Accueil Société A l’école des profs, la grammaire est « bourgeoise » et il faut laisser les élèves faire des fautes

A l’école des profs, la grammaire est « bourgeoise » et il faut laisser les élèves faire des fautes


A l’école des profs, la grammaire est « bourgeoise » et il faut laisser les élèves faire des fautes
Une école à Lyon, septembre 2016. SIPA. 00770017_000001

Ne dites plus « grammaire ». « Grammaire », c’est très mal. Dites « langue ».

Mon tuteur est effaré par ma propension à faire de la grammaire. « Mais ils n’ont rien appris en Primaire », lui dis-je. « Pas même le présent de l’indicatif. » Réflexion oiseuse. « Jennifer, me dit-il avec la patience des vrais croyants, faut que tu fasses d’la langue en t’appuyant sur un texte. Tu dois pas enseigner le complément du nom, comme t’as essayé de le faire aujourd’hui, d’une façon abstraite. Tu pars d’un texte, tu le leur fais lire, observer, tu te débrouilles pour que le savoir leur apparaisse… »

– « Mais enfin ! Je ne peux pas leur apprendre que le complément du nom peut être un adjectif, ou un nom introduit par une préposition, « de » ou « à » par exemple, ou une proposition relative… »

– « Pas de façon abstraite. Tu pars d’un texte… »

« Tu veux leur faire violence… »

Ah oui, la « grammaire de texte » opposée à la « grammaire de phrase »… L’obsession pédago !

– « Mais c’est diablement difficile, de trouver un texte — surtout un texte court — où il y aurait tout ça à la fois et rien que ça… »

– « T’as trop l’souci de l’exhaustivité. Z’ont toute leur vie pour apprendre petit à petit en fonction de leurs découvertes. C’est en construisant leurs savoirs qu’ils se construiront eux-mêmes, petit à petit. »

(Là, léger silence, de façon à bien me faire apprécier l’effet-citation de sa phrase, empruntée toute crue à quelque savant colloque de pédagogie moderne…)

– « Tu veux leur faire violence… », assène-t-il enfin.

« Fesez bien attention à respecter les consignes »

Nous en sommes donc là. Je me suis efforcée depuis la rentrée à leur faire entrer des règles dans la caboche — et puis Dieu le Père est venu m’observer en classe, et j’ai tout faux. « C’est pas comme ça que tu seras titularisée en fin d’année, Jennifer », menace-t-il. Et les cours à l’ESPE ne me disent pas autre chose. « N’enseignez pas le COD. Parlez de prédicat. » « Mais le ministre lui-même… » « Les ministres passent, la Pédagogie reste. »
Des croyants. Qui de surcroît obéissent aveuglément à ce précepte évangélique, « heureux les simples d’esprit… ».

« Fesez bien attention à respecter les consignes », dit la formatrice, prof de fac recrutée parce qu’en didactique, ils se cooptent en gros nullards. Nous n’étions pas loin de 70 stagiaires dans la salle, personne n’a bronché. Ma directrice de thèse n’en décolère pas. « Ils ont asséché toutes les créations de postes dans le Supérieur pour dix ans », constate-t-elle. Mais les élèves écrivent eux aussi « fesaient ». Alors… La langue mute sous mes yeux.

« Fesez bien attention… » Elle n’est pas la seule, à l’ESPE, à avoir avec la langue des audaces modernes. Vendredi dernier une formatrice nous diffuse un PowerPoint — l’alpha et l’oméga de la formation. Sur les deux premières diapos, l’imagination orthographique est au pouvoir. Première diapo : « les éléments qui composes », « délimiter le champs est important pour que les lecteur comprenne la situation ». Deuxième diapo : « L’objectif est donc de se poser « les bonnes question ». Un stagiaire lui demande en toute bonne foi si ce sont là des consignes orthographiques nouvelles. Réponse de l’intervenante : « J’ai fait ça à 23h, j’étais vraiment fatiguée, je vous assure, je n’avais pas bu d’alcool… » Hmm… Déculpabilise-t-elle le travail au dernier moment, l’innovation pédagogique ou la prise d’alcool ? Ou les trois à la fois ?

La note, la note, oui mais la note amie!

La même critique férocement Blanquer, arguant de son autorité d’enseignante du Supérieur. Et elle s’appelle Jennyfer comme moi — mais avec un –y-, ça fait plus « staïle », comme disent les mômes…

À noter que ces dérives orthographiques si créatives se généralisent. Un professeur de lycée, à en croire l’excellent site Bescherelletamère, a distribué ça à ses élèves :

proffff

Faut pas avoir honte !

Cette même semaine, j’ai découvert la notation positive. En Sixième, ou en Cinquième, pas question de faire une dictée non préparée. Et dans cette dictée, pas question de noter autre chose que les mots spécifiquement préparés. Et pas question que cette dictée fasse plus de cinq lignes. Il ne faut pas décourager les élèves…

Ah ? Ma foi, il m’est arrivé au cours de mes études de me prendre des tôles, je n’en suis pas morte. Mais apparemment, les loupiots d’aujourd’hui ont le cuir moins épais.
Et ils ont une créativité sans bornes. Due peut-être au fait qu’ils écrivent ce qu’ils croient entendre (prononcez-moi croyent, sale bande d’impies ! les élèves le disent, mes « collègues » le disent, mes professeurs de (dés)ESPE le disent !), et comme ils n’écoutent pas vraiment…

« Si nous voulons créer plus d’égalité parmi nos élèves, nous devons respecter leur choix de simplifier la langue… »

Une créativité due aussi au fait qu’ils n’ont rigoureusement rien appris en Primaire. Rien.
Et puis ils réinventent l’orthographe selon des règles qui leur appartiennent. Un sujet pluriel régit une forme verbale en « s », puisque c’est un pluriel. « Les chats miaules ». « Très bien », dit mon tuteur. « Il a saisi qu’il y avait un pluriel. » Oui — mais « les chats miole », je le note comment ? « Dis-moi, Jennifer, en anglais, à la troisième personne du pluriel, la forme du verbe est inchangée, n’est-ce pas… We love, you love, they love… Pourquoi le français persiste-t-il à compliquer les choses, sinon pour perpétuer les différences sociales, chaque classe sociale n’ayant pas le même accès au langage… Si nous voulons créer plus d’égalité parmi nos élèves, nous devons respecter leur choix de simplifier la langue… Tu n’es quand même pas une bourgeoise, si ? » Le vieux tourneur guevariste qui…

Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli

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