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L’Europe, de la technocratie au massacre


Il faudra moins de temps qu’un Paris-Amsterdam à notre tout nouveau chef François pour glisser du rêve français à l’onirisme européen. Qu’Angela ait l’intention de le déguster comme une bonne grosse wurst, ça ne fait mystère à personne. Alors, cédons au dernier chic de l’analyse commentatoire et répondons au vertige du moment : qui bouffera qui ? Mon patriotisme spontané m’incline à espérer qu’Hollande sera moins défroqué que son prédécesseur, et, pourquoi pas, prendra la tête d’un genre de ligue latine et dépensière qui rende le fond de l’air plus frivole que la déprimante austérité germanique. Mon patriotisme sera repu, car Hollande ira à Berlin, il sera ferme et courtois, très français en somme, et obtiendra bien quelques babioles dont tout le monde saura se satisfaire. On fera un triomphe au retour de César ayant fait voler la Porte de Brandebourg (version Libération) ou on notera doctement une modification des équilibres dans le couple moteur et gnagnagna (version Figaro). Bref, les Allemands ne vont pas rater l’occasion d’apparaître sympas, ça leur évitera de se faire passer pour des autrichiens pendant leurs vacances en Grèce. Et puis l’Europe telle qu’on la connaît continuera, la Drachme en plus manifestement, d’après le peu que j’en ai compris.

De l’enfer bureaucratique…

Etant néanmoins plus futé que la moyenne de mes confrères, je peux vous décrire l’Europe de demain. Une, deux, c’est parti ! Elle sera communautairement pluri-étatique dans une perspective polycentrique à bords flottants ou ne sera pas, qu’on se le dise ! D’ailleurs, la surpondération rééquilibrée des délégations de droits de vote dans les instances para-communautaires nous y contraindra, volens nolens. A moins que l’essor économique de la banane bleue, habilement piloté par un principe de subsidiarité transfrontalier rénové, ne mette fin à cette valse tournante de présidences co-partagées au niveau local, format troïka, un, deux, trois, serrez vos cavalières. Alors, que faire, face à des procédures de codécision consensuelles fondées sur le principe d’un partage du processus légalo-normatif de type 4, qui nous étouffe véritablement ?

Ah, qu’est-il devenu, le doux temps des solidarités concrètes, quand le charbon voguait en paix sur les eaux bleues de canaux mosellans standardisés, sans craindre les coups de Jarnac de lois-écrans assénées sans vergogne par quelque obscur juriste à front parcheminé, tapis en embuscade dans une forêt parsemée de blocs de granit constitutionnels !

Hélas, trois fois Hellas, il est révolu, l’heureux âge où l’on se donnait des clauses de rendez-vous à l’ombre des frondaisons d’acquis communautaire, l’époque riante où, d’une berge à l’autre du Rhin, on se contait fleurette en se caressant mutuellement les critères d’une convergence désirée avec fougue. Le cruel eurobaromètre a congelé pour longtemps nos idylles synergétiques structurelles, pourtant scellées par des promesses de stabilité, de croissance, d’éternité même. Pauvres petits Schengeniens, nous errons sans but et sans joie entre les trois piliers glaciaux d’un morne temple de papier, tenant en laisse nos chétifs droits fondamentaux qui hurlent à la mort. Mais chut : depuis que la chaste déesse Europe a cédé aux bras musculeux et velus du dieu OTAN, maître de la foudre, nos plaintes font place à l’implacable Procédure de Silence. Les petits pois calibrés continuent de parcourir les mornes autoroutes d’une Chrétienté désenchantée… Et d’impassibles bedaines cravatées mâchent, remâchent et crottent du papier à en-tête, entre deux moules-frites sur la Grand-Place… Une pluie fine tombe sur quelques corps inertes, au bout d’une plage du sud de l’Italie. Les carabiniers inspectent.

… au déluge de feu et de sang

Il nous faut une guerre, bon sang ! Une franche étriperie, des cercueils drapés de douze étoiles sur fond bleu ! Des larmes, de la sueur, des héros très beaux et des traîtres très laids, des canonnades assourdissantes pour tromper l’ennui ! Un bon petit crime commis en commun, rien de tel pour fonder une nation ! Et revenir avec fracas dans l’Histoire – aux dernières nouvelles, nous en étions sortis sur la pointe des pieds. Les yeux injectés de sang, exorbités, je cherche de tous côtés une peuplade quelconque avec qui se colleter. Palestiniens, Tchétchènes, Irakiens, Afghans ? Déjà pris… Chinois ? Holà, courageux mais pas téméraire… Turcs ? Trop tard, les négociations sont ouvertes… Russes ? Ah, voilà qui serait fastueux : Barroso en prince de la Moskova, Bolkestein en Feld-Kommandant de la Volga, Barnier décoré de la Croix de Guerre à titre posthume pour faits de bravoure sur le Don ! L’Histoire en fanfare ! Trompettes de la renommée ! Bon. Mes pulsions génocidaires peinent à seconder l’enthousiasme de la plume. Je flânerais volontiers encore un peu dans ma délicieuse inexistence, à l’abri des corbillards du temps qui passe. D’autant que je peine à faire bouillir en moi la haine de nos braves voisins.

Mais il n’y a pas que la guerre dans la vie, il y a la révolte aussi, si mes souvenirs sont bons. Puisque notre confédération se relâche et s’oublie dans la mollesse trompeuse d’un confort encore là, réveillons-la aux sons tapageurs de l’émeute ! Tous au château ! Fourches, piques, marteaux en avant, et sus aux ruminants papivores ! Qu’un grandiose mouvement converge enfin vers le plat pays, que des colonnes joyeusement dépenaillées crapahutent jusqu’à la citadelle honnie ! Cher peuple européen, bien sûr que tu n’existes pas, mais tu naîtras enfin en cette journée de sang et d’or, si jamais elle existe ! Tu surgiras dans l’Histoire comme un grand fauve aux babines frémissantes ! Et grâce à toi les flasques figures de nos gestionnaires adipeux feront leur entrée aussi ! Sur des piques ! Vous vouliez de l’identité européenne, de l’événement fondateur, du sentiment d’appartenance ? Un Letton tient les cheveux, un Grec tranche la gorge, en voilà deux qui resteront inséparables.

Elle est pas belle, l’Europe ?



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est conseiller culturel.

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