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Eva Joly ou la décroissance de l’écologie


photo : N4than!el (Flickr)

C’est donc fait. Sauf cataclysme nucléaire de dernière minute, ou glaciation brutale de l’hémisphère nord, Eva Joly devrait remporter la primaire écologiste et donc devenir la candidate Europe Ecologie-Les Verts à l’élection présidentielle. Un coup à avoir vraiment froid dans le dos. Pas parce que les militants votent pour qui ils veulent et ne se laissent pas séduire par les candidats qui plaisent aux Français moyens ou aux sondeurs pressés. Mais parce que Joly va perpétuer une tradition de l’écologie politique qui se résume en une formule assez simple : soyez nuisibles, laissez les autres faire de la politique.

Dans cette compétition, les supporters de Hulot misaient sur une ouverture massive à des autruis non décroissants (contre une inscription à 10 euros) pour emporter le morceau. Mais compte tenu de la faible ouverture de ces primaires, ce sont les écolos-tradis, ceux qui ne se lavent pas pour préserver l’avenir de nos enfants (oui, je sais, j’exagère) qui ont fait l’élection. Et pour ces Verts foncé purs et durs, l’ancien animateur TV est au mieux un « suppôt de la droite », comme l’a gentiment dit Eva Joly, au pire une marionnette du grand capital et du gel douche réunis.

Pour tenter de séduire cette vieille garde, Hulot avait pourtant gauchisé son discours, fait une croix sur le nucléaire et TF1, et essayé de faire oublier qu’il s’entendait bien avec Borloo. Il avait même engrangé des soutiens pas si nuls que ça, à commencer par celui de José Bové qui pensait Hulot capable de faire le plein de nouvelles voix vertes aux élections, ce qui semble être le but du jeu quand même.

Rien n’y a fait. Comme dit Noël Mamère, autre candidat malheureux à la candidature et lui aussi issu de la télé (mais du Service public, c’est déjà plus raccord) : « Nicolas Hulot n’est plus un animateur de télé, mais pas encore un homme politique. » À vous faire regretter d’avoir quitté le monde de l’entertainment pour faire de la politique autrement, dans un parti qui aime tellement dire qu’il n’est pas comme les autres.

Moyennant quoi, entre ici Eva Joly ! Candidate certifiée intransigeante, incorruptible, et pas très sympa. Le parfait casting pour un parti que Daniel Cohn-Bendit avait, lui aussi sans succès, essayé de changer, avant de partir bouder au Parlement européen et de chroniquer les matches de foot à la télé. Joly est plus authentique, plus raide, plus morale que son concurrent. Et bénéficie d’un autre avantage concurrentiel : je ne vois pas qui va voter pour elle. Le candidat idéal pour prendre une veste, mais en gardant les mains propres, parce que nous, les écolos, on est trop conscients, trop en avance, trop au-dessus de la masse. Eva reproduit idéalement la névrose enfouie des Verts : un parti sans militants, sans beaucoup d’élus au suffrage universel direct (mettons ça sur le compte du système uninominal à deux tours) et dont la vocation est de nuire. Surtout à ses alliés de gauche qui veulent le pouvoir pour faire des trucs et des machins.

Cela dit, il ne faudrait quand même pas nous prendre pour des billes. Si en public les Verts pratiquent l’imprécation, la mise à l’index et le refus obstiné de toute nuance, c’est pour mieux négocier en douce les circonscriptions ou les postes de sénateurs. On me dira que c’est ça, la politique. Sans doute mais pas seulement. Surtout quand on affiche une telle ambition de transformation sociale et sociétale.

Ayons un peu de mémoire : Joly n’est pas un accident de l’histoire. Qui se souvient d’Alain Lipietz, battant Noël Mamère de 91 voix au deuxième tour de la primaire écolo en 2002, avant d’être renvoyé au Parlement européen, avant la présidentielle, pour avoir commis, selon ses propres mots, une bourde « de débutant » à propos de l’amnistie des indépendantistes corses. Repêché sur le fil, Mamère avait passé les 5% des voix.

Lipietz est brillant, pas très aimable, et intransigeant : le genre écolo hardcore à la Eva Joly. Cela rassure les militants qui préfèrent vivre et agir local en faisant du compost (oui j’exagère encore) plutôt que de passer des accords de gouvernement, si ça se trouve raisonnables, avec la gauche. D’ailleurs Alain Lipietz soutient Eva Joly, et ceci depuis bien longtemps.

Dans le fond, je serais l’ex-juge, je m’inquièterais. Je crois même que j’essaierais de faire la gentille pour m’assurer que Hulot-le-suppôt me soutiendra vraiment pendant la campagne comme il l’a annoncé. Ce qui à mon avis, ne serait pas forcément un bon calcul : s’ils font campagne ensemble, en bons camarades, on ne saurait exclure qu’il lui fasse un peu d’ombre.

Nicolas (Hulot, pas Sarkozy, je ne me permettrais pas), si tu m’écoutes, ne fais pas tout de suite tes valises pour la Nouvelle-Guinée ou la Terre Adélie. Reste à Paris, calme ta rage, fais la risette aux militants bouffeurs de graines germées et fais semblant de soutenir à bloc la malaimable aux lunettes rouges. Et tiens-toi prêt, en cas de grosse bourde comme en 2002, à la remplacer au pied levé.



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est journaliste

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