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J’ai deux Zemmour


J’ai deux Zemmour

Le moyen le plus simple pour perdre des amis, ou faire le tri, est assez simple. Il suffit de dire ce que l’on pense vraiment sur certains sujets comme, au hasard, l’islam, le vin naturel, la délinquance, le conflit israélo-palestinien, le retour de la mode des gros sacs chez les filles ou le procès fait à Eric Zemmour. J’ai donc décidé d’en avoir beaucoup moins, d’amis, en disant que je trouve absolument scandaleux qu’Eric Zemmour soit poursuivi devant les tribunaux. Je sais très bien ce qui va se passer mais c’est plus fort que moi.

À gauche, on va me soupçonner (on est souvent suspicieux à gauche). On va dire qu’au fond, j’ai toujours été de droite et qu’il n’y a qu’à faire un tour dans ma bibliothèque pour le savoir. Ça passe son temps à lire Bloy et Bernanos, Drieu et Nimier et ça vient se prétendre communiste.
À droite, on va ricaner (on est souvent ricaneur à droite). On va dire que je veux faire mon malin, mon anticonformiste mais au fond, que je suis toujours pour l’appropriation collective des moyens de production et que si ça se trouve, je pense que le bilan des pays de l’Est est globalement positif. Sans compter que l’on m’a vu soutenir Julien Coupat et que je passe son temps à dire du bien des étudiants anglais et des anarchistes grecs.
En fait, j’ai envie de défendre Eric Zemmour malgré Eric Zemmour.

Je m’explique. Eric Zemmour est poursuivi parce qu’il a fait du Eric Zemmour. Ça nous guette tous. Quand l’homme politique, le polémiste, le poète, l’écrivain, le journaliste sont trop sollicités, ils s’auto-pastichent, se caricaturent et finissent toujours par se ridiculiser ou par dire une bêtise. Paul Verlaine, qui avait compris ce danger, avait décidé de le prévenir et avait lui-même écrit un poème intitulé « Dans le genre de Paul Verlaine », histoire de montrer qu’il était conscient de ses tics.
Eric Zemmour aurait dû faire du Eric Zemmour en privé et pas chez Ardisson dont on sait qu’il a une vieille pratique de l’interview conçue comme une chasse à l’homme sauf chez ceux qui font l’unanimité médiatique du moment. Eric Zemmour a fait du Eric Zemmour à cause de nous tous, aussi, nous ses auditeurs, ses lecteurs, ses spectateurs qui le détestons, l’aimons et parfois les deux à la fois.

Par exemple, Zemmour a fait du Zemmour pour être encore plus aimé par une droite populaire et dure. Résultat, on finit par être aimé par le député tourquennois Christian Vanneste pour qui Marine Le Pen est une gauchiste, les homosexuels des sous-hommes et la France une nation chrétienne, forcément chrétienne, une nation qui fait n’importe quoi depuis, mettons, 1789. Quand j’ai appris que Christian Vanneste soutenait Eric Zemmour, je me suis dit que même si je n’étais pas toujours d’accord avec lui, il ne méritait pas ça, Zemmour. Et j’ai tout de suite pensé, allez savoir pourquoi, au titre du film qui a raconté le procès contre Charlie Hebdo au moment des caricatures de Mahomet.
Mais Zemmour a aussi fait du Zemmour pour être encore plus détesté. Etre détesté est un grand plaisir narcissique, ce que ne savent pas les gens qui vous détestent car s’ils le savaient, ils cesseraient de vous détester pour ne pas vous faire plaisir. Le champion de la détestation zemmourienne, je crois, c’est Claude Askolovitch. Pour Claude Askolovitch, quand on dit le mot France, on est déjà fasciste. Et quand on dit le mot France et qu’on est de gauche, on finit par devenir fasciste un jour ou l’autre. Le syllogisme de la mort.

La preuve, nous dit Askolovitch, Chevènement soutient Zemmour. Tiens, encore une bonne raison de soutenir Zemmour, ça, pour moi. Chevènement a beau avoir un peu oublié le volet antilibéral de son souverainisme, c’est tout de même en participant à sa campagne de 2002 qu’il m’est arrivé deux choses bénéfiques : ma rencontre avec Elisabeth Levy et la possibilité de penser enfin à peu près clairement l’articulation entre nation et progrès social, quand règne partout la mondialisation.
Tenez, je pense que Zemmour, au bout du compte, n’est pas attaqué pour ce que l’on dit dans les gazettes mais parce qu’il critique la mondialisation et l’Union Européenne de façon tout aussi virulente qu’un altermondialiste dans un séminaire sur le commerce équitable à Porto Alegre. Et que l’on n’est pas habitué à ce que ce genre d’attaque vienne de ce côté là. Ou alors qu’on lui en veut, dans une société de l’indifférenciation sexuelle programmée, pour avoir rappelé, un peu brutalement, que le transgenre n’était pas forcément l’horizon indépassable des rapports homme/femme.

On sait très bien, depuis l’Antiquité, que les porteurs de mauvaises nouvelles paient pour la mauvaise nouvelle. On fait semblant, quand on les traduit devant les tribunaux, de leur en vouloir pour une chose, par exemple l’immoralité pour Flaubert ou l’antisémitisme pour Céline. Alors que c’est en fait pour l’angle de vue inédit (on appelle parfois aussi cela le style) apportés sur nos manques et nos lâchetés qu’ils sont cloués aux gémonies et voués au pilori, à moins que ce ne soit le contraire.
Pourquoi est-il poursuivi, d’ailleurs, Zemmour ? Parce qu’il a dit que la plupart des trafiquants en prison étaient noirs et arabes. Et alors, pour avoir fait quelques ateliers d’écriture en milieu carcéral, comme on dit, même pour moi, c’est évident. Il aurait même pu ajouter qu’on trouve aussi des Gitans, souvent spécialisés dans le braquage.
J’ai mon idée, de gauche, sur le pourquoi de cette surreprésentation. Ce n’est pas celle de Zemmour. Enfin, je ne crois pas.
Mais a-t-il dit pour autant, un seul instant, qu’ils étaient là en raison de prédispositions génétiques ou pour des raisons de formule sanguine ? Il ne me semble pas. S’il l’avait dit, cela aurait été, effectivement, raciste. Là, il a juste oublié de terminer sa phrase, ce qu’il fait si bien quand il écrit Petit frère, qui n’est pas aussi bon sur le même sujet que Ils sont votre épouvante de Thierry Jonquet, mais qui n’est pas mal tout de même. Il pense que c’est dû à la mondialisation qui a fait perdre le sentiment d’appartenance à une même nation qu’il définit à la Renan comme un plébiscite renouvelé chaque jour. Jusque-là, je serais plutôt du même avis.
Pour le reste, savoir pourquoi il y a des gens dans les quartiers qui ne participent plus au plébiscite (mais est-ce que les patrons délocaliseurs et les exilés fiscaux y participent encore, eux ?), on a le droit d’apporter la réponse que l’on veut.

Zemmour estime que l’islam y est pour beaucoup. D’autres pensent que c’est un facteur parmi d’autres, et plutôt marginal. J’en fais partie.
Le principal est de pouvoir en discuter. Jusqu’au bout.
Quitte à s’engueuler gravement. Mais loin des prétoires. Très loin. Sinon, la France va finir par ressembler à une série judiciaire américaine. Et elle a beau être esquintée, fébrile, angoissée, elle mérite mieux que ça, je trouve, la France.



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