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J’ai survécu aux soldes


Photo : Alexandre R. Costa

J’ai donc fait les soldes. Oui : en tant que fille, j’y suis allée. Je sais que Caroline de Haas et le collectif La Barbe y verraient un signe tangible de la régression planétaire de la condition féminine. Mais il se trouve que j’avais besoin d’une petite chemise élégante pour l’assortir – comble de l’horreur, summum de la traîtrise – avec une jupe.

Je me suis d’abord rendue aux Galeries Lafayette, par habitude, et aussi parce qu’elles disposent d’un rayon « chaussures et souliers ». Le mot « souliers », délicieusement désuet, ravit mon petit cœur sensible de rétrograde du langage. Je m’y suis rendue en tenue de sport. Oui, je sais : pour essayer une jolie liquette, le bas de jogging n’est pas la panacée. Mais pour une baston dans les rayons, croyez-moi, c’est plus pratique. D’ailleurs, dans cette entreprise périlleuse, je faillis perdre la vie plusieurs fois. Jugez plutôt.

Alors que je marchai dans la rue, me dirigeant résolument vers l’entrée de Lafayette femmes, vêtue d’un vieux survêt’ et de baskets Nike qui me donnent dix ans de moins et la dégaine d’une jeune lascarde, un type dégingandé m’interpella en ces termes choisis : « salut la miss ! ». Je refusai de répondre car je ne tends pas la fesse gauche lorsque l’on m’a pincé la droite.

Furieux, le gars me rattrapa et m’asséna un borborygme que j’eus la générosité de considérer comme une remontrance : « la vérité, pétasse, pourquoi qu’tu réponds pas ? ». Je lui décochai alors un sourire glacé surmonté d’un regard torve, et répondis : « espèce de petit con, qu’est-ce que c’est que cette manière paternaliste d’interpeller les gens ? Je crois avoir atteint l’âge où désormais, j’ai droit à ce que les croque-morts s’intéressent à mes mensurations, mais où je peux aussi exiger les types dans ton genre ne s’y intéressent plus ».
Si l’homme renonça à m’occire, c’est parce qu’il mourut le premier. C’est en tout cas ce que je suppose, car il devint soudain complètement immobile.

Je finis par entrer dans le centre commercial, où l’atmosphère était vraiment soldissime. Je vous épargne la narration de ce qui s’y passa. Vous n’avez qu’à faire les boutiques comme tout le monde, et vous le saurez. Je mentionne simplement ce détail : j’oubliai quelques instants un paquet dans un rayon. Je m’en avisai alors que je descendais tranquillement à l’étage du dessous en escalier roulant. Je fis immédiatement volte-face et remontai cette saloperie d’escalier qui s’obstinait à descendre. J’eus droit à une pluie de quolibets, et à cette remarque acide d’une petite femme replète et matoise : « vous n’êtes pas dans le bon sens ! ». « Ah bon ? » lui fis-je « vous croyez que c’est pour ça que c’est un peu dur ? ».

Après les Galeries Lafayette, j’avais chaud, j’avais soif, et j’avais la migraine. Je décidai pourtant d’aller me finir au Printemps, où mon cœur et ton cœur sont repeints au vin blanc.

Arrivée dans cet endroit surchauffé rempli de Japonaises en goguette et de Françaises en RTT, j’allai chiner un peu dans ma boutique favorite. J’observai bien vite que la mode, cette année, est au marronnasse. En effet, tout était taupe. Des robes taupe, des chemises taupe, des pantalons taupe, des manteaux taupe. Aussi me sermonnai-je in petto, moi qui ne possède rien dans cette teinte : « est-il vraiment raisonnable de se balader taupe-less ? ».

J’achetai finalement un machin taupe dont je n’avais nul besoin, et que je payai un prix défiant à la fois toute décence et toute clémence. En revanche, je ne trouvai point la chemise convoitée. Heureusement, et cela m’emplit de joie, ce n’était que le premier jour des soldes. Or vous savez quoi ? Ca dure cinq semaines ! Soldissime, n’est-ce pas ?



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est blogueuse (L'arène nue)

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