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Le drapeau de la France libre est-il un trouble à l’ordre public ?

Un maire de gironde souhaite le faire retirer de la fenêtre d'un habitant


Le drapeau de la France libre est-il un trouble à l’ordre public ?
Image d'illustration: un habitant de Colombey-les-Deux-Eglises accroche un drapeau de la France libre à sa fenêtre le jour du 43ème anniversaire de la mort du général De Gaulle, 9 novembre 2013. ©FRANCOIS NASCIMBENI / AFP

Un habitant du village de Saint-Terre en Gironde a osé accrocher un drapeau français orné d’une croix de Lorraine à sa fenêtre. Le maire socialiste le menace de le faire retirer.


Le maire de la commune de Sainte-Terre, en Gironde, a menacé un habitant de prendre à son encontre un arrêté pour lui demander de retirer un drapeau tricolore frappé d’une croix de Lorraine qui orne la façade de sa maison.

La « France aux Français » ?

La double référence patriotique et gaulliste irrite visiblement Monsieur le maire socialiste de Sainte-Terre, qui y voit une atteinte à la tranquillité de sa commune. Monsieur Guy Marty estime en effet qu’il s’agit d’un signe ostentatoire qui contrevient à la neutralité et « qu’avec ce grand drapeau, on peut penser qu’il veut signifier ‘La France aux Français’, ici ça choque, pas forcément que les immigrés ». Avec un peu plus d’imagination, Monsieur le maire nous démontrait que ce drapeau était susceptible de rappeler les heures les plus sombres de notre histoire.

La démarche de prendre un arrêté municipal en l’espèce apparaît cependant très fragile en droit.

En premier lieu, s’agissant de la neutralité invoquée, il sera rappelé que ce principe ne vaut que pour les services publics. S’agissant des drapeaux, le Conseil d’Etat a pu sanctionner par le passé la pose d’un drapeau indépendantiste sur un édifice public en Guadeloupe en considérant qu’une commune ne pouvait manifester d’opinions politiques. En revanche, ce principe de neutralité ne s’applique nullement aux administrés qui demeurent, bien évidemment et dans les limites de l’ordre public, libres de manifester leurs convictions.

En second lieu, les compétences du maire sont limitées à l’exercice du pouvoir de police administrative dont la finalité est la préservation de l’ordre public. Autrement dit, pour aboutir à ses fins, le maire doit démontrer qu’un drapeau à une fenêtre est constitutif d’un trouble à l’ordre public.

La défense de la France

Historiquement, la croix de Lorraine est née après la bataille de Nancy du 5 janvier 1477 voyant la victoire du duc René II de Lorraine sur les armées de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. La Bourgogne, alliée de l’ennemi anglais, occupait la Lorraine et son duc nourrissait l’ambition de la conquérir afin d’unifier territorialement ses possessions entre Flandres et Bourgogne pour se poser en rival du roi de France Louis XI. A la tête d’un Etat occupé par les bourguignons, le duc René II de Lorraine entendait recouvrer sa souveraineté. Comme signe de ralliement, il décida de reprendre un symbole qu’il tenait de son grand père René d’Anjou (le fameux Roi René), la croix d’Anjou, croix à double traverse. Cette croix était une réponse à la croix de Bourgogne arborée par les armées du Téméraire. La victoire des Lorrains en 1477 marquait la fin du rêve du Téméraire, le rattachement de la Bourgogne au domaine royal, le renforcement du pouvoir du Roi de France et la naissance de l’identité lorraine : la croix à double traverse devenait donc son emblème.

La croix de Lorraine, symbole d’une région frontière avec l’Allemagne, fut reprise à des fins patriotiques en France, en particulier après l’annexion de l’Alsace-Moselle par l’Empire allemand au XIXe siècle et devint progressivement associée à l’idée de défense de la France.

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Dans le même esprit que celui du duc René II, en 1940, lorsque la France libre voulut recouvrer sa souveraineté, elle eut recours à la croix de Lorraine afin de contrer la croix gammée et de manifester l’idée d’une nation opposée à l’occupant nazi.

La croix de Lorraine est un emblème national depuis la Libération. N’en déplaise au maire de Sainte-Terre, elle figure au fronton d’un édifice public à Paris, l’hôtel de Brienne, siège du ministère des Armées, là où, symboliquement, le général de Gaulle avait décidé d’y remettre l’Etat, le 25 août 1944.

Cette croix de Lorraine, dans sa version moderne est donc le symbole de la restauration de l’Etat, celui des Français libres, de métropole et de l’Empire, d’une France indépendante, ouverte sur le monde et fermement hostile au fascisme.

En quoi de telles valeurs troubleraient l’ordre public ?

La croix de Lorraine, un symbole consensuel

La croix de Lorraine est tout sauf un symbole partisan : elle dépasse même largement le cadre du gaullisme, il s’agit d’un symbole consensuel. Souvenons-nous de tous ces candidats à la présidentielle l’an passé qui se revendiquaient de l’héritage du général.

Aussi, qu’un maire déplore qu’un administré pavoise sa maison aux couleurs de la nation est pour le moins regrettable. N’oublions pas également qu’à la suite des attentats du 13 novembre 2015, les pouvoirs publics avaient encouragé les Français à pavoiser leurs fenêtres avec des drapeaux tricolores.

Et, à quelques jours de l’ouverture de la Coupe du Monde de football, on peut également penser qu’on assistera à un regain d’intérêt pour le drapeau national.

Enfin et surtout, que l’on soit gaulliste ou non, patriote ou non, peu importe. Cette personne est chez elle, elle fait ce qu’elle veut. Si elle a envie de mettre un drapeau à sa fenêtre, c’est son droit le plus strict.

Cachez cette France que je ne saurais voir

Fragile en droit, la démarche du maire de Sainte-Terre est également contestable dans son esprit qui, guidé par une crainte excessive, conduit à s’en prendre aux libertés.

Monsieur le maire nous dit : « Est-ce qu’il sous-entend qu’ils ont été remplacés par d’autres occupants ? Moi je milite pour le vivre ensemble ». Cette histoire nous donne un aperçu intéressant de ce que recouvre concrètement cette notion de « vivre ensemble ». Une espèce de frilosité craintive, une surinterprétation de tout ce qui touche de près ou de loin à l’idée de nation, une peur de choquer ou de « stigmatiser » un « autre » fantasmé, qui conduit à considérer, par principe, toute marque d’identité nationale comme une offense qu’il convient donc d’effacer. Ce « vivre-ensemble » conduit à une ignorance bête de l’histoire de France et se fait le cheval de Troie d’un ordre moral conduisant au mieux au lissage de la pensée, au pire, à la censure.



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