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La légende de l’euro fort


La valeur de l’euro a augmenté de 1,1789 dollar américains lors de sa mise en circulation le 4 janvier 1999 à 1,3025 dollar à l’heure où j’écris ses lignes ; soit d’environ 10,5% en un peu plus de treize ans. De cette constatation, de nombreux observateurs déduisent que l’euro est cher – trop cher – et que nous devons cela à la politique de la Banque Centrale Européenne. Une politique inspirée par ses ascendances teutonnes ; une politique dite de l’euro fort. Seulement voilà, la réalité est un peu plus complexe que cela.

Pour reprendre l’exemple cité ci-dessus, j’aurais pu vous signaler que la valeur du dollar américain a baissé de 84,8 centimes d’euros au 4 janvier 1999 à 76,8 centimes aujourd’hui. C’est strictement équivalent. Mais de ma première formulation, vous avez déduit que c’est la valeur de l’euro qui a monté tandis que la seconde laisse supposer que c’est la valeur du dollar qui avait diminué. En réalité, vous n’en savez rien et moi non plus. Ces chiffres peuvent signifier que la valeur de ces deux monnaies a augmenté mais que l’euro s’est apprécié plus vite ou, tout au contraire, que leurs valeurs respectives ont baissé, la perte de valeur du dollar étant la plus prononcée des deUx.

Mais reprenons encore cette même phrase en changeant de dollar : « La valeur de l’euro s’est effondrée de 1,91 dollar australien lors de sa mise en circulation le 4 janvier 1999 à 1,283 dollar à l’heure où j’écris ses lignes ; soit d’environ 32,8% en un peu plus de treize ans. » Surprise ! Nous passons d’une démonstration de la « force » de l’euro à la preuve du contraire en changeant simplement de point de comparaison. Vous pouvez faire le test en utilisant d’autres devises : à chaque fois, vous obtiendrez un résultat différent.

On m’objectera, bien sûr, que le dollar américain est une « monnaie de référence ». C’est tout à fait vrai mais, depuis la chute du système de Bretton Woods qui cherchait à fixer le cours de toutes les devises par rapport aux billets verts de l’oncle Sam, il s’agit d’une simple convention. Par ailleurs, les petites expériences menées par la Federal Reserve ces dernières années ont nettement écorné la réputation desdits billets verts et – justement à cause de sa bonne tenue – ont amené beaucoup de nos contemporains à préférer nos euros. Dans un monde de changes flottants, où la valeur relative de chaque monnaie par rapport aux autres évolue donc en fonction de l’offre et de la demande, vous n’avez dès lors aucune raison objective de privilégier la monnaie étasunienne.

S’il est impossible de dire, dans l’absolu, de combien la valeur de l’euro a monté ou baissé, on peut néanmoins comparer l’évolution de la monnaie unique par rapport à un panier de devises. La méthode est assez simple : elle consiste à imaginer que vous ayez échangé dix euros du 4 janvier 1999 contre dix monnaies différentes et à observer l’évolution de la valeur de ce petit portefeuille dans le temps.
Par exemple, avec 10 euros du 4 janvier 1999 vous pouviez acheter 1,1789 dollar américain, 1,91 dollar australien, 1,8 dollar canadien, 2,22 dollars néo-zélandais, 133,73 yens, 7,45 couronnes danoises, 9,47 couronnes suédoises, 8,86 couronnes norvégiennes, 71,1 pences britanniques et 1,62 franc suisse. Or, un peu plus de treize années plus tard, ce panier de devises ne vaut plus 10 euros mais 11,88 euros ; c’est-à-dire qu’en détenant ces monnaies étrangères plutôt que la monnaie unique, vous auriez gagné 18,8% ; ou encore qu’un euro du 4 janvier 1999, comparé à ce panier, ne vaut plus aujourd’hui que 84 centimes – soit une baisse de près de 16%[1. L’histoire n’est pas linéaire. La valeur de mon euro synthétique baisse de 1 le 4 janvier 1999 à 0,82 en octobre 2000 avant de remonter à 1,08 fin 2008 et de rebaisser jusqu’à 0,84 au dernier pointage le 8 mai 2012.]

Dès lors, à moins de supposer que l’euro était encore plus surévalué lors de son lancement, qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que nous souffrons d’une politique de l’euro fort ?
Rien. Absolument rien. La valeur de l’euro, exprimée par rapport à d’autres devises, par rapport aux biens et services que nous consommons ou par rapport à un métal précieux de votre choix, est déterminée par les marchés. Autant dire par les interactions de millions d’individus disposant chacun d’une partie de la gigantesque masse d’information qui sert de base aux prix. Le déficit de notre balance commerciale dites-vous ? Et l’excédent allemand ? Le taux de chômage en France ? Et pourquoi pas celui de l’Autriche ou des Pays-Bas ?

Si vous pouvez affirmer avec certitude que le marché se trompe et que l’euro est surévalué par rapport au dollar américain, courrez donc voir votre banquier, empruntez autant d’euros que vous le pouvez et échangez-les contre des dollars : lorsque la suite des événements prouvera que vous aviez raison, vous deviendrez riche[2. Les plus joueurs d’entre vous peuvent facilement constituer leurs propres paniers avec les données de la BCE].

Mais méfiez-vous tout de même, je vous livre ici un des petits secrets des traders, une vieille règle fondée sur des décennies d’expérience et quelques faillites retentissantes : il y a toujours quelqu’un qui en sait plus que vous…



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