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Pas de repentance pour l’Algérie


Pas de repentance pour l’Algérie

Les Algériens ne sont pas très contents de Nicolas Sarkozy. Primo il est juif, secundo son ministre des Affaires étrangères est juif, et tertio il voulait amener avec lui le chanteur Enrico Macias. Il est vrai qu’Enrico Macias est originaire d’Algérie, et ça, c’est plutôt un bon point ; l’ennui c’est qu’il est aussi juif et ça, c’est très mauvais – il n’y a pas de bien sans mal. Cela dit, à quel point sont-ils juifs, Sarkozy et Kouchner ? Selon Hitler, à 100 %. Pour les rabbins, ils sont 100% « goy ».

Seulement, quand il s’agit des « affaires juives », les Algériens ne se fient pas aux rabbins. Le ministre des Moudjahiddines, Mohamed Cherif Abbas, croit savoir que Sarkozy est à la solde du lobby juif. La « preuve », c’est que selon lui (et seulement selon lui) Israël a émis un timbre à l’effigie du président français avant même qu’il ne soit élu. Une autre preuve est fournie par les goûts musicaux du président, un peu trop juifs sur les bords.

Les Algériens ne partagent les goûts de Sarkozy ni en musique, ni en philatélie, ni en religion – pas nécessairement dans cet ordre. Surtout, ils exigent que la France fasse repentance pour les longues années de colonisation. Cette demande d’excuses est peut-être un symptôme inquiétant montrant que la judéïté est une maladie contagieuse qui pourrait même frapper de purs « goys » (malheureusement pas très ariens) comme Mohamed Cherif Abbas. En effet, rien n’est plus juif que ce désir d’entendre quelqu’un implorer son pardon. Nous adorons cela. Tout invité de marque – à moins qu’il ne soit juif ou représentant d’un lobby juif – est trainé à Yad Vashem et à la Knesset pour faire repentance. Et le succès de la visite se mesure à la puissance des excuses. Pas d’excuses du tout ? Un cas avéré d’antisémitisme. Des excuses mollassonnes ? Un résultat mitigé. Le visiteur se bat violemment la coulpe (mais sur la poitrine de ses parents), s’agenouille et injurie ses ancêtres ? Jackpot !

A ce qu’il paraît, les Algériens en veulent aussi. Mais non, ils ne tiennent pas à visiter Yad Vashem et la Knesset. Ils veulent des excuses, et pas tant pour le passé que pour le présent. Car il y a une différence de taille entre les demandes de repentance juive et postcoloniale (et pas seulement celle qui existe entre l’hitlérisme et la colonisation). Les Juifs (forts de leur lobby et de leur service philatélique, mais aussi, allez, grâce à Enrico Macias), sont assez contents d’eux-mêmes. Nous n’avons pas besoin d’imputer aux « goys » le triste état des choses – nous allons très bien, merci. Certes, nous sommes moins sûrs de notre bon droit moral que de notre puissance militaire et économique. Si nous avons besoin d’excuses, c’est pour nous conforter dans notre statut de victimes – quels que soient par ailleurs les faits sur ce terrain.

Dans un contexte postcolonial, la demande d’excuses joue un tout autre rôle – elle permet de disculper les actuels gouvernants des échecs du présent. Pourquoi sommes-nous pauvres, corrompus ou ignorants ? C’est la faute à Ferry. Pourquoi produisons-nous sans cesse des mouvements religieux qui sanctifient la violence intérieure comme extérieure ? C’est la faute à Bugeaud. Le colonialisme est coupable de tout. Sans colonialisme, c’est nous et pas vous qui aurions été les grandes puissances (et peu importe qu’il n’ait dans certain cas duré que quelques décennies). Les Etats postcoloniaux souffrent souvent d’une version particulièrement tragique du syndrome de Peter Pan – ils refusent de grandir moralement. Le problème c’est toujours « vous » ou « eux » – sinon les colonisateurs, les sionistes. Demandez-nous pardon.

Pour autant, il ne s’agit pas de prétendre que les ex-puissances coloniales n’ont rien à se faire pardonner. L’argument de Sarkozy selon lequel la France « a donné toute sa grandeur aux pays où elle était présente » est une absurdité. Et pourquoi pas, tant qu’on y est, demander aux Algériens ou aux autres peuples anciennement colonisés par la France de remercier celle-ci pour leur avoir fait don de sa grandeur – dont ils n’eurent de cesse de se débarrasser ?

Il y a lieu, des deux côtés de la Méditerranée, de se livrer à un examen de conscience, mais ce lieu n’est pas la politique. La politique est un jeu d’intérêts, pas une consultation pour couples en crise. Plus que d’une déclaration hypocrite de plus de la part d’un homme politique, les Algériens ont besoin des investissements français – les projets concrets valent mieux que les sentiments délicats. Et plutôt que d’attendre des excuses pour les crimes dont ils furent victimes, ils feraient mieux de se livrer à leur examen de conscience (notamment sur leur antisémitisme). La repentance détourne l’attention de l’essentiel. On peut très bien s’en passer.



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Aviad Kleinberg, 49 ans, né à Beersheva (Israël) est historien, professeur à l’université de Tel-Aviv, spécialiste du Moyen Âge et de la théologie chrétienne. Il est notamment l’auteur de "Histoires de saints : leur rôle dans la formation de l’Occident", Gallimard. Vient de paraître : "Péchés capitaux", Seuil.

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