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Eros français, Eros secret…


En son temps, aux éditions Seghers, le regretté Marcel Béalu avait publié une admirable anthologie de la poésie érotique française. Il avait montré notamment que peu de poètes, même dans ceux qui sont révérés dans les manuels scolaires, avaient échappé à la tentation de célébrer le sexe, parfois dans des termes extrêmement crus. Il avait aussi donné une place importante aux surréalistes dont on sait que l’amour fou fut la grande préoccupation. À l’époque, d’ailleurs, Béalu ne pouvait encore affirmer avec certitude que l’auteur du Con d’Irène, cette longue méditation en prose centrée autour d’un sexe de femme, était Louis Aragon. On le sait maintenant et on en retrouvera un extrait dans Eros émerveillé, anthologie de 350 poèmes choisis par Zéno Bianu pour la collection Poésie/Gallimard : « Touchez, mais touchez donc : vous ne sauriez faire un meilleur emploi de vos mains. »[access capability= »lire_inedits »]

Dans Eros émerveillé, on saluera le souci d’exhaustivité pour rendre compte de cette poésie secrète et joyeuse, obscène et lyrique, dangereuse et subversive. Il est parfois arrivé, en effet, que l’on meure pour avoir écrit des vers trop sulfureux à l’exemple de Claude Le Petit, brûlé vif à 23 ans, en 1667, pour « blasphèmes et impiétés », mais qui a eu le temps de laisser le Bordel des Muses, un de ces textes obsessionnels où l’écriture se confronte à ses propres limites de manière étonnamment moderne : « Foutez tout, mais souffrez aussi / Si vous foutez dans l’autre monde / Que nous foutions dans celui-ci ! »

Bien sûr, Eros émerveillé recouvre sous le vocable d’érotisme des choses bien différentes. On aura le droit de trouver ennuyeux l’érotisme intellectualisé de Georges Bataille et de ses épigones qui ont une fâcheuse tendance à confondre le sexe et la métaphysique, le sexe et la politique, le sexe et la transgression en oubliant au passage que le sexe est aussi, simplement, le sexe. On pourra aussi, à l’inverse, se lasser de la gauloiserie systématique de certains poètes dont on sent bien qu’ils se livrent à un exercice de style presque obligé et désarment par le rire le trouble qu’ils ne veulent pas éprouver.

Mais, il s’agit là, bien entendu, d’une appréciation purement subjective de votre serviteur qui reste, lui, fasciné par l’équilibre magique qu’a trouvé le grand Guillaume Apollinaire entre ces deux tendances contradictoires que sont la chanson à boire et la méditation torturée. Et comme il n’y a pas de hasard, Apollinaire se trouve, dans Eros émerveillé qui a adopté un classement chronologique, au centre géométrique du recueil, à mi-chemin entre Eustorg de Beaulieu « Cul enlevé trop mieux qu’une coquille » et Sophie Loizeau, née en 1970, « faille aînée / qui sève / d’être vue ». Ainsi peut-il continuer de chanter, sous les obus de 1914, les neufs portes du corps de Madeleine : « Tu l’ignores, ma vierge ? À ton corps sont neuf portes / J’en connais sept et deux me sont celées. »

En ces temps où la pornographie obligatoire est devenue la meilleure garantie du néo-puritanisme, Eros émerveillé se révèle indispensable pour les poètes et les amants, qui sont souvent les mêmes – clandestins, heureux, libres.[/access]
 

Eros émerveillé, anthologie de la poésie érotique française (Poésie/Gallimard).

Mars 2012 . N°45

Article extrait du Magazine Causeur



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