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Quand Augustin Trapenard évoque l’attaque islamiste contre Salman Rushdie dans la “Grande Librairie”

La grandeur du déni


Quand Augustin Trapenard évoque l’attaque islamiste contre Salman Rushdie dans la “Grande Librairie”
© JOEL SAGET / AFP

L’intelligentsia de gauche a toujours autant de mal à nommer les choses, et propage aussi des fake news.


Il était difficile pour la plus importante émission littéraire de la rentrée de passer sous silence l’événement mondial qu’est la tentative de meurtre sur l’écrivain Salman Rushdie.

Augustin Trapenard et ses invités de la Grande Librairie savaient qu’ils n’y échapperaient pas et que l’exercice serait périlleux et inconfortable. On le sait, la gauche intellectuelle parisienne ne supporte rien tant que de devoir affronter le réel qui la dérange. Il leur faut s’y préparer avec beaucoup de prudence et aiguiser leurs éléments de langage les plus éculés pour arriver à feindre de traiter le problème sans jamais vraiment le nommer… Tourner autour du pot est devenu un sport dans lequel l’intellectuel de gauche excelle. Et comme la plupart des intellectuels se veulent de gauche, on s’en réjouit pour les potiers. Un bon dictionnaire des synonymes et un certain talent pour l’euphémisme vous sauveront des situations les plus délicates. 

On se souvient de la compassion obséquieuse de Trapenard avec Diam’s

Dès le début, Monsieur Trapenard, jouant toujours aussi bien de son allure de coach de bien-être, évoque l’événement en parlant d’une “agression”. Le feu du débat est à peine allumé qu’on y verse vite un peu d’eau pour que la flamme ne s’emballe pas trop. Une agression. Ne vous semble-t-il pas que la plupart des agressions n’induit pas nécessairement de multiples coups de couteau à l’abdomen et au visage qui engagent votre pronostic vital ? Ce pauvre Rushdie serait mort, Trapenard aurait à coup sûr préféré le mot “attentat” à celui de “meurtre” ou de “massacre”. Les mots sont des armes, alors enlevons vite les munitions, cela vaut mieux.

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Le ton est donné et on n’en attendait pas moins de celui qui avait longuement interviewé la chanteuse Diam’s, convertie au wahhabisme, sans jamais émettre la moindre critique quant à la radicalité de ses choix religieux. La compassion obséquieuse du journaliste avait su mettre son invitée à l’aise mais elle avait surtout réussi à transformer l’allégeance de l’ex-chanteuse au fondamentalisme islamique en simple parcours spirituel, d’un courage inspirant. Après tout, si la jeune femme a réussi à “se trouver » dans l’islam totalitaire, il serait inhumain de ne pas se réjouir pour elle… Après cet entretien plein de bons sentiments, Augustin Trapenard ne pouvait décemment pas se permettre de postillonner sur le fascisme vert dans l’émission dont il reprend tout juste les rênes.

Le combat continue

Pour ne rien arranger, ses invités ne sont pas non plus à l’aise avec le sujet. 

Laurent Gaudé ne s’en sort pas trop mal, en défendant la “pluralité des voix” et en pointant du doigt l’obsession des fanatiques pour les livres et les femmes. Mais il ne prononcera pas non plus le mot islamisme. Personne ne le prononcera. Nul besoin de faire dans le détail : tous les fondamentalismes se ressemblent et représentent tous le même danger.

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Lola Lafon rebondira volontiers sur cet argument et s’empressera, pour définitivement pacifier le débat, de citer l’exemple du Journal d’Anne Franck, qui aurait été interdit par un groupe de fondamentalistes chrétiens, aux États-Unis. Sauf que cette allégation est fausse ; le quotidien USA Today l’a confirmé. Si suite à une plainte parentale, une version illustrée du Journal d’Anne Franck avait bien dû être momentanément retirée des étagères des bibliothèques d’un district texan (certaines images étaient considérées comme trop crues), le livre y a retrouvé sa place quelques jours plus tard. « Il est important d’être clair sur ce point – indépendamment des gros titres ou des histoires sur les médias sociaux, aucun des livres faisant l’objet d’une réévaluation n’a été interdit », avait indiqué, dans un communiqué, le surintendant du district. Détail amusant, un autre livre avait en même temps fait l’objet d’une plainte dans ce même district: la Bible.

Plusieurs parents s’étaient en effet plaints de son “contenu inapproprié, comprenant de la sexualité et de la violence dont le viol, le meurtre, le sacrifice humain, la misogynie, l’homophobie, la discrimination et d’autres contenus inappropriés ». “C’est une carte de l’esclavage, de l’inceste, de la misogynie, du meurtre, de la pédophilie »[1]

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Les redoutables fondamentalistes chrétiens n’étaient donc pour rien dans cette affaire : il s’agissait d’une énième tentative d’intimidation de l’Amérique woke, toujours aussi facilement offensée et toujours aussi inculte, dont on connaît maintenant le goût prononcé pour la censure et les autodafés… Lola Lafon aurait peut-être dû revoir ses fiches avant de faire reposer ses arguments sur une fake news mais qu’importe. Il fallait parler du fondamentalisme religieux et de préférence de l’un de ceux qui n’égorgent plus depuis longtemps les écrivains et les professeurs. Quelle que soit la quantité de sang versé par l’hydre islamiste, la principale menace pour la liberté d’expression serait toujours l’intégrisme chrétien d’extrême-droite.

Despentes: la sagacité d’une lycéenne fatiguée

Cerise confite sur le gâteau, la dernière à s’exprimer sur le sujet est Virginie Despentes. Cette même Virginie Despentes qui avait exprimé, dans un texte sulfureux de 2015, toute sa compassion pour les frères Kouachi, les assassins de Charlie Hebdo. Elle s’y disait fière de les comprendre et même de les aimer. « J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage. » Bien sûr, il ne fallait pas lire le texte comme une apologie ou une justification du terrorisme mais plutôt comme une marque d’amour universel et une dénonciation du patriarcat…

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Fidèle à elle-même, Madame Despentes s’embourbe dans son analyse du danger que représente le fanatisme religieux, avec l’enthousiasme et la sagacité d’une lycéenne en manque de sommeil. Pourra sans doute mieux faire au rattrapage… Condamner les terroristes est sans doute moins évident que les comprendre.

En fin de compte, tout le monde sera vite tombé d’accord : tuer les écrivains, ça ne se fait pas. Quant à la motivation des assassins : la haine, pardi. Ce sentiment si répandu mais si impopulaire qu’il est rapidement devenu un élément de langage fourre-tout. Dès que l’islamisme tue, on peut employer le mot “haine” à loisir ; car ce ne sont pas tant les religions qui tuent que cette haine qui gangrène le cœur des hommes… Augustin Trapenard a bien joué son rôle de dévot de la bienveillance consensuelle. La haine a été dénoncée et le diable n’a pas eu le privilège d’être nommé. Passons (très vite) au sujet suivant…

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[1] Article du New-York Post du 17 août 2022



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Metteur en scène et auteur dramatique.

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