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Brexit, la presse française refuse d’y croire

Une tribune de Tony Thommes, ancien candidat FN aux législatives


Brexit, la presse française refuse d’y croire
Manifestation anti-Brexit sur une péniche de Londres, août 2017. Sipa. Numéro de reportage : Shutterstock40531619_000001.

En juin 2016, le Royaume-Uni votait pour recouvrer sa souveraineté et quitter l’Union Européenne, laissant depuis incrédule toute une partie du continent et la plupart de ses salles de rédaction. Florilège : « Lorsqu’ils retraceront l’épopée du Brexit, les historiens citeront probablement l’été 2017 comme le moment où son élan s’est brisé, où les doutes ont pris le pas sur les espoirs, où toutes les options, y compris celle d’une volte-face, se sont ouvertes. » écrit le correspondant du Monde sur la situation au Royaume-Uni. Jean Quatremer, le correspondant de Libération à Bruxelles, se demande quant à lui « et si tels les bourgeois de Calais, en robe de bure et la corde au cou, les Britanniques quémandaient leur réadhésion à l’Union européenne ? »

Loin des couloirs de Bruxelles et des salles de rédaction parisiennes, il est curieux de constater que l’on s’affaire autant pour un Brexit auquel, dit-on, plus personne ne croit vraiment.


La machinerie gouvernementale en marche

À la suite des résultats du referendum et de la démission de David Cameron, le tout nouveau gouvernement May s’est attelé à sa première tâche : préparer son administration à un transfert de souveraineté d’une ampleur inédite. Mer, sécurité alimentaire, commerce international, ou encore politique agricole allaient redevenir des compétences nationales et le gouvernement n’avait guère plus de 2 ans pour s’y préparer. Ayant cédé bien des attributs à l’UE, cela faisait près de quarante ans que les services de Sa Majesté ne comptaient ainsi plus de négociateurs internationaux. Un comble pour cette historique thalassocratie.

En quelques mois, près d’un million de livres ont été dépensés en chasseurs de tête pour constituer les effectifs de ces nouvelles administrations. Un an après, deux cents négociateurs s’affairent maintenant au ministère du Commerce international nouvellement créé pour préparer des accords avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore les États-Unis dont la signature n’attend plus qu’une sortie effective de l’UE.

Des politiques de continuité post-Brexit

Au ministère pour la sortie de l’Union européenne, lui aussi créé pour l’occasion, les hauts-fonctionnaires coordonnent les politiques de continuité post-Brexit : garantie des subventions de l’UE au niveau actuel jusqu’en 2020, nationalisation de la PAC, participation aux diverses agences européennes, nouvelle place de plein exercice dans les agences internationales, etc.

La tâche est immense, et le pays a vécu une année au rythme des fuites de documents de travail dans la presse. Le vote au parlement de la loi transcrivant les réglementations européennes en droit national, et la publication de livres blancs sur la pêche, les relations avec l’Irlande, et le statut des citoyens UE au Royaume-Uni ont permis de clarifier la situation au cours de ces derniers mois.

Les classes populaires fidèles au Labour

Le referendum a aussi provoqué de profonds changements politiques. La victoire du « Leave » a été portée par une participation record de 72%, un niveau que l’on n’avait pas vu depuis les élections de 1992. Des millions de personnes, notamment dans le nord de l’Angleterre frappé par la désindustrialisation, se sont rendues aux urnes pour la première fois depuis des décennies sans vraiment prendre la peine d’en prévenir les sondeurs.

Contrairement à la France où les bassins miniers ont vu le Front national devenir une force politique majeure et même souvent majoritaire, les classes populaires britanniques sont restées fidèles au Labour et constituent une cible électorale privilégiée de la gauche.

A lire aussi: Royaume-Uni: Jacob Rees-Mogg, le Corbyn des conservateurs?

Devant l’hostilité de cet électorat à l’UE, Jeremy Corbyn, leader du Labour et issu de la gauche radicale, a profondément rénové le discours de son parti. Début 2017, il visite Peterborough, ville populaire plantée entre les champs du Cambridgeshire et du Lincolnshire où travailleurs agricoles d’Europe de l’Est sont acheminés et logés par des réseaux de trafic d’êtres humains. Il y tient un discours d’une fermeté nouvelle où il promet de réguler l’immigration, empêcher le dumping salarial, et combattre la préférence étrangère à l’emploi. Dans une déclaration qui fera les gros titres, il prévient que le Labour « n’est pas éternellement lié à la libre-circulation. »

Corbyn plus clair que les Tories

Lorsque Theresa May annonce quelques semaines plus tard des élections anticipées pour légitimer son gouvernement, Corbyn voit immédiatement une opportunité : faire de la question du Brexit un consensus national et ainsi centrer la campagne sur les autres sujets.

Pendant deux mois, il prive Theresa May de son meilleur argument anti-Labour en se montrant parfois plus clair encore que les Conservateurs sur la question du Brexit. Pendant les débats télévisés, il martèle son message : sortie de l’Union européenne, sortie du marché unique, et fin de la libre-circulation, le tout saupoudré d’un programme social et économique de gauche assumé, avec la fin de l’austérité en figure de proue.

À Peterborough, à l’image du pays, le message fait mouche. La circonscription qui avait voté à 61% pour le Brexit met fin à 12 ans de domination conservatrice et élit une jeune députée Labour.

Des mouvements anti-Brexit marginaux

Si les anti-Brexit se font entendre dans les médias, notamment par la voix de has been politiques tels que Tony Blair ou John Major, les élections anticipées ont rappelé à quel point leur position est minoritaire dans l’opinion.

Les libéraux-démocrates promettaient ainsi de soumettre le résultat des négociations avec l’Union Européenne à un nouveau referendum, et espéraient rallier à eux les électeurs souhaitant dérailler le Brexit et ouvrir l’éventualité d’un maintien dans l’Union.

La véhémence de leur message anti-Brexit n’a néanmoins pas séduit au-delà des marges : le parti est passé sous la barre des 8% des voix et ne contrôle que 12 sièges sur 650 à la Chambre des Communs. Les nationalistes écossais, eux aussi fortement pro-UE, ont connu une déconvenue similaire. Au total, les partis anti-Brexit n’ont récolté guère plus de 10% des voix à l’occasion de ces élections.

Ce n’est pas une surprise pour qui observe les enquêtes d’opinion : un an après le referendum, 76% des Britanniques pensent que le Royaume-Uni doit quitter l’Union Européenne. Ce consensus national réunit les ex-partisans du « Leave » comme ceux du « Remain », qui sont plus de la moitié à penser que « le gouvernement a le devoir de respecter la volonté populaire et de quitter l’UE. »

Le vrai débat : quelle société post-Brexit?

Le consensus sur la nécessité d’aller de l’avant n’a pas rendu la question du Brexit consensuelle pour autant. Le débat reste source d’antagonismes politiques, mais ceux-ci portent principalement sur l’avenir du Royaume-Uni en dehors de l’Union Européenne. Les clivages traditionnels entre protectionnisme et mondialisme, ou gauche et droite, réapparaissent naturellement après un referendum qui les avait brouillés.

Parmi ceux qui avaient mené la campagne du Leave, on trouve ainsi les partisans d’un libre-échange globalisé, peu inquiets de l’importation des fameux « poulets à la javel » dans le cadre d’un accord commercial avec les États-Unis, tandis que d’autres prônent des subventions plus élevées pour faire renaître l’élevage britannique et retrouver une indépendance alimentaire.

Des divisions au sein du cabinet May

Au sein même du gouvernement May, des divergences existent entre ceux qui veulent avant tout garder un accès au marché unique, quitte à devoir faire des concessions sur la libre-circulation, et ceux qui se rallient derrière une formule devenue célèbre « no deal is better than a bad deal » en refusant l’idée d’un statut particulier où le Royaume-Uni ne serait pas souverain sur les politiques d’immigration et d’échanges commerciaux.

Theresa May, quant à elle, se veut garante de la position officielle : fin de la libre circulation et sortie du marché unique dès la sortie effective du Royaume-Uni en mars 2019.

Pour les Britanniques, l’élection anticipée de juin dernier a traduit politiquement un consensus populaire et la volonté de passer à autre chose. La question de savoir si le Royaume-Uni quittera l’UE est close, et les débats qui animent la société et la classe politique portent maintenant sur ce que sera le Royaume-Uni après le Brexit. À rester dans le déni, les journalistes français pourraient passer à côté d’un exercice législatif inédit, d’une recomposition politique historique, et de la réémergence d’une grande puissance globale à quelques kilomètres de nos côtes.



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