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Cantat, l’homme pressé de nous faire la morale

Le meurtrier de Marie Trintignant ferait mieux de se faire discret


Cantat, l’homme pressé de nous faire la morale
Bertrand Cantat, 2018. Byline / Source / Credit XAVIER LEOTY / AFP.

Un matin d’août 2003, les gens de ma génération ont perdu deux de leurs icônes. Lorsque la nouvelle est arrivée, nous avons été atterrés d’imaginer le corps tant aimé de Marie Trintignant, sans vie, fracassé par la violence de son conjoint. Mais nous avons aussi pleuré car nous avons compris sur le champ que plus jamais nous ne pourrions goûter le plaisir d’entendre autrement qu’à la lueur de ce drame le somptueux « Danse sur le feu Maria » qui nous avait tant étreints, ni nous défouler dans quelque salutaire catharsis aux sons puissants d’un « Tostaky » d’anthologie.

Nous les avons perdus tous les deux, l’une parce qu’elle a été victime d’un des innombrables féminicides qui jalonnent l’actualité des femmes en tous points du globe, et l’autre en raison de la gravité irréversible de son acte. Tout ceci s’est envolé en quelques instants dans cette chambre improbable de Vilnius dont nous regardions les images avec incrédulité et consternation.

Bertrand Cantat a payé sa dette à la société, comme il est de coutume de dire, ayant purgé la peine de huit ans de prison à laquelle il a été condamné. Il n’appartient à personne de prétendre s’immiscer dans les tréfonds de sa conscience que l’on ne peut qu’imaginer tourmentée. Personne n’a cette clé-là, ni ce droit et personne ne peut prétendre savoir mieux que lui de quelle culpabilité profondément ancrée en lui il paie sa dette. La question n’est pas là.

Narcisse donne des leçons

En revanche, ce qui nous est donné à voir, c’est la mise en scène de soi. De cela, nous avons le droit absolu de juger puisque le public de cette publicité, c’est nous.

Personne ne songe à interdire la réinsertion d’un condamné. Il est loisible à Bertrand Cantat de travailler, de faire du pain, de la menuiserie, des mathématiques, de la physique quantique, des actions caritatives, ou même d’écrire des chansons et de la poésie pour des interprètes qui les produiraient sur scène. Mais on a le droit, comme un nombre de plus en plus nombreux de protestataires le font entendre depuis quelques temps, de ne pas supporter l’étalage sans vergogne et narcissique de soi, qui, quoi qu’on en dise, nous renvoie au sentiment de toute puissance dont la violence a été l’insupportable fruit.

On a le droit de refuser cet étalage de soi, sans pour autant remettre en cause les droits d’un homme à vivre tranquillement après la détention méritée et effectuée. Le narcissisme, flatté par Les Inrockuptibles, de cette « une » qui a tant choqué. Le narcissisme donneur de leçons d’un Bertrand Cantat qui s’en est revenu sans complexe de Vilnius pour expliquer aux Anglais dans sa chanson « L’Angleterre » qu’ils avaient mal voté en choisissant le Brexit et qu’ils n’étaient donc pas franchement dans le camp du Bien.

On pourrait attendre de la part d’un homme qui n’a pas tout à fait conduit sa vie de manière exemplaire à ce qu’il la ramène un peu moins, qu’il fasse autant que possible profil bas et qu’au moins il ne se pique pas de distribuer les bons et les mauvais points moraux. Mais non, aucun doute, aucun scrupule à faire la leçon (comme c’était d’ailleurs déjà le cas avant le drame avec par exemple la – du reste très réussie – chanson « Un autre jour en France » fustigeant le Front national et qui avait donné bien inutilement l’occasion à Jean-Marie Le Pen de s’exprimer sur son cas).

L’affaire Weinstein est passée par là

Pareillement, on peut parfaitement comprendre qu’un créateur ne sache et ne puisse pas faire autre chose qu’écrire des paroles et des chansons. Mais se donner ensuite en spectacle (aux sens propre et figuré) n’est pas une nécessité.

Cela, en effet, ne passe pas, ne passe plus. L’affaire Weinstein est passée par là, renforçant le niveau de vigilance sur la question des violences en tous genres faites aux femmes. Mais on peut être tout à fait opposé au déferlement néo-féministe, aux #Balancetonporc et autres lynchages médiatiques plus ou moins hystériques, opposé à la pénalisation de la drague, opposé aux projets loufoques de législation sur les « regards appuyés », et considérer pour autant qu’un homme qui a tué sa compagne serait bien inspiré de ne pas faire autant étalage de sa personne publiquement. Il en a le droit mais qu’il ne s’étonne pas des réactions virulentes d’un public à qui cette monstration de soi fait violence.

Qu’il accepte (enfin) son destin

Amor Fati, le titre de son dernier album, signifie « l’Amour du destin », en quelque sorte, l’acceptation du tragique de l’existence et, dans le fond, ce que cela comporte d’irréversible. Il devrait peut-être commencer par se l’appliquer à lui-même et accepter que son destin de chanteur ne sera plus jamais le même qu’avant. Il n’existe pas, dans notre histoire, de musicien qui se soit fait applaudir par les foules après avoir commis un homicide. C’est aussi élémentaire que cela, le Destin.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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