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Audition de Benalla: la panique de la Macronie

Tout est fait pour décrédibiliser le Sénat


Audition de Benalla: la panique de la Macronie
De gauche à droite: Nicole Belloubet, Alexandre Benalla et Emmanuel Macron. SIPA. 00874917_000001 / 00874712_000021 / 00875620_000021

L’audition d’Alexandre Benalla par les sénateurs de la Commission des lois est à l’origine de nombreuses approximations, émanant notamment du garde des Sceaux Nicole Belloubet, révélatrices d’une certaine inquiétude de l’entourage du président.


La justice française souffre de beaucoup de maux liés en général à l’incroyable déficit de moyens dont elle est la victime de la part de la caste de Bercy. Mais il y a aussi une malédiction, celle de ses garde des Sceaux successifs qui rivalisent d’incompétence ou de désintérêt pour la fonction – le pire exemple dans ce domaine étant Christiane Taubira. Emmanuel Macron, quant à lui, nous a gratifiés de Nicole Belloubet, une agrégée de droit s’étant frottée à la vie politique locale. Cela a suscité quelques espoirs, vite douchés. La nouvelle garde des Sceaux nous a habitués à ces séquences où, caractéristique de la garde politique rapprochée d’Emmanuel Macron, elle soutient l’insoutenable en disant parfois n’importe quoi.

Belloubet défend Benalla

Nicole Belloubet s’est encore signalée la semaine dernière en montant au front comme un avocat pour défendre bec et ongles Alexandre Benalla personnellement. Cela a fait jaser. La panique évidente de la Macronie face à la convocation du gorille par la commission d’enquête du Sénat a provoqué un florilège de déclarations confuses et souvent juridiquement ineptes. Les habituels soutiens de Macron invoquant sans cesse, et à tort et à travers, la formule magique : « Séparation des pouvoirs ». La ministre de la Justice a dû recevoir la consigne d’essayer de mettre un peu d’ordre dans la cacophonie, ce à quoi elle s’est attelée dans une mise au point publiée par Le Monde.

Mais avant de voir comment, une fois de plus, Nicole Belloubet se moque du monde, revenons en quelques mots sur le problème juridique posé par l’audition éventuelle d’Alexandre Benalla devant la commission d’enquête du Sénat. Sur le plan des principes, je suis personnellement réservé sur la possibilité de cette audition pour les raisons suivantes.

Benalla peut-il mentir ?

Nous sommes en présence de deux dispositifs juridiques distincts qui peuvent entrer en contradiction. Les prérogatives du Sénat, en matière de commission d’enquête renforcées par la révision constitutionnelle de 2008, prévoient que pour l’accomplissement de ses missions le Parlement peut se doter de commissions d’enquêtes ayant des prérogatives très étendues. Desquelles il apparaît que rien ne s’oppose à ce qu’Alexandre Benalla soit convoqué et doive déférer à cette demande. Il y sera entendu sous serment, tout mensonge étant qualifié de faux témoignage. La difficulté naît alors de ce que Benalla fait actuellement l’objet de poursuites judiciaires et que, dans ce cadre, il bénéficie de toutes les garanties de la défense. Parmi celles-ci, le droit absolu au mensonge : aucun accusé ne peut être forcé à s’incriminer, la charge de la preuve reposant sur l’accusation. Face aux questions de la commission d’enquête, même si elles n’entretenaient que des liens très indirects avec les faits pour lesquels Benalla est poursuivi pour l’instant, celui-ci se retrouverait dans une tenaille : soit il reconnaîtrait des faits susceptibles de l’incriminer ce qui aurait des conséquences sur la procédure pénale, soit il mentirait et commettrait un faux témoignage. Ah oui, vous disent les sénateurs, mais on ne va pas l’interroger sur ce qui s’est passé place de la Contrescarpe. Compte tenu de ce que l’on sait des premières auditions de l’été, il serait hypocrite de souscrire aux engagements de respecter scrupuleusement le périmètre de l’information judiciaire. Et ce d’autant que celui-ci, malgré un parquet arc-bouté sur le frein, pourrait finir par être étendu. Alors, il ne s’agit pas d’un problème de séparation des pouvoirs, mais de contradiction des pouvoirs d’enquête du Sénat avec les prérogatives liées à l’exercice des droits de la défense qui, à mon avis, relèvent de principes supérieurs.

Le Sénat obéira…

Mais, dans son article du Monde, Nicole Belloubet ne s’est pas arrêtée à ce seul aspect. Pour une raison simple : il s’agit de s’attaquer au Sénat, seule institution actuelle de la République en mesure de s’opposer à Emmanuel Macron. La pantalonnade de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale et le sinistre épisode de l’élection de Richard Ferrand au perchoir montrent bien à quel niveau d’asservissement Emmanuel Macron a abaissé l’Assemblée, ce qui ne l’empêche pas de téléphoner au président du Sénat pour lui donner des leçons de séparation des pouvoirs… La garde des Sceaux emprunte gaillardement le même chemin.

Après des propos liminaires en forme d’aveu qui consiste à dire qu’enquêter sur l’affaire Benalla c’est mettre en cause le président, elle invoque solennellement, ce qui fait toujours très chic, la déclaration des droits de l’homme de 1789. Pour ensuite rentrer dans le dur et reproduire le libellé de l’article 51–2 de la Constitution : « Pour l’exercice des missions de contrôle et d’évaluation définies au premier alinéa de l’article 24, des commissions d’enquête peuvent être créées au sein de chaque assemblée pour recueillir, dans les conditions prévues par la loi, des éléments d’information… ». Elle ajoute ensuite que « le champ d’intervention des commissions d’enquête n’est pas indéterminé. L’article 51-2 de la Constitution en fixe les limites en renvoyant à son article 24, qui donne au Parlement la mission de contrôler « l’action du gouvernement » et d’évaluer les politiques publiques. Les mots ont un sens. »

…ou ne sera pas

Oh oui Madame, ils ont un sens et ils nous permettent de constater que vous essayez de vous moquer de nous. Par un tour de passe-passe, vous limitez les missions du Sénat au seul contrôle du gouvernement, et glissez sous le tapis celle de l’évaluation des politiques publiques. Parce que la lecture de l’article 24 démontre qu’il y en a deux. Celle d’évaluation des politiques publiques étant distincte de celle du contrôle du gouvernement.

Que le Parlement ne puisse pas « contrôler » la part de l’exécutif représenté par le président de la République est une évidence. Mais il faut rappeler que pour exercer cette mission de contrôle du gouvernement, les assemblées ont des pouvoirs spécifiques et strictement normés : discours de politique générale, vote de confiance, questions écrites ou orales, avec pour l’Assemblée nationale le pouvoir de renversement. De la même façon, il y a des prérogatives spécifiques pour l’accomplissement de la deuxième mission, celle d’évaluation, comme entre autres les rapports publics et les commissions d’enquête. Et on a beau lire la Constitution, on ne voit rien qui s’oppose à ce que le Sénat puisse enquêter sur l’organisation de la sécurité du président de la République et sur le rôle des forces de police et de gendarmerie qui, elles, sont sous la responsabilité du gouvernement.

In fine, Nicole Belloubet ajoute dans son article : « Au nom du même principe de séparation des pouvoirs, il revient aux instances parlementaires d’apprécier si leurs travaux risquent d’empiéter ou non sur le champ de l’enquête judiciaire. Personne ne peut leur dicter leur conduite. » Pourquoi, alors que vous reconnaissez l’évidence de la souveraineté du Sénat, venez-vous lui donner, Madame la ministre de la Justice cette leçon de séparation des pouvoirs parfaitement incongrue ? Leçon dont vous vous étiez d’ailleurs bien gardée avec la commission d’enquête de l’Assemblée nationale dès lors qu’elle était verrouillée par l’ineffable Yaël Braun-Pivet. Partageriez-vous la singulière conception de la démocratie du non moins ineffable Benjamin Griveaux qui déplore que la commission du Sénat ne soit pas présidée par un sénateur LREM ?

Le mystérieux coffre d’Alexandre Benalla

Je ne vois qu’une explication à ce curieux bazar, celle de la fébrilité qui a saisi la Macronie face à une fermeté largement soutenue par l’opinion publique, et la crainte de la vérité sur l’ensemble de cette affaire Benalla. Et l’opinion publique est d’autant plus remontée qu’il n’est pas exagéré de dire que la justice ne fait pas son travail ou en tout cas très timidement. Nous avons décrit ici notre perplexité devant ce qui commence à s’apparenter à une protection d’Emmanuel Macron et de son entourage. On rappellera l’épisode le plus spectaculaire, celui de la perquisition au domicile du garde du corps. Le déroulement, qui a stupéfait tous les professionnels habitués à ces procédures, a vu des policiers renoncer à faire leur travail et se retirer. Avant de revenir le lendemain matin pour constater la disparition d’un coffre-fort enlevé dans la nuit par la « femme » de Benalla et remis à une personne que celui-ci a refusé de nommer. Décision ahurissante, le parquet de Paris a refusé de délivrer un réquisitoire supplétif pour enquêter sur ce qui s’apparente quand même à une destruction de preuves. C’est plutôt de cela que Madame la garde des Sceaux devrait se préoccuper.

De mon côté, au contraire de Nicole Belloubet, je n’ai aucune leçon à donner aux membres de la commission d’enquête du Sénat. Simplement leur faire part d’une petite observation : le refus par le procureur de la République du réquisitoire supplétif qui aurait permis aux juges d’instruction de se pencher sur l’épisode rocambolesque du coffre disparu permet de considérer que celui-ci est donc en dehors de la procédure judiciaire.

Les sénateurs peuvent donc en toute sérénité poser à Alexandre Benalla cette question qui intéresse beaucoup de monde : « Qu’y avait-il donc dans votre coffre Monsieur Benalla ? »



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