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Sommet de Pau: notre difficile combat aéroterrestre au Sahel

Emmanuel Macron réunit le G5 Sahel à Pau


Sommet de Pau: notre difficile combat aéroterrestre au Sahel
Emmanuel Macron entouré des chefs d'Etat du G5 Sahel, hier, à Pau. Ils ont rendu hommage aux sept des Palois du 5e RHC de Pau morts au Mali en novembre 2019 © Thibaud Moritz-POOL/SIPA Numéro de reportage: 00939960_000018

Le sommet de Pau avec les pays du G5 Sahel a eu lieu hier. Le Président Macron y a confirmé la poursuite de l’engagement de la France. Au Mali, le combat aéroterrestre des Français contre les groupes terroristes armés s’avère pourtant délicat. Analyse de notre situation militaire là-bas.


Les Français ont rendu un vibrant hommage à nos treize soldats tués au Mali le 25 novembre 2019 dans une collision d’hélicoptères lors d’une opération de nuit contre des groupes terroristes armés (GAT). Ils se posent toutefois des questions sur les conditions d’advenue d’un tel accident. Ils se sont aussi interrogés sur les raisons et les conditions politiques et militaires de cet engagement, qui dure depuis janvier 2013, dans les pays du Sahel. Les militaires remplissent leur mission, à l’ouverture de ce sommet de Pau, aujourd’hui 13 janvier 2020, nos politiques doivent affronter la leur. 

Un cadre d’engagement militaire multinational fragile

Cette opération a en effet débuté le 11 janvier 2013 à l’appel du gouvernement malien dont l’armée avait été balayée par une colonne de djihadistes venue du nord qui s’enfonçait vers le sud et menaçait la capitale Bamako. L’opération Sabre, puis la puissante opération Serval lancée en quelques jours, permirent d’arrêter puis de chasser les groupes terroristes islamistes vers le nord et de les détruire dans le massif des Ifoghas. Le 1er août 2014 débutait l’opération Barkhane avec le triple objectif de lutter contre les GAT résiduels, de développer un partenariat militaire opérationnel avec les forces armées des pays du G5 Sahel[tooltips content= »Organisation militaire intégrée des cinq pays de la zone (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso), en cours de montée en puissance »](1)[/tooltips] (instruction et soutien opérationnel), de renforcer la coordination des moyens militaires internationaux. 

En effet, États souverains, les pays du Sahel sont les premiers responsables de la sécurité de leurs citoyens « […] c’est aux autorités de transition maliennes qu’il incombe au premier chef de régler les problèmes interdépendants auxquels le pays fait face et de protéger tous les citoyens » [tooltips content= »Résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies n° 2100 du 25 avril 2013″](2)[/tooltips] déclare le Conseil de sécurité des Nations-Unis en avril 2013. Mais leurs armées, tout comme leurs forces de sécurité intérieure, ont besoin d’être formées et accompagnées dans leurs opérations. 

Outre la France impliquée dans ces actions, l’Union européenne déploie, depuis le 13 février 2013, une mission d’entrainement au profit de l’armée malienne (European Union Training Mission – EUTM – 600 militaires venant de 22 pays) et deux missions d’entrainement des forces de police, l’une au Mali, l’autre au Niger (EUCAP Sahel Mali depuis 2015 et EUCAP Sahel Niger depuis 2012). L’ONU déploie, depuis 2013, une mission multidimensionnelle (MINUSMA) avec un contingent militaire (13 289) fourni par 55 nations et un contingent de police avec 1 920 policiers venant de 29 nations. Si les EUTM sont centrées sur la formation, la MINUSMA doit aussi agir sur le terrain, en appui aux autorités maliennes pour « stabiliser les principales agglomérations, […], écarter les menaces et prendre activement des dispositions afin d’empêcher le retour d’éléments armés » [tooltips content= »Ibidem »](3)[/tooltips], en clair combattre les GAT et tous les autres groupes armés. Par cette résolution n° 2100, la France est confirmée dans son rôle d’appui à la MINUSMA en cas de « danger grave et imminent » et de coordination des actions des différents acteurs.

Le rôle militaire de la France, sous la double légitimité de l’appel à l’aide des États souverains de la région et d’un mandat du Conseil de Sécurité des Nations Unies, n’est donc pas d’assurer une présence ubiquiste aux fins de sécuriser localement les populations, mais d’être capable de détecter les montées en puissance des GAT et de détruire immédiatement toute concentration significative. Soit par une action autonome, soit en coordination avec les armées locales, ou les forces de l’ONU ou du G5 Sahel. Et elle ne peut faire que cela compte tenu de l’ampleur de la zone (1 000 km nord-sud et 3 000 km est-ouest) dans laquelle ses 4 500 soldats ne peuvent assurer une présence permanente. Mais, de toutes les forces militaires déployées, elle est seule à pouvoir le faire grâce aux moyens de frappe et de transport de l’armée de l’Air et à la capacité d’aérocombat de l’armée de Terre qui permet les actions rapides à grandes distances des bases.

L’aérocombat, capacité indispensable pour la mission de l’armée de Terre au Sahel

C’est justement cette capacité d’aérocombat avec sa triple exigence technique, tactique et éthique qui a été mise à contribution le 25 novembre dernier, comme pour toutes les très nombreuses opérations conduites par Barkhane dans la zone depuis 2014. 

Exigence technique de maitriser le vol et le combat de nuit pour garantir la permanence des hélicoptères aux côtés des forces terrestres. Avec l’introduction des jumelles de vision nocturne utilisant le procédé d’intensification de lumière pour le pilotage dans les années 1970 puis la thermographie pour le renseignement et le tir dans les années 1980, l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) peut combattre de nuit. Il faut cependant retenir qu’au Sahel, l’absence de luminosité résiduelle et l’uniformité thermique du sol nu diminuent les capacités de ces équipements de vision et de tir. En outre, le souci de ne pas entrer dans le volume de tir ennemi restreint les options d’évolution. Enfin, il n’y a jamais de « tôle froissée » pour les hélicoptères. En cas de collision, les impacts touchent en premier le rotor qui, animé d’une vitesse de rotation très élevée, se désarticule sous le choc et entraine la chute de l’appareil.

Exigence tactique de l’aérocombat qui repose sur une coordination et une imbrication des manœuvres au sol et en vol qui se fournissent un appui réciproque et, par une occupation totale de l’espace aéroterrestre, permettent de prendre l’ascendant sur l’ennemi et le détruire. Cette tactique de l’aérocombat lie les hélicoptères à la manœuvre terrestre, permettant de conjuguer et amplifier de façon exponentielle les effets terrestres et aériens. Et elle crée des obligations réciproques de parfaite connaissance des procédures, de parfaite entente et de soutien mutuel. 

Ces obligations découlent certes des procédures tactiques, mais aussi d’une exigence éthique

L’aérocombattant dans son hélicoptère sait que son rôle dans la manœuvre aéroterrestre est capital. Il doit donc nécessairement évaluer les risques de sa mission en prenant aussi en considération les dangers qu’il fait courir à ses camarades d’armes terrestres s’il n’agit pas. L’aérocombat n’est pas une action isolée mais une action d’équipe dans laquelle l’hélicoptère joue un rôle majeur. L’arrivée d’un Tigre (ou une Gazelle) avec sa puissance de feu et ses angles de tirs déroutants pour l’ennemi au sol ; l’héliportage d’assaut d’une unité sur le flanc ennemi ; les évacuations sanitaires au contact, sont autant de cas rencontrés de multiples fois qui ont créés un sens aigu de responsabilité vis-à-vis des combattants au sol chez les équipages de l’ALAT et une reconnaissance, par ces combattants, du rôle crucial des aérocombattants. 

L’éthique de responsabilité vis-à-vis de la mission et des frères d’armes est le ciment de l’aérocombat. Le 25 novembre 2019, encore une fois, les équipages de l’ALAT y ont répondu, tout comme les soldats du groupement commando montagne (GCM) de la 27eme brigade d’infanterie de montagne qui rejoignaient le combat pour renforcer leurs camarades engagés au sol.

Un contexte d’action politico-stratégique en constante dégradation 

N’éludons pas néanmoins les questions qui se posent les Français sur cette guerre et les problèmes à affronter pour la gagner. 

Les problèmes non résolus sont les faibles volonté et implication des dirigeants maliens et des groupes combattants, dénoncées par de multiples résolutions du CSNU[tooltips content= »Neuf résolutions successives du CSNU depuis avril 2013″](4)[/tooltips] et par l’Observateur indépendant [tooltips content= »Le Centre Carter a été désigné pour suivre le processus de réconciliation au Mali issu du processus d’Alger de 2015, www.cartercenter.org/news/pr/2019/mali-051419.html#french »](5)[/tooltips], pour faire aboutir l’Accord pour la paix et la réconciliation ; la lenteur de la constitution des forces armées nationales et de la force G5 Sahel ; la corruption administrative qui opprime les populations ; la permanence de la criminalité, des trafics (drogue-migrants) ; l’opportunisme cynique des seigneurs de guerre locaux ; les antagonismes multiséculaires entre les ethnies et le vif ressentiment d’un passé d’oppression des uns contre les autres (esclavage). Ils sont autant de freins à la constitution d’un État de droit au Mali et à un combat efficace contre les groupes islamistes. 

De façon plus générale il faut souligner les difficultés liées aux opérations internationales, notamment de l’ONU, voire de l’UE. Engager en opération une MINUSMA composée de 55 nations pour 13 289 militaires ne prédispose pas à une efficacité opérationnelle optimale. Une armée efficace est soudée autour d’un esprit de corps né d’une histoire partagée et d’une volonté d’atteindre ensemble un objectif. Le morcellement des répartitions des postes entre de multiples nationalités et la rotation continue de leurs titulaires ne fait pas des unités multinationales des modèles d’art militaire. Et de fait la MINUSMA a déjà perdu 206 soldats ou policiers [tooltips content= »Ce qui la place en 5eme position pour les pertes parmi les opérations ONU depuis 1948″](6)[/tooltips], la plupart lors des attaques contre leurs bases. C’est dire aussi quelle serait l’inefficacité de l’armée européenne promise par pure démagogie politique avant même que l’union politique soit réalisée.

Face à ces faiblesses, l’action militaire de la France par son esprit de corps, sa solidité et son efficacité attire tous les espoirs et aussi toutes les haines. Elle remporte jour après jour d’indéniables victoires tactiques en empêchant la montée en puissance organisée des GAT. Mais elle voit la victoire stratégique s’éloigner progressivement, enlisée dans un substrat politique et sécuritaire, qui est hors de son champ de compétence. Substrat qui devient de plus en plus délétère. La rancœur des espérances déçues et les intérêts des groupes criminels, que les islamistes savent habilement exploiter, s’agglutinent à la haine des GAT pour l’Occident et ouvrent un nouveau front de guerre psychologique que les efforts de Barkhane, notamment avec les multiples programmes d’action civilo-militaires, n’arrivent plus à contrer. Un investissement ferme et massif dans l’action politique vis-à-vis des gouvernements des pays du Sahel et de leurs populations travaillées par des slogans anti-français, est une urgence absolue. L’ONU, le Centre Carter le réclament, les soldats et les citoyens Français l’attendent. 

L’exigence d’une éthique de responsabilité politique 

Il y a ici une exigence d’éthique de responsabilité politique à laquelle pourrait répondre la conférence des gouvernants du G5 Sahel que la France veut réunir à Pau, mais il faudrait y affirmer fermement le prix à payer, par les égoïsmes locaux, pour le sang de nos soldats. Si la solution est « politique », ce que nous ne réfutons pas, bien au contraire, il faut que nos politiques dénoncent les incompétences politiques sur le terrain. Ce n’est pas le colonialisme d’hier qui fait le malheur de l’Afrique mais la mauvaise gouvernance d’aujourd’hui.



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est Général de division (2° S) et consultant défense et relations internationales

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