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Comme un air de revenez-y…


Comme un air de revenez-y…
photo : Zoli
photo : Zoli

Depuis l’an 2000 et la mise en quarantaine diplomatique de l’Autriche pour cause de Jörg Haider et de son FPÖ, les choses ont bien changé. Au niveau européen, personne, aujourd’hui, ne l’ouvre pour menacer sérieusement la Hongrie et son dictatorial Premier ministre, Victor Orban, d’une mise au ban communautaire ou d’une suspension temporaire de leur droit de vote. Et pourtant, à quelques jours de l’inauguration de la présidence hongroise de l’Union européenne, aucun gouvernement, à l’ouest de la Biélorussie, n’a pris des mesures légales aussi drastiques pour limiter la liberté des médias.

Votée en deux temps, la nouvelle loi sur les médias n’est entrée en vigueur que depuis le 1er janvier 2011, mais les journalistes hongrois n’ont pas attendu son application pour dénoncer le retour de la censure après deux décennies de parenthèse démocratique. « Si ce tas de merde était réellement mis à exécution, il faudrait alors oublier ce que c’est que la liberté d’expression en Hongrie », prévient Endre Bojtar, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Magyar Narancs. Aussi invraisemblable qu’il puisse paraître dans une Union européenne sensible au plus haut point à toute manifestation d’autoritarisme, ce scénario a pourtant de fortes chances de se réaliser.

Les premiers amendements à la loi sur les médias ont été introduits en Hongrie dès juillet 2010. Grâce à la majorité absolue obtenue au Parlement après les élections d’avril, le Fidesz − le parti conservateur de Victor Orban − s’est placé en position de pouvoir modifier ce que bon lui semble, y compris la Constitution. Dans ce contexte, la création d’un Conseil des médias, dont le Président sera désigné par le Premier ministre pour un mandat de neuf ans, est apparu comme un épiphénomène. Après tout, ont aussi été restreintes les prérogatives du Tribunal constitutionnel et de la Cour des comptes, tandis que la direction de la Banque centrale et la Présidence de la République étaient confiées à des hommes forts du parti.

Cependant, le nouveau Conseil des médias est parfaitement susceptible de jouer un rôle déterminant dans la légitimation de ce que l’éditorialiste du Washington Post qualifie de « poutinisation de la Hongrie ». C’est en effet au Conseil que revient, depuis l’adoption de la nouvelle loi par le Parlement hongrois, la décision de sanctionner les médias dont le contenu aurait porté atteinte à la morale, fait l’apologie de la violence, mais qui, surtout, serait « politiquement déséquilibré ». Inutile de préciser que le caractère extrêmement vague des termes employés laisse au Conseil, exclusivement composé de membres du Fidesz, une marge d’interprétation quasi illimitée. D’autre part, les sanctions encourues par les rédactions pour la publication d’un article jugé « déséquilibré » témoignent de la ferme intention du premier pouvoir d’en finir avec le quatrième. Concrètement, il s’agit d’amendes dont le montant peut s’élever à 90 000 euros pour un titre de presse ou un site internet, et à 700 000 euros pour les médias audiovisuels. Les rédactions ne seraient en droit de faire appel de la décision du Conseil qu’une fois l’amende payée. En outre, les prérogatives accordées au Conseil l’autorisent à suspendre un programme ou une émission pour une période allant de quelques minutes à une semaine, de même qu’à fermer une chaîne de radio ou de télé. Pis encore, les journalistes seraient contraints de révéler leurs sources si la nouvelle autorité décidait que la sécurité de l’État en dépend.

La liberté de la presse au service de la « régénération de la nation »

Pour tenter de désamorcer les critiques dans son pays, le gouvernement Orban soutient que la nouvelle loi, non seulement garantit efficacement la liberté des médias, mais de surcroît contribue à augmenter leur qualité dans la mesure où les journalistes veilleront à ne rendre publiques que les informations fiables. C’est une façon de voir, car la récente déclaration d’Annamaria Szalai, proche collaboratrice du Premier ministre élue à la tête du Conseil des médias, sur la nécessité de mettre la liberté de la presse au service de la « régénération de la nation », laisse plutôt croire en un abandon délibéré de la liberté de la presse.

L’une des rares personnalités européennes à réagir face à cette dérive, Jean Asselborn, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, a demandé s’il était souhaitable qu’un pays comme la Hongrie préside l’Union européenne. Bien d’autres questions mériteraient pourtant d’être posées, à commencer par celle de savoir quelle serait la manière la mieux appropriée de réagir et d’agir. Le « cas Haider » a clairement démontré que, si l’établissement d’un cordon sanitaire isolant la brebis galeuse procure un sentiment immédiat de bien-être au troupeau, il ne résout en rien le problème. Cette solution semble encore plus inadéquate au « cas Orban » car celui-ci, fort de son passé d’opposant démocratique et de la gestion désastreuse du gouvernement socialiste auquel il a succédé, paraît être tout au plus une brebis égarée.

En visite officielle à Budapest, fin décembre, Herman Van Rompuy s’en est sorti en prononçant un discours assez flou et embarrassé sur les « valeurs européennes ». De retour à Bruxelles, le Président du Conseil européen n’a pas fait davantage de commentaires. Qu’aurait-il pu dire ? Que depuis le temps, il aurait fallu établir une législation uniforme, approuvée et applicable par et dans tous les pays-membres, afin d’empêcher toute tentative de contrôle des médias par un quelconque pouvoir politique. Une simple régulation, au niveau européen, des procédures de désignation et des modalités de fonctionnement des instances comparables au Conseil des médias hongrois aurait de fortes chances de s’avérer efficace. Il faut bien admettre, en effet, que le problème avec l’actuel gouvernement hongrois ne consiste pas dans le fait qu’il serait « fasciste », mais qu’il éprouve un mépris pathologique pour les médias officiels et pour les élites bien-pensantes. Serait-ce vraiment propre à la Hongrie ? Tout le monde est-il certain de ne pas connaître quelques hommes politiques français qui souhaiteraient sanctionner, et plus lourdement encore si possible, le contenu « politiquement déséquilibré » des médias ? Pourtant, si ma mémoire d’ex-scoute communiste est bonne, dans cette partie du monde au moins, la pulsion à surveiller ce que les gens seraient autorisés à lire, entendre, voire penser, caractérisait la gauche plutôt que la droite.



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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