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Côte d’Ivoire : Le boulanger et ses mitrons


Côte d’Ivoire : Le boulanger et ses mitrons
photo : busy.pochi
photo : busy.pochi

Jusque-là, j’observais de loin, avec la modestie du profane absolu en affaires africaines les récents développements de la situation en Côte d’Ivoire. En fait, comme dans de très nombreux pays d’Afrique et du Moyen Orient, le simulacre démocratique imposé par les puissances occidentales et leurs alliés devait décider de la mainmise par l’une ou l’autre des ethnies de la rente nationale. En l’occurrence de déterminer quel clan allait se servir des revenus du cacao et du pétrole pour mener une politique clientéliste au profit exclusif de ses affidés, et mettre l’appareil d’Etat (armée, justice, police) à la botte du président élu et de ses amis. Le nombre des Etats africains fonctionnant hors de ce schéma se compte dur les doigts d’une seule main d’un bûcheron ayant eu des ennuis avec sa tronçonneuse.

Comme le pays est divisé, de fait, entre le nord musulman favorable à Alassane Ouattara et le sud chrétien qui penche plutôt pour Laurent Gbagbo, d’ethnie bété, pour le second tour, le ralliement à l’un ou à l’autre du troisième larron, Henri Konan-Bédié, chrétien d’ethnie baoulé était de nature à faire pencher la balance. Konan-Bédié a choisi Ouattara, et les Baoulés l’ont suivi… Pour le reste chacun a fait comme d’habitude : on ne se risque pas à faire campagne pour le candidat qui n’est pas dominant dans sa région ou dans son ethnie.

Scénario bosniaque ?

Bref, ces élections ivoiriennes ont fait ressurgir dans ma mémoire un épisode aujourd’hui oublié des guerres yougoslaves. En 1991, après la sécession de la Slovénie et de la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, république fédérée multiethnique (44% de Bosniaques musulmans, 32% de Serbes, 17% de Croates) entre en turbulence. Les leaders musulmans et croates sont favorables à l’indépendance, alors que les Serbes s’y opposent. L’Union européenne met en place une commission présidée par Robert Badinter pour surveiller l’évolution de la situation et déterminer les conditions d’une reconnaissance par l’UE d’un départ de la Bosnie de la Fédération yougoslave. Cette commission impose la tenue d’un référendum avant de prendre toute décision. Celui-ci, qui a lieu le 29 février 1992 donne une majorité soviétique (99,4%) aux partisans de l’indépendance. Avec un petit inconvénient tout de même : le boycott total de ce scrutin par les Serbes de Bosnie. Ce qui n’empêcha pas Robert Badinter de prendre acte des résultats de ce référendum et l’UE de reconnaître sans barguigner l’indépendance de la Bosnie. La logique purement arithmétique, celle qui s’applique dans des démocraties où le suffrage n’est pas surdéterminé par des considérations ethniques ou claniques a produit dans ce cas d’espèce le résultat que l’on sait : cinq ans de guerre, des massacres à répétitions, et une Bosnie-Herzégovine qui ne tient, encore aujourd’hui que sous la férule de l’UE…

Pour en revenir à la Côte d’Ivoire, une approche de ce type est de nature à produire les mêmes effets, et les poids lourds de la « communauté internationale » (en fait Sarkozy, Obama et l’UE) se sont quelque peu précipités en lançant un ultimatum comminatoire à Laurent Gbagbo, sans prévoir les moyens militaires destinées à rendre la menace crédible. Renvoyer le mistigri à la CEDEAO (Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pour veiller à l’expulsion manu militari de Gbagbo de son palais présidentiel est une vaste blague : quel chef d’Etat africain prendrait aujourd’hui le risque de créer un précédent qui pourrait un jour ou l’autre se retourner contre lui ?

Cette affaire ivoirienne est donc aujourd’hui une comédie qui pourrait, hélas, vite tourner à la tragédie. Mais restons dans le registre comique pendant que c’est encore possible : Laurent Gbagbo est surnommé « le boulanger » par ses concitoyens en raison de son aptitude à rouler ses adversaires dans la farine. Comme il est aujourd’hui dans le pétrin, il a fait appel à deux mitrons, plus tout jeunes, certes, mais dont l’âge n’a pas émoussé leurs passions pour les coups d’éclats et les coups tordus. Ils ont pour nom Jacques Vergès (85 ans) et Roland Dumas (88 ans), et il viennent de débarquer à Abidjan pour « conseiller » Gbagbo et son clan. Les paris sont ouverts pour savoir qui Ouattara embauchera pour contrer les papys flingueurs : Kiejman ? Metzner ? Ils ont du temps libre depuis l’accord de paix signé chez les Bettencourt…



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