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Brighelli: «L’École de la République n’a pas dysfonctionné: elle accomplit ce pour quoi on l’a programmée…»

La fabrique du crétin, deuxième fournée!


Brighelli: «L’École de la République n’a pas dysfonctionné: elle accomplit ce pour quoi on l’a programmée…»
Jean-Paul Brighelli. © Hannah ASSOULINE

Dans son nouvel essai La Fabrique du crétin 2: Vers l’apocalypse scolaire, publié aux éditions de l’Archipel, Jean-Paul Brighelli dresse le terrible constat que l’Ecole de la transmission des savoirs est belle et bien morte et enterrée. Les raisons de cette décadence sont toutes minutieusement analysées. Du collège unique au regroupement familial en passant par le rabaissement des enseignants et la sacralisation des élèves, la méthode globale qui supplante la méthode syllabique, la novlangue de l’institution ou Najat Vallaud-Belkacem… Bonnes feuilles.


« Aujourd’hui, l’Ecole est morte. Education nationale décédée, lettre suit », écrivais-je en 2005 en ouverture de la Fabrique du crétin. La parodie du début de l’Etranger se voulait drôle. Je suis obligé aujourd’hui de l’écrire au premier degré. Oui, l’École de la transmission des savoirs, l’École de la formation des citoyens, est morte. Quinze ans plus tard, je n’ai presque plus d’espoir de changer le cours de la déroute scolaire, à moins d’un changement radical de paradigme. J’y reviendrai dans une deuxième partie.

Depuis le succès inattendu de la Fabrique du crétin, j’ai participé à maints débats où revenait sans cesse la même question : « Pourquoi l’Education nationale a-t-elle autorisé les dérives successives qui ont amené à la présente apocalypse scolaire ? » Ce livre tente de répondre de façon cohérente à cette question.

Frappés par un titre qui claquait fort, les lecteurs ont souvent oublié le sous-titre de l’essai de 2005 : « La mort programmée de l’Ecole ». Peut-être parce que le crime était si grand que l’on n’a pas voulu croire qu’il était volontaire, ni en étudier froidement les tenants et aboutissants, ou se demander à qui ou à quoi il profitait.

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(…)

Il n’y a pas eu de complot, n’en déplaise… aux complotistes. Mais les bonnes intentions d’un lot exceptionnel de médiocrités, soucieuses, pour les unes, d’adapter l’enseignement aux nécessités du marché, et pour les autres d’élaborer enfin l’égalité promise par la République en nivelant par le bas, ont suffi à détruire ce que la France avait mis deux cents ans à élaborer. Ce sera l’objet de la première partie.

Chacun a des enfants, des petits-enfants, dont il constate, année après année, le très faible niveau de connaissances. Chacun a entendu ces mêmes enfants répondre, à la question « Qu’as-tu appris en classe aujourd’hui ? », un « Rien » pas même étonné. Comme si aller à l’école était désormais une obligation déconnectée de toute obligation de résultats. Une nécessité formelle, imposée par la loi, mais vidée de toute substance.

Oui, la médiocrité a des avantages indéniables pour un certain ultra-libéralisme européaniste et apatride

J’avoue m’être moi-même bercé d’illusions. La dénonciation des dysfonctionnements massifs, pensais-je, servira d’avertissement. Une réaction s’enclenchera, des voix s’élèveront, une vague de fond obligera les responsables du désastre à reculer…

Illusion d’autant plus forte que je n’étais pas le seul à dénoncer le gâchis. La France avait jadis l’un des meilleurs systèmes scolaires au monde. Elle a plongé dans les profondeurs de tous les classements. Les pays scandinaves d’abord, puis ceux du Sud-Est asiatique l’ont distancée, humiliée, ridiculisée.

Magazine Causeur de septembre 2019

Non, jamais un livre n’a changé une politique, quand ceux qui ont voulu cette politique se félicitent de son succès. Que ce soit pour des raisons cyniquement économiques — oui, la médiocrité a des avantages indéniables pour un certain ultra-libéralisme européaniste et apatride — ou purement idéologiques (le pédagogisme y a trouvé une matière inépuisable pour développer ses théories fumeuses), la baisse de niveau, que plus personne ne conteste sauf ceux qui justement y trouvent leur compte, ne pouvait être enrayée par des protestations, aussi éloquentes ou bruyantes fussent-elles. Nous fûmes nombreux à hurler — mais à hurler dans le désert. Nos adversaires, à force de se coopter sur la base de leurs insuffisances — et cela fait du monde —, avaient confisqué le pouvoir de décision.

Cette décadence de l’école française, parfaitement parallèle à la décadence de la nation, est un crime prémédité, commis en toute impunité et couronné de succès.

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Question subsidiaire, souvent posée elle aussi : « À quel moment l’Ecole a-t-elle commencé à dériver ? » Les lecteurs ont une mémoire longue, qui leur permet de comparer l’enseignement qu’ils ont reçu, il y a parfois soixante ans, et celui que reçoivent aujourd’hui leur progéniture. Ils ont entendu les pédagogues proclamer doctement que « les situations ne sont pas comparables », et que « l’enseignement de masse actuel ne peut fonctionner selon les méthodes élitistes d’autrefois ». Oui — mais autrefois, les élèves quittant le CP savaient lire, écrire, et maîtrisaient les quatre opérations de base, alors que la division s’apprend aujourd’hui, avec une méthode complexe et aberrante, en CM1-CM2. Et qu’elle est rarement maîtrisée à l’entrée en Sixième. Pas plus d’ailleurs que la lecture et l’écriture. Crétins peut-être pas, mais ignares à coup sûr.

Le collège unique est désormais l’une des vaches sacrées des syndicats de gauche

On a voulu ce désastre, justifié a priori et a posteriori avec les meilleures intentions du monde. Non, l’Ecole de la République n’a pas du tout dysfonctionné : elle accomplit aujourd’hui de façon routinière ce pour quoi on l’a programmée dans les années 1960- 1970.

Parce que ce n’est pas la Gauche, chargée de tous les péchés pédagogiques, et qui les a assumés et renforcés dès qu’elle a été au pouvoir, qui a voulu à l’origine cette Ecole déficiente. C’est la Droite, avec la bénédiction des autorités européennes.

Pas n’importe quelle Droite. Disons la Droite giscardienne et européaniste, qui s’est trouvée aux manettes, pour ce qui est de l’Ecole, dès les années 1960.

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L’Ecole détruite au grattage et au tirage : Giscard, l’an 01 de l’apocalypse scolaire

C’est donc cet honnête destructeur de la maison France [René Haby NDLR] que Giscard choisit comme ministre de l’Education à son entrée en fonction. Et Haby ne chôme pas : le 11 juillet 1975 [1], il décrète le « collège unique ». Petit rappel pour ceux qui n’y étaient pas. Dès la fin du Primaire, vous étiez distribués en diverses sections — depuis les CCPN [2] où étaient casés les élèves en grande difficulté, les CPA qui orientaient précocement vers les métiers manuels, les collèges à filière courte et sans latin, les lycées enfin. C’est cette distinction, qui faisait sens, pédagogiquement parlant — d’autant que des passerelles existaient qui permettaient de passer d’une filière ou une autre —, que Haby fait sauter.

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Au grand dam des syndicats de l’époque. La toute puissante Fédération de l’Education Nationale se dresse sur ses ergots. Il y a dans ses rangs essentiellement des gens de gauche ; mais formés dans les années 1940-1950, ils savent bien qu’un brassage général descendra impitoyablement le niveau, puisque les professeurs seront forcés de s’aligner, en classe, sur les plus faibles. Des penseurs obstinément ancrés à gauche, comme Jacques Derrida, s’opposent à la loi Haby. Selon le philosophe, la loi visait à produire des travailleurs et non des citoyens. « Elle était une réponse à la demande du patronat et un instrument de sujétion sociale » — une clairvoyance qui s’est singulièrement estompée avec le temps, le « collège unique » étant désormais l’une des vaches sacrées des syndicats de gauche.

Mais fabriquer des esclaves taillables et corvéables à merci, incapables de lire les lignes en petits caractères d’un contrat d’embauche, ne suffisait pas à nos mondialistes libéraux. Au mois d’avril suivant, ils décrètent le regroupement familial : les immigrés qui travaillaient en France depuis les années 1960 ont donc le droit de faire entrer en masse leurs familles restées de l’autre côté de la Méditerranée — l’Algérie principalement.

À l’époque, le gouvernement algérien voit d’un très mauvais œil ce regroupement — tant pis pour ceux qui croient en la thèse d’une « invasion » programmée. Il craint une diminution des envois d’argent en Algérie — et de fait…

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La combinaison soudaine de ces deux phénomènes, en irriguant le champ scolaire avec des gosses qui parlaient un français très approximatif, et en les mêlant à des petits Français de niveaux fort hétérogènes, a donné le désastre que l’on sait. Ajoutez qu’au même moment déboule la méthode Foucambert d’apprentissage de la lecture, semiglobale des pieds à la tête, et le tableau est complet.

Les pédagogistes, cantonnés jusqu’alors dans des revues confidentielles, se sont senti pousser des ailes. Ils se sont sentis justifiés. Ils ont imposé peu à peu des méthodes « démocratiques » d’apprentissage du Lire / Ecrire. Fin du B-A-BA, et irruption des méthodes semi-globales : un arbre joliment dessiné, le mot arbre, et le tour est joué. Fin de la discrimination orthographique, des liens syntaxiques et des variétés d’arbres : hêtre ou ne pas être, tout est « arbre »…

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Ce qui donne aujourd’hui de jolies phrases du genre « les arbres, il les plantes ».

Il les plantes vertes, sans doute. Meirieu m’a tuer.

Autant être clair : les immigrés de seconde génération, qui arrivent en France dans les années 1970 n’ont aucune responsabilité dans l’effondrement. Ils ont été instrumentalisés comme les autres. Ils ont été pris comme prétexte à l’insu de leur plein gré. Sans doute ne demandaient-ils pas mieux que de recevoir l’instruction des petits Français. Mais le résultat, c’est que les petits Français ont été instruits en fonction des carences des petits immigrés.

A lire: La Fabrique du crétin 2 : Vers l’apocalypse scolaire, Editions de l’Archipel, mars 2022

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[1] Les mauvais coups législatifs se portent toujours pendant l’été, Jospin fera de même avec sa loi du 13 juillet 1989.

[2] Classes Préprofessionnelles de niveau : elles accueillaient les élèves de niveau Quatrième / Troisième incapables de suivre dans le cursus traditionnel. Elles ont été dissoutes en 1991, effet secondaire de la loi Jospin, et leurs élèves intégrés dans le parcours général — ce qui a eu pour effet de baisser encore le niveau. Les CPA étaient des Classes Préparatoires à l’apprentissage, susceptibles de former aux Centres de Formation d’Apprentis.



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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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