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Demain, j’arrête le mauvais esprit !


Demain, j’arrête le mauvais esprit !

J’en ai marre d’être du côté des mal-pensants ! Pourtant, depuis le temps, je m’étais habituée. Déjà, enfant, les béguines qui se dévouaient à mon instruction hochaient leur tête caparaçonnée et, d’un air entendu, avares de mots, se signifiaient mutuellement que j’avais un mauvais esprit. A l’époque, ça ne me faisait ni chaud ni froid : je ne comprenais pas ce que cela voulait dire. Enfin… si, cela me faisait chaud : aux fesses. Car Mère Augustine rendait compte à ma mère, qui rendait compte à mon père, qui rendait compte à mon joli derrière. Sans que cela apporte beaucoup de changements.[access capability= »lire_inedits »]

C’est ainsi que je fis, à mon corps défendant, mes premières incursions dans le camp des mal-pensants. Ma foi (!), je ne devais pas m’y trouver si mal, car la suite montrera que j’y ai rapidement pris mes aises.

Bien sûr, il ne s’agit pas ici d’encenser ces nouvelles icônes que sont les cancres. Tout le monde sait depuis vingt ans que les cancres sont tous des HP[1. Individu à haut potentiel (surdoué)], Einstein en tête ! Et on ne va pas museler Einstein, n’est-ce-pas ? Même si le cancre d’aujourd’hui ressemble plus à Paris Hilton qu’au père de la relativité universelle, peu importe, depuis Prévert, nous savons que les cancres sont sacrés. Point à la ligne !

Non, il ne s’agit pas des cancres ; il s’agit de tous ceux, généralement de bonne volonté, qui, sans le vouloir, se retrouvent dans le mauvais camp, celui des mal-pensants, parce qu’on leur a dit qu’ils pouvaient dire ce qu’ils pensaient et qu’ils ont cru que c’était vrai. Ils n’avaient pas le bon décodeur, ils croyaient au sens des mots et ils ont dit ce que, réellement, ils pensaient. Innocents !

Donc, le camp des mal-pensants, je connais. Et même, je plains tous ceux qui ne se sont jamais fait virer de leur école, lourder de leur boulot, sortir de leur club de sport, évincer de la rédaction de leur canard, écarter de leur syndicat, déloger de leur conseil d’administration, renvoyer de leur cercle de conférences, expulser d’une boîte de nuit, limoger d’un conseil ministériel, bannir de chez leur grand-mère ou exclure d’un salon pour cause de mauvaise conduite. C’est une expérience que tout honnête homme doit avoir vécue au moins une fois dans sa vie. C’est extraordinairement vivifiant !

Bref, c’est ainsi que, sans l’avoir jamais voulu, de bourgeoise en intello, je me traîne depuis belle lurette dans le camp des méchants. Par atavisme, par choix et par paresse. Mais pas par goût de la rébellion. Je n’ai jamais voulu emmerder personne en perdant la foi chez les cathos. Je n’ai jamais tenté de mépriser qui que ce soit en préférant Bach à Cloclo. J’ignorais qu’il fallait encenser Rousseau et maudire Voltaire. Et j’ignorais tout autant que je ne devais pas ressentir d’amitié pour l’Etat d’Israël. Je croyais que la liberté d’opinion me permettait, à moi aussi, de dire ce que je pensais. Je l’ai fait, je l’ai dit, parce que je croyais que c’était autorisé. Ou, au moins, que ce n’était pas interdit. Et patatras ! Dans le camp des mal-pensants ! C’est comme ça, tiens-le toi pour dit !

D’accord, je prends ma carte de membre, puisque visiblement, c’est comme ça que ça marche…

Mais parfois, j’ai envie de changer de camp.

Les mal-pensants indomptables et fiers de l’être, ça me fatigue

Bien sûr, je ne suis guère séduite par la nouvelle doxa et vous n’êtes pas près de me voir circuler à vélo, voter Duflot, propager la méthode globale, absoudre des terroristes, arrêter de fumer ou partir dans un pays plein d’araignées faire la tortore pour une ONG. Faut pas pousser ! La compassion automatique, l’amour immodéré de tout ce qui vient d’ailleurs, la sinistre volupté de la culpabilité, la repentance à toute heure, l’abandon de soi et des siens, le déni de la réalité et les pieds qui ne touchent plus le sol, très peu pour moi !

Mais le très sélect cercle des mal-pensants autoproclamés, décomplexés, martyrisés, incompris, sous-médiatisés, surexposés, fins, instruits, débordants d’humour, cultivés, non aliénés, vifs, critiques, amusés, exaspérés, inclassables et surtout indomptables et fiers de l’être par-dessus le marché, ça me fatigue… Ou plutôt, ça me rappelle les béguines. Je crois qu’aux yeux des mal-pensants aussi, je ne vais pas tarder à avoir un mauvais esprit. Peut-être que, dans cette tribu-là, j’ai également un mal fou à décrypter les codes, à deviner ce que l’on attend de moi, à dénicher où, cette fois, se trouve la frontière entre le Bien et le Mal, parce qu’il y en a toujours une, même et surtout quand on veut l’abolir ou que l’on prétend s’en affranchir.

Mon admiration, sincère, pour le courage d’un Muray ou la lucidité d’un Finkielkraut va-t-elle m’imposer de nouveaux maîtres à penser ?

Parce qu’en fait, je n’ai jamais voulu mal penser. Ni bien penser. Penser tout court me suffirait déjà grandement.[access]

Bernanos, le mal-pensant

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Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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Romancière et scénariste belge, critique BD et chroniqueuse presse écrite et radio. Dernier roman: Sophonisbe.

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