion.

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Céline rappelle, et pas qu’une fois, qu’il est à l’origine de l’émotion dans le langage écrit. « C’est pas qu’un petit turbin je vous jure, explique-t-il au professeur Y, abruti total, le truc, la magie, que n’importe quel con à présent peut vous émouvoir « en écrit » ! c’est pas rien !… c’est infime mais c’est quelque chose !… » Plus loin, dans ce récit halluciné, Céline évoque sa nuit pascalienne. Il a trouvé sa petite trouvaille stylistique dans le métro, « le grand avaloir des fatigués », ligne Nord-Sud, ligne 12 aujourd’hui. Il a vu les rails rigides, les arrêts aux stations, les encombrements. Il leur en fout un coup aux rails, « jamais le moindre arrêt nulle part ! non ! non ! au but ! au but ! direct ! dans l’émotion !… » Comment ? « Grâce à mes rails profilés ! mon style profilé ! » Céline embarque tout le monde, même les plus récalcitrants, au bout du voyage, dans la rame émotive. Réséda ne sait plus quoi penser. Il a soudain envie de pisser. Et là, Céline prend définitivement le contrôle. C’est la force du médecin. Réséda, un peu prostatique. Bien sûr. Il ne peut pas se retenir. Céline propose le toucher rectal. Il connaît le point faible des hommes : la peur de mourir. On assène des pourcentages, les macchabées deviennent légion, le virus est pernicieux, il recombine, le salaud. La peur, la lâcheté, la bêtise. Céline savait tout ça. Maudit médecin.

Céline, Entretiens avec le professeur Y, Folio.


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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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