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Drôle de fête nationale que la nôtre!

Le 14-Juillet n'a jamais vraiment fait consensus...


Drôle de fête nationale que la nôtre!
Répétitions du défilé aérien du 14 juillet, 11 juillet 2022 © NICOLAS NICOLAS MESSYASZ/SIPA

La méprise de la Bastille…


Dans tous les pays, la date de la fête nationale ne pose pas problème. Pour tous les Américains, c’est sans discussion le 4 juillet, date anniversaire de la Déclaration d’indépendance du 4 juillet 1776. Les Canadiens fêtent le 1er juillet 1867, jour de la Confédération. Et ainsi de suite…  Eh bien ! Les Français ne célèbrent-ils pas de leur côté le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille ? C’est ce qu’ils croient mais ils se trompent, ou plutôt on les trompe au nom de la doxa républicaine.

Le 14 juillet 1789 n’a jamais été célébré comme tel, à commencer par le 14 juillet 1790 qui s’employa à gommer la prise de la Bastille dans une grandiose Fête de la Fédération où le roi retrouvait sa place (« la Nation, la Loi, le Roi »). À l’annonce de la prise de la Bastille, les députés avaient pris peur. Ils voulaient bien du peuple mais pas trop. Les têtes au bout d’une pique n’étaient pas encore au goût du jour. Pas de Bastille donc mais un 14 juillet quand même !

Napoléon ne voulut entendre parler ni de l’une, ni de l’autre de ces dates ni d’ailleurs de la Révolution, et la Restauration moins encore qui entendait « effacer les maux de notre souvenir ».

Napoléon III, plus subtilement, comprit qu’il fallait aux Français une grande fête, une grande date réunissant le pays. Alors, il inventa le 15 août, déjà jour de l’Assomption mais qui devint la Saint-Napoléon (jamais saint ne fut plus improbable). Ce fut une réussite, la première véritable mise en scène de la nation souveraine, le premier essai réussi d’une fête nationale.

La IIIe République naissante se devait d’instaurer à son tour une fête nationale mais quelle date choisir ? Quel mythe fondateur ? Le 21 mai 1880, Benjamin Raspail, député de la Seine pour la gauche républicaine, déposa un projet signé par 64 députés (tous républicains radicaux et presque tous Parisiens) visant à instituer le 14 juillet en fête nationale. Oui, mais lequel ? Pour les républicains, il ne pouvait s’agir que du 14 juillet 1789, le jour de la Bastille, mais pas pour les catholiques, ni pour l’opposition parlementaire vouant cette date aux gémonies. On ne voulait pas d’une « fête de l’assassinat ».

La discussion de la loi à la Chambre des députés puis au Sénat, le 29 juin, fut l’occasion de belles empoignades. Au Sénat, on avait pourtant choisi avec soin le rapporteur en la personne de Henri Martin, auteur d’une imposante Histoire de France en 19 volumes, prudemment arrêtée à 1789. Il ne tarda pas à s’emberlificoter dans les deux 14 juillet. À propos de celui de 1789, il déclara : « Il y a eu du sang versé, quelques actes déplorables mais hélas dans tous les grands événements de l’Histoire, les progrès ont été jusqu’ici achetés par bien des douleurs, par bien du sang. Espérons qu’il n’en sera plus ainsi dans l’avenir » (des voix à droite : « Oui, espérons ! » « Nous n’en sommes pas bien sûrs ! »).

A lire aussi, du même auteur: Je n’ai jamais aimé la Révolution française

Alors le rapporteur eut un trait de génie : « Si quelques-uns d’entre vous ont des scrupules contre le premier 14 juillet, ils n’en ont certainement pas quant au second ». Et de conclure : « C’est la grande image de l’unité nationale que nous voulons tous ». C’est ainsi que fut vendu un 14 juillet pour le prix de deux. La loi du 6 juillet 1880, toujours en vigueur, traduit bien en son article unique cette ambiguïté :

« La République adopte le 14 juillet comme jour de fête nationale annuelle ».

Ce 14 juillet composite aura d’abord connu un ancrage tout relatif. Lors du premier centenaire de la Révolution en 1889, la date du 5 mai 1789, celle de l’ouverture des états-généraux, qui avait été proposée parmi d’autres, retrouva soudain du lustre. Quant au 14 juillet, il ne faisait toujours pas l’unanimité, pas plus que la Révolution d’ailleurs. Attaqué à droite, il le fut aussi à l’extrême gauche y voyant un anniversaire hypocrite faisant sonner bien fort les mots de liberté, d’égalité et de fraternité aux antipodes des conditions de travail et de vie faites aux travailleurs. Le 1er mai rompit avec le 14 juillet bourgeois (on notera au passage que la revendication en 1890, jugée alors exorbitante par le patronat, était d’obtenir la journée de travail de huit heures avec le seul dimanche chômé – soit une semaine de 48 heures).

Le 14 juillet fut tout autant vilipendé par la droite monarchiste et catholique qui milita de son côté pour l’institution d’une autre fête nationale sous l’égide de Jeanne d’Arc : le 8 mai, anniversaire de la délivrance d’Orléans. Les célébrations officieuses se multiplièrent jusqu’à ce que les Républicains prissent le train en marche. La loi française du 10 juillet 1920 institua la « Fête Jeanne d’Arc », fête du patriotisme (on compte aujourd’hui douze journées nationales).

Pris sous ces tirs croisés, le 14 juillet ne trouvait pas sa fonction de rassemblement du peuple français. Il se concentra sur son défilé militaire lequel ne tarda pas à être contesté à son tour par l’extrême gauche. Dès 1881, Le Temps demandait sa suppression : « On n’a pas su discerner si par cette exhibition on honorait vraiment l’Armée ». Cette contestation prit des allures d’affaire d’État lorsque Eva Joly, candidate des Verts pour l’élection présidentielle de 2012, préconisa de supprimer le défilé militaire sur les Champs- Élysées et de le remplacer par un défilé citoyen.  « Le défilé militaire, ça correspond à une autre période, celle d’une France guerrière ». Qu’avait-elle dit là ! Les insultes en haut lieu surgirent (Fillon, Chevènement, Guaino…). On l’accusa de vouloir supprimer l’Armée – ce qui n’était pas le cas. Le 14 juillet, avec son défilé, était un peu comme un vieil objet de famille trônant depuis des générations sur la cheminée du salon, qu’on ne remarquait plus mais qu’il n’était pas question de faire disparaître ni même de déplacer.

Drôle de fête nationale que la nôtre ! Elle ne nous rassemble pas mais nous divise pour peu qu’on prenne la peine de nous pencher sur son contenu. Elle est devenue une fête vide de sa propre histoire au demeurant chaotique, un jour férié parmi tant d’autres où chacun, comme dans la chanson de Brassens, peut rester dans son lit douillet.

À lire : Le mythe du 14 juillet ou la méprise de la Bastille, de Claude Quétel, JC Lattès, 2013.

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Claude Quétel est historien

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