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L’autorité a perdu son procès


Photo : deneux_jacques

Le respect, tout le monde est pour. Et tout le monde y a droit. Enfin surtout les jeunes. Et surtout quand ils insultent leurs aînés. Telle est la leçon du jugement ahurissant rendu vendredi par le tribunal correctionnel d’Avesnes, dans le Nord, qui a condamné le maire de Cousolre, commune de 2500 habitants, à payer 1000,00 euros d’amende et 250,00 euros de dommages et intérêts à sa victime.
Il faut dire que derrière ses airs de sexagénaire bonhomme, Maurice Boisard est un dangereux délinquant : le 24 août 2010, il avait giflé un adolescent de 15 ans qui venait, entre autres, de le traiter de « bâtard ». Le genre caïd d’opérette qui trompe l’ennui en braillant en pleine nuit sous les fenêtres de ses voisins ou en ricanant pendant que les anciens combattants commémorent le 18 juin.

Sur son blog, Pascale Robert-Diard révèle, dans un récit édifiant, les circonstances de l’incident et l’atmosphère surréaliste de l’audience.
Ce jour-là, le maire engueule le jeune mal élevé après l’avoir vu escalader un grillage qui vient d’être réparé – moyennant 10.000 euros – pour récupérer un ballon tombé dans l’enceinte d’un bâtiment communal. Le délicat jeune homme veut qu’on lui cause meilleur. Respect, vous dis-je ! Il insulte le maire, la gifle part. Une gifle ! C’est un tortionnaire, ce Boisard. Le jeune homme se déchaîne : « Fils de pute, je vais niquer ta mère, attends si t’es un homme, je vais te tuer ! » Décidé à laver l’affront, il rentre chez lui et revient muni de deux couteaux avant que ses copains le désarment – s’il s’en était servi, le juge aurait sans doute conclu à la légitime défense.

Le maire porte plainte pour outrages. On aurait pu imaginer que les parents, informés de la gifle infligée à leur rejeton, lui en aient flanqué une deuxième, histoire de lui apprendre les bonnes manières. Que nenni. À leur tour, ils portent plainte pour « violences » contre l’élu : « Personne, même les notables, n’est au-dessus des lois », commentera le père, fort sourcilleux sur la morale républicaine à défaut de l’être sur la morale tout court. Un tribunal pour mineurs condamne l’emmerdeur multirécidiviste – qui a reconnu les faits – à 250,00 euros d’amende – qu’il récupèrera donc en dommages et intérêts.

Mais le plus terrifiant, dans l’affaire, c’est le réquisitoire du Procureur. C’est qu’il a des tas d’idées sur la jeunesse, Bernard Beffy : « On voudrait savoir, Coulsore, c’est Chicago des années 30 ? Heureusement que vous n’êtes pas maire de Montfermeil, Monsieur Boisard ! » Où irait-on si on autorisait tous les maires de France à gifler leurs administrés ? Ce serait l’anarchie, le chaos, la chienlit ! Tous ces élus en liberté face à de pauvres enfants sans défense, ça fait froid dans le dos. On se dit qu’heureusement, Bernard Beffy n’est pas procureur à Bobigny. Il poursuit sa petite leçon de morale civique : « À 62 ans, vous êtes d’autant moins pardonnable de vous être laissé aller à un emportement contre un jeune de 16 ans, ces jeunes auxquels notre génération laisse si peu d’espoir. » Nous y voilà : le voyou est une victime. Respect, bordel de merde ! « La jeunesse est insolente, turbulente, mais ce n’est pas un délit qu’il faut réprimer », conclut le procureur avant de requérir 500 euros d’amende. Il a raison monsieur Beffy, un môme qui insulte et menace, quelle délicieuse insolence ! Sur ce coup-là, même Les Inrocks n’auraient pas osé – enfin je crois.

Le tribunal doublera la mise : une telle violence commise par un « dépositaire de l’autorité publique », c’est intolérable. Ce juge peut être rassuré : l’autorité a été jugée, et l’autorité a été condamnée – par lui. Il est vrai que l’autorité c’est fasciste, l’éducation aussi d’ailleurs. On se prend à rêver de mutations à Saint-Pierre et Miquelon où les deux magistrats au grand cœur pourraient éduquer les baleines.
Voilà à quoi ressemble, certains jours, la justice rendue au nom du peuple français. Alors vous, je ne sais pas, mais moi, que des magistrats puissent être, en mon nom, aussi dangereusement irresponsables, aussi fanatiquement stupides, ça me fiche la trouille.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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