Accueil Société Jeannette Bougrab: « On vous traite de raciste et d’islamophobe quand vous êtes laïque »

Jeannette Bougrab: « On vous traite de raciste et d’islamophobe quand vous êtes laïque »

Entretien (1/2)


Jeannette Bougrab: « On vous traite de raciste et d’islamophobe quand vous êtes laïque »
Jeannette Bougrab. Sipa. Numéro de reportage : 00715364_000003.

Quelques semaines après la tuerie de Charlie Hebdo, Jeannette Bougrab est partie vivre en Finlande où elle poursuit une mission de coopération universitaire. De Septentrion, elle a rédigé sa Lettre d’exil : la barbarie et nous (Cerf, 2017) dans laquelle elle réaffirme sa foi dans la laïcité. Pour Causeur, Bougrab a accepté d’éprouver ses convictions républicaines à l’heure où les djihadistes maintiennent une menace constante sur la France et le monde. Entretien sans complaisance (1/2).


Daoud Boughezala. Dans votre livre Lettre d’exil (Le Cerf, 2017)  afin de combattre l’islamisme, vous exigez d’« expulser l’islam de la cité ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Jeannette Bougrab. Je dis simplement que la loi de 1905 a séparé les Eglises de l’Etat. Or, même si l’islam n’était à l’époque pas concerné, cette loi doit s’appliquer à l’islam. Les grands républicains comme Gambetta, Clémenceau ou Ferry ont arraché aux cultes l’idée que le religieux ne devait pas se mêler de la vie de la cité. Il n’y a pas de raison d’accorder de traitement différencié à l’islam.

Mais la loi de 1905 a consacré – si j’ose dire – un sécularisme déjà installé dans les esprits modernes. Si j’en crois les enquêtes de l’Institut Montaigne, une bonne part des musulmans de France font passer la charia avant la loi française. Comment faire respecter la laïcité aux réfractaires ?

Les lois de la République s’imposent à tous les citoyens de manière égale sans que l’on doive savoir – sauf travail de recherche universitaire – si tous l’acceptent. Les lois ne s’appliquent pas au gré des individus ! C’est ce qu’on appelle la volonté générale. J’ajoute que les difficultés posées par les conceptions politiques de l’islam ne datent pas d’hier. Si on prend le cas de la France, on peut les faire remonter aux premières affaires de voile dans un collège de Creil en 1989. Lionel Jospin, alors ministre de l’Education nationale, avait saisi le Conseil d’Etat pour ne pas avoir à trancher. On aurait dû imposer la laïcité au lieu d’attendre la loi de 2004 sur les signes ostensibles de religion à l’école. La République est parfois hésitante et fragile, pas sûre de ses positions et recourt à des stratégies pour éviter de décider.

Puisque vous remontez aux années 1980, n’est-ce pas l’antiracisme institutionnel (SOS Racisme, Mrap, Licra) qui a éteint un certain nombre de débats en la matière ?

La faute originelle du mouvement antiraciste date des années 1980. Au moment des premières affaire de voile, des intellectuelles comme Gisèle Halimi ou Elisabeth Badinter ont pris fait et cause pour la laïcité. On les a accusées de faire le jeu du Front national, raison pour laquelle Halimi a quitté SOS Racisme. Dans Fausses routes, Elisabeth Badinter revient sur cet épisode. Ceux qui défendent la laïcité en France depuis trente ans ont subi le même sort. Ayez en tête que la laïcité n’est pas un principe comme les autres. Elle permet l’émancipation des femmes, notamment face à une religion qui considère par essence les femmes comme inférieures à l’homme. On vous traite de raciste et d’islamophobe quand vous êtes laïque. Elisabeth Badinter explique bien que l’accusation d’islamophobie est utilisée comme une arme pour faire taire tout débat contradictoire sur l’islam.

Je trouve ça triste que depuis des années, l’Occident ferme le débat alors que des intellectuels venus du monde arabo-musulman ont le courage de l’ouvrir.

A qui pensez-vous ?

Les héritiers des Lumières que sont Boualem Sansal et Kamel Daoud incarnent la liberté face à l’islamisme. Mais au lieu de soutenir ces intellectuels courageux, on les accuse d’islamophobie en France… Dans mon livre, je cite aussi le philosophe Mohamed Arkoun, co-auteur avec Joseph Maïla du livre De Manhattan à Bagdad : Au-delà du bien et du mal, deux ans après les attentats du 11 septembre. Il disait bien qu’on doit pouvoir regarder l’islam dans sa réalité, et non pas comme un phénomène atemporel. Il faut voir l’islam tel qu’il est, et non pas tel qu’on aimerait qu’il soit. Mohamed Arkoun, qui tenait la chaire d’islamologie à la Sorbonne, appelait à ne pas écarter l’élément islamique du terrorisme. En le relisant, on se dit que le débat sur ces questions a plutôt régressé en France depuis quinze ans !

Pourtant, au fil des attentats, tout en évitant les « amalgames », de moins en moins de responsables politiques nient le caractère islamique du terrorisme djihadiste…

Depuis plus de deux ans que j’ai quitté la France, il me semble en effet qu’on a un peu progressé de ce côté. Mais en même temps, au cours des débats parlementaires sur la loi antiterroriste, le député mélenchoniste Alexis Corbière a attaqué Manuel Valls de manière très dérangeante. Tout cela parce que Valls avait dit, à raison, que le terrorisme n’a rien à voir avec le chômage et les causes sociales, ce qui lui avait valu les applaudissements du Front national. Manuel Valls a été un grand Premier ministre, l’un des rares politiques à venir nous soutenir dès 2010 lorsque j’ai témoigné en faveur de la crèche Baby-Loup au Conseil des prudhommes de Mantes-la-Jolie.

A propos, quelles leçons retenez-vous de cette affaire opposant une directrice de crèche de Chanteloup-les-Vignes à l’une de ses employées voilée ? Après moult péripéties, la justice vous a finalement donné raison…

Je trouve cela triste que Baby-Loup ait été obligé de déménager. Même si la Cour de Cassation nous a finalement donné raison, c’est un échec de la lutte contre les fondamentalismes. A Chanteloup-les-Vignes, la crèche était située dans un quartier hautement symbolique puisque c’est là-bas que Matthieu Kassovitz a tourné La Haine. On y trouve de tout, aussi bien des islamistes que du deal. Ne nous leurrons pas : les terroristes sont souvent connus des services de police pour des faits de droit commun.

…et sont presque toujours issus de l’immigration afro-maghrébine. Que s’est-il passé en quelques années pour que celle-ci devienne un vivier d’islamistes, voire de djihadistes ?

Je refuse de lier le djihadisme à l’immigration. Nous sommes face à une défaillance des institutions républicaines. Preuve en est, le discours djihadiste arrive à happer bien au-delà de la communauté musulmane. Rappelez-vous de la filière bretonne, dont Paris Match avait parlé l’an dernier, symbole de l’échec de la République.

Certes, mais la conversion de français de souche ne contredit pas ce constat. D’ailleurs, des pays de l’Est comme la Pologne ou la Hongrie, non-concernés par l’immigration musulmane massive, n’ont subi aucun attentat…

Je ne vois pas d’alternative valable dans le modèle polonais car je place les droits des femmes avant tout. Or la Pologne s’oppose à l’avortement.  Personnellement, je mesure un Etat de droit à l’aune des droits des femmes. Aussi, je ne peux pas accepter que la liberté de disposer de son corps soit attaquée, fût-ce sous un autre fondement que l’islam.

Dans ce cas, avec quelles armes comptez-vous mener bataille ?

On doit mener une guerre idéologique contre les terroristes, pour qui le rite le plus important est le passage à l’acte. Mais face à ces gens qui subliment la mort, on ne propose aucun discours alternatif. Autrefois, l’école permettait qu’un enfant de paysan puisse passer son certificat d’études et un jour devenir instituteur. C’est pourquoi le grand philosophe américain Michael Walzer explique bien que notre plus grande faiblesse se situe dans cette bataille idéologie. Au lieu de construire de nouvelles mosquées pour combattre la radicalisation, on devrait proposer de réenchanter la République des hussards noirs.

Retrouvez la deuxième partie de l’entretien: Jeannette Bougrab: « En banlieue, certains parents bénéficient de l’argent de la drogue »


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est journaliste.

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