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Comment on oublie les écrivains

Comment on oublie les écrivains
L'écrivain français Roger Vercel (1894-1957), photographié en 1934. D.R.

Brève réflexion sur les grandeurs et les misères de la postérité


Qui se souvient de Roger Vercel? De passage à Saint-Enogat, faubourg de Dinard, sur la côte d’Émeraude autrefois célébrée par des pages lumineuses de Céline dans son Féérie pour une autre fois, j’ai retrouvé la plaque indiquant la maison où il avait vécu jusqu’à sa mort en 1957. Une plaque qui précise juste, en matière de biographie, qu’il a eu le prix Goncourt en 1934. J’en avais envoyé la photo il y a quelques années à un ami aujourd’hui disparu qui aimait beaucoup Roger Vercel, comme il aimait beaucoup Mac Orlan ou Edouard Peisson, ces “romanciers de la mer” comme il y avait, à l’époque, des “romanciers catholiques” dont Mauriac, le contemporain de Vercel, fut le plus bel exemple.

La villa de Roger Vercel, élégante mais sans les excès d’un certain baroquisme balnéaire si présent à Dinard et Saint-Enogat, baroquisme pas désagréable au demeurant, est toujours là. En revanche, la postérité de Vercel, elle, n’est pas revenue. Si on en juge par la facilité avec laquelle on le trouve en édition de poche chez les bouquinistes ou dans les boites à livres, Vercel a pourtant été un gros vendeur jusque dans les années 60 et puis plus rien, rien du tout qu’une jolie villa et cette plaque dans l’air salé et bleu de février. 

Tous les écrivains, ou presque, en mourant, disparaissent avec leur œuvre. J’ai lu deux ou trois Vercel, jadis, mais c’est à peine si je me souviens de Remorques qui a donné un film de Grémillon en 41 avec le duo mythique Gabin/Morgan et de Capitaine Conan qui a donné un film de Tavernier en 1996, un des meilleurs sur « ceux de 14 ».

Roger Vercel, c’est de la belle ouvrage, du travail sérieux, documenté, il y a un sens du mélo, du suspense, et un certain réalisme qui sent cette « qualité France » des années 30. Cela « grandiloque » parfois un peu et c’est peut-être pour ça qu’on ne le lit plus, contrairement à Simenon qui, à la même époque, ne surjoue jamais et refuse avec un instinct très sûr les vérités générales et les maximes sur le courage, la mort, le destin… Mais enfin, répétons-le, Vercel, ça reste de la belle ouvrage, on ne s’ennuie pas, c’est efficace, avec une peinture assez juste des milieux sociaux. 

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On pourrait rééditer Roger Vercel mais on ne le fera pas: ceux que ça intéresserait le recevraient en service de presse et on ne vendrait rien, ou presque. J’en ai tellement connu des rééditions de ce genre, y compris celle de Pierre Benoit pour les 50 ans de sa mort en 2012. Pierre Benoît, un autre gros vendeur, et un auteur star de l’entre-deux guerres. Rien n’est parti et la collection Bouquins a suspendu, ad vitam aeternam, la réédition des œuvres complètes du romancier prolixe dont le prénom de toutes les héroïnes commençaient par un A, comme la belle Aurore de Lautenbourg, dans Koenigsmark, qui est surtout resté dans l’histoire pour avoir été le numéro 1 de la collection du Livre de poche.

Tout de même, cette villa de Vercel, cette plaque, cette mer, ça devrait inciter ceux qui font profession d’écrire à la modestie, même quand ils ont de gros tirages et la tronche sur le cul des bus. Chardonne remarquait que l’œuvre des écrivains se conservait moins bien qu’un cognac XO et Albert Camus, lui, écrit dans la préface de L’envers et l’endroit :  “Le métier d’écrivain, et particulièrement dans la société française, est en grande partie un métier de vanité. Je le dis d’ailleurs sans mépris, à peine avec regret. Je ressemble aux autres sur ce point. Qui peut se dire dénué de cette ridicule infirmité?”

Cela est écrit un an pile poil après la mort de Roger Vercel que Camus n’a sans doute jamais lu. Vercel, qui commençait déjà sa chute dans le néant, à peine ralentie par les couvertures criardes et naïves des Livres de Poche de l’époque, justement : ah, le visage dessiné de Michèle Morgan sur l’édition de Remorques !. Heureusement, au bout de la rue Roger Vercel, la mer est toujours là, indifférente, dans le froid bleu de février qui rend encore plus éclatant le jaune des mimosas, pour le promeneur qui peut rêver un instant.



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Jérôme Leroy est écrivain et membre de la rédaction de Causeur. Dernier roman publié: Vivonne (La Table Ronde, 2021)

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