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Générations ADN: les déracinés du nouveau monde

Vous savez bien qu'on n'a pas besoin de parents...


Générations ADN: les déracinés du nouveau monde
Elisabeth Lévy, 2014. ©Hannah Assouline/Leemage

On nous dit que les origines ne comptent pas et qu’on peut tout aussi bien naître sans père. Et pourtant, le commerce des tests ADN est florissant. Le nouveau monde cherche ses racines. 


Il m’arrive de me laisser bercer par le ronron des chaînes-info, voire de m’assoupir devant – je sais c’est plouc. C’est donc dans un demi-sommeil que je crois avoir vu, une nuit, passer sur l’écran une publicité pour les tests ADN commercialisés par la société israélienne MyHéritage. Cela m’en a rappelé une autre où l’on voit Stéphane Bern vanter les mérites d’un site de généalogie – « Vos origines vont vous étonner ». Certes la généalogie à l’ancienne, même dopée par le numérique (qui permet d’explorer des milliers de documents d’état-civil), fait figure d’aimable passe-temps à côté de l’industrie en pleine expansion qui propose aujourd’hui à tout individu de savoir quel pourcentage de sang aztèque, ashkenaze ou mongol coule dans ses veines. La vogue de l’une et de l’autre témoigne en tout cas de la force de passions que le progressisme du XXIème siècle (peut-être faudrait-il parler de néo-progressisme) croyait avoir éradiquées et qui resurgissent avec la force du refoulé : celle des origines et celle des races.

« Trouvez de nouveaux parents » 

Depuis le 17 avril, on peut donc commander un kit pour 59 euros : « Dévoilez vos origines ethniques et trouvez de nouveaux parents avec notre test ADN », promet le site de MyHeritage. On l’a appris à l’occasion d’un piratage, l’entreprise possède un fichier de 92 millions de clients. Et aux Etats-Unis, de nombreuses sociétés, tout aussi florissantes, proposent le même service. Le succès du business de l’ADN montre aussi au passage, le génie du capitalisme pour tirer profit des désordres qu’il contribue à installer.

On pourrait s’étonner d’une acclimatation si rapide, alors que nous nous employons depuis des siècles à nous affranchir des déterminismes biologiques. Il y a quelques années, Nicolas Sarkozy faisait scandale en proposant d’utiliser les tests ADN pour vérifier les liens de parenté des demandeurs d’asile. Certains croyaient même avoir définitivement congédié la nature, tandis que chacun était invité à se réinventer à son goût. Pour en finir avec le racisme, nous avons aussi destitué les races, allant jusqu’à interdire la seule mention de leur existence. La science, après tout, a prouvé qu’elles n’existaient pas et validé l’hypothèse d’une seule famille humaine. Et voilà que la science nous les ramène par la fenêtre, assignant chacun à sa seule définition biologique (ou génétique). Je ne sais pas quelle est la logique scientifique qui permet d’annoncer à quelqu’un qu’il est un dixième noir et trois quarts anglais ni quel fichu intérêt cela peut bien avoir, mais il y a des tas de gens dans le monde (et en France visiblement) prêts à payer pour savoir s’ils ont du sang chinois ou zoulou. Sur le net américain, on peut ainsi visionner des suprémacistes latinos, noirs, juifs ou blancs se soumettant au test ADN pour vérifier la « pureté de leurs origines ».

Né sous X, comme tout le monde

Il faut croire que ces affaires d’identité, dont on nous serine qu’elles n’intéressent que quelques cerveaux malades, tourmentent encore pas mal de nos contemporains. Peut-être écoutent-ils tous Zemmour. À moins que l’antiracisme obsessionnel ait conduit à l’obsession de la race.

En tout cas, voilà encore un refoulé qui la ramène. Et qui dit pas mal d’âneries. Car quoi qu’en disent ceux qui veulent disqualifier la notion même d’identité, celle-ci procède bien plus de la culture qui libère que de la nature qui assigne. On ne peut rien faire contre la génétique. À part s’en moquer. Ce n’est malheureusement pas l’humeur de l’époque.

Un autre phénomène contribue à développer le business de l’ADN : le découplage en cours entre la reproduction et la sexualité qui peut désormais se passer de la rencontre avec l’autre sexe. L’universalisation de l’accès aux technologies procréatives, réclamée au nom de l’égalité des droits, permet et permettra de plus en plus de faire naître les enfants que le célibat ou l’amour homosexuel ne savent pas (encore) engendrer. En conséquence, la « naissance sous X » finira par devenir une norme, voire la norme principale. On imagine sans peine que ce grand bazar de la filiation nourrira frustrations et troubles, lançant des enfants dans la quête névrotique de parents biologiques qui se seront contentés de fournir quelques cellules.

Je suis ce que vous voulez

En effet, même dans le monde de la fluidité, les humains sont toujours taraudés par les mêmes questions : qui suis-je, d’où viens-je, qui sont ceux qui m’ont précédé ? C’est même tout le contraire car la transparence, autre vache sacrée de l’époque, exige la levée de tous les secrets.

Après avoir vu la pub pour MyHéritage j’ai fait des cauchemars où il était beaucoup question d’ADN. Je commandais mon profil et figurez-vous que je recevais un mail m’affirmant que j’étais un homme. J’ai été soulagée en me réveillant de découvrir que non. Mais à la réflexion, qu’est-ce qui me permet de dire que je suis une femme ?

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Septembre 2018 - Causeur #60

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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