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Le sourire de l’enfant mort


Photo : uncultured.

On ne devrait jamais se réjouir trop vite à la lecture des gazettes. A peine apprenait-on que le gouvernement grec se rappelait avec Aristote que la finalité de la politique, c’est quand même le bien commun et décidait de demander son avis au peuple par voie référendaire, qu’on lisait dans la rubrique des faits divers qu’une femme de 38 ans, SDF vivant sous une tente dans le XIVème arrondissement, accouchait d’un bébé mort-né.

Devant une telle horreur, il est hors de question de se livrer à quelque récupération politique que ce soit. Quand bien même pourrait être mise en cause la politique du ministre Benoist Apparu qui préfère le logement social durable à l’hébergement d’urgence mais sans aucun moyen réel[1. On se souvient de la démission récente de Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social, devant l’absence de perspective pour résoudre ce scandale durable], je ne suis pas naïf : j’ entends parler, depuis des décennies, tous gouvernements confondus, et en général au moment des élections, de l’ardente obligation de trouver un logement digne de ce nom pour tous. Et depuis des décennies, je sais qu’on crève de froid dans les portes cochères ou qu’on grille brûlés vif dans les hôtels pourris des marchands de sommeil.

De toute façon, dans la meilleure des sociétés possibles, celle qui assurerait à tous pain, logement, santé et éducation, il se trouverait toujours des malheureux pour passer aux travers des mailles du filet de toutes les protections et mourir dans la rue. Patrick Declerck dans Les naufragés, livre magnifique de colère et de désespoir écrit par ce médecin qui s’est occupé d’eux jusqu’à ne plus savoir s’il les détestait ou s’il les aimait, ne dit pas autre chose. Tout juste peut-on remarquer que l’on meurt moins de cette façon dans ces social-démocraties si décriées aujourd’hui et que les premiers SDF sont apparus massivement sur les trottoirs new-yorkais au début du reaganisme avant d’être chassés loin du centre par Giulani, moderne Tartuffe qui voulait cacher ces mourants qu’il ne saurait voir.

Mais revenons à ce bébé mort, ici et maintenant, dans la France de 2011. Pourquoi, comme tant d’autres je pense, me suis-je senti partagé entre désespoir et colère à la lecture de ce « fait divers » ?
Parce qu’il y a dans cette mort l’idée d’une profanation symbolique, d’un véritable déni métaphysique. Je m’explique. Noël n’est pas très loin, dans quelques semaines. La Nativité. La venue du divin enfant, du sauveur. Et que s’est-il passé, mardi 1er novembre, sinon une anti-Nativité ?

Il n’y a eu ni rois mages, ni crèche, ni âne, ni bœuf. Je n’invoque pas Marx pour alimenter ma rage mais l’autre rameau de mon éducation, l’autre grande émancipation qui m’a formé, celle de l’Evangile. Je n’ai pas la Foi ? Hélas pour moi. Il n’empêche que je sais comme quelques milliards d’hommes que la naissance du Christ est la promesse d’une rédemption et qu’il y a plus de deux mille ans, un enfant apportait un message d’amour et de libération.

Soit dit en passant, les intégristes catholiques ont bien tort d’avoir manifesté contre une pièce de théâtre ces derniers jours. Croire qu’il y a une blessure supplémentaire pour le Christ aux outrages à cause d’une œuvre d’art, c’est oublier ce que Bernanos faisait dire à son Curé de campagne à propos des offenses faites à Jésus : « Vous pourriez lui montrer le poing, lui cracher au visage, le fouetter de verges et finalement le clouer sur une croix, qu’importe ? Cela est déjà fait. »

Sauf, peut-être, cet enfant mort qui ne pourra annoncer aucune bonne nouvelle. Sa mort nous renvoie à notre faillite à tous, à nos lâchetés, à nos égoïsmes, à notre immense inattention aux plus faibles qui signe notre arrêt de mort, un arrêt de mort qui arrivera un jour où l’autre.

Il existe un très beau mystère dans la religion catholique qui explique un peu cela, c’est celui de la communion des saints. Léon Bloy, chrétien flamboyant et brutal qui a écrit dans Le sang des pauvres des phrases contre les bourgeois qui feraient passer L’insurrection qui vient pour un libelle quasi inoffensif, la définit ainsi : « Il y a une loi d’équilibre divin, appelée la Communion des Saints, en vertu de laquelle le mérite ou le démérite d’une âme, d’une seule âme est réversible sur le monde entier. Cette loi fait de nous absolument des dieux et donne à la vie humaine des proportions du grandiose le plus ineffable. Le plus vil des goujats porte dans le creux de sa main des millions de cœurs et tient sous son pied des millions de têtes de serpents. Cela il le saura au dernier jour. »

Cela veut dire que nous sommes tous responsables de tous, qu’il n’y a pas de balance commerciale entre nos bonnes et nos mauvaises actions et que l’on pourrait espérer s’en tirer en présentant des comptes légèrement excédentaires en faveur du Bien.

Un jour ou l’autre, le sourire qu’on ne verra jamais de cet enfant mort de misère pourrait bien faire s’écrouler tous nos empires dans un effondrement dont on cherchera vainement les causes. L’on pensera à tout, absolument à tout, sauf à un petit cadavre froid dans la rue d’un pays riche qui ne savait plus partager.



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