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Tout est contrôlé, sauf faire des bébés

Curieusement, la procréation échappe à toute interdiction


Tout est contrôlé, sauf faire des bébés
Elisabeth Lévy (Photo : Hannah Assouline). 2017.

Alors que tout est surveillé, de la drague lourde à la « junk food », une chose échappe curieusement à toute interdiction: la procréation. L’édito d’Elisabeth Lévy.


L’une des passions les mieux partagées par les êtres humains consiste à se mêler de la vie de leurs contemporains. Si possible en édictant des flopées d’interdits et de sanctions afférentes à leurs violations. Il suffit d’allumer sa radio ou sa télévision pour entendre un expert sommer nos parlementaires de voter un texte prohibant telle substance nocive ou tel comportement répréhensible ou dangereux, comme conduire une vieille bagnole, utiliser des sacs en plastique ou zyeuter les seins des filles dans la rue. Oublions ici les pétitions et autres mobilisations destinées à faire disparaître du paysage tout point de vue sortant un tant soit peu des clous, qui sont l’objet de notre dossier.

Fumer, baiser, manger tue

Cette frénésie de la réglementation et du contrôle, qui autorise tout un chacun à se faire le médecin, le prêtre ou le nutritionniste de son prochain, se déploie tous azimuts, mais avec une prédilection particulière pour les domaines du sexe et de la nourriture. Ainsi est-il régulièrement question d’interdire le sel, les bonbons ou la « junk food ». Ou d’instaurer des cours de bien-manger à l’école dans l’espoir que les enfants rééduqueront leurs parents en leur jetant leurs surgelés à la figure. Comme nous n’avons pas non plus droit à l’amour tarifé ou à la drague lourde et que les élèves se verront bientôt proposer des cours de consentement, peut-être devront-ils aussi montrer à leurs géniteurs ce qu’est le bien-baiser. Qui ne rêverait d’une humanité délivrée de ses vices. Vous et moi – ce n’est pas rien.

Beaucoup de ces règles, comme l’interdiction de conduire bourré ou, que Muray me pardonne, de fumer dans les bars, sont certainement salutaires dès lors qu’elles contribuent à civiliser les rapports sociaux. Mais chez certains, que l’on croise souvent dans le milieu associatif, convaincre leur prochain de mener une vie saine, écologique, sans gluten ou sans tabac devient une croisade personnelle. Aussi n’hésitent-ils pas à vous pourrir la vie pour vous la rendre meilleure.

Elles vont faire des bébés toutes seules

Curieusement, il est un domaine de l’existence humaine qui échappe à cette libido de surveillance et de punition, c’est la procréation. Alors qu’est supposé commencer le débat sur l’extension de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules avant le vote d’une loi, prévu pour début 2019, pour les médias, la messe est dite : faire des enfants, c’est l’affaire de chacun. C’est mon choix. Les Français sont régulièrement invités à aller fouiner dans les déclarations de revenus de leurs concitoyens, à vérifier qu’ils partagent équitablement les tâches ménagères avec leur coquin/coquine, qu’ils déposent leurs bouteilles dans la bonne poubelle et qu’ils ne louchent pas sur les seins de la boulangère. Mais s’agissant des structures élémentaires de la parenté et des règles de la filiation, c’est-à-dire de la façon dont les noms, les biens et les secrets se transmettent, chacun fait ce qu’il veut. Drôle de conception de la vie en société, si inquisitoriale d’un côté et si libérale de l’autre. Et qui oublie de surcroît qu’on ne change pas l’anthropologie par décret. Ni la biologie d’ailleurs.

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On peut certes décréter par voie législative que des femmes seules ou en couple peuvent avoir des enfants, la recette de base pour confectionner un humain n’a pas changé, il faut toujours un ovule et un spermatozoïde, c’est-à-dire, au départ, un homme et une femme. Un couple de femmes – et a fortiori une femme seule – qui souhaite avoir un enfant est bien obligé de recourir à un prestataire extérieur pour se procurer l’ingrédient manquant. C’est précisément ce qu’il s’agit d’occulter. Dans la version étendue qui est aujourd’hui dans les tuyaux, la PMA permet de fantasmer qu’on a fait un bébé toute seule, ou entre femmes. Réduite à un tube à essai, la présence de l’homme ne risque pas de contrecarrer la toute-puissance maternelle (de ce point de vue, la GPA, c’est-à-dire le recours aux mères porteuses pour les couples d’hommes, est moins radicale, car elle n’élimine pas la présence féminine). Quant à la multiplication probable de familles monoparentales qui n’ont pas donné d’excellents résultats éducatifs jusque-là, elle ne semble inquiéter personne.

Quand je veux si je veux comme je veux

On a parfaitement le droit de penser que l’humanité est mûre pour en finir avec la reproduction sexuée. Prétendre que cela ne change rien dénote une sacrée mauvaise foi ou une inconscience étonnante, mais permet de dénoncer les réfractaires et les hésitants comme des ennemis du progrès. Quoi qu’il en soit, la pauvreté des arguments avec lesquels nous sommes conviés à faire le grand saut a de quoi faire peur. Il n’est question que de désir, d’amour, d’envie, c’est-à-dire de sentiments et de droits qui ne regardent personne d’autre que la ou les candidates à la maternité. Quand je veux si je veux comme je veux : on s’étonne tout de même un peu de l’enthousiasme de la vieille gauche pour ce nouveau droit à l’enfant produit par la conjonction d’un libéralisme débridé et d’un individualisme forcené.

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Octobre 2018 - Causeur #61

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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