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Une course de champion


Une course de champion

Arnaud Le Guern est Breton. En soi, ce n’est pas grave même si cela déjà doit mettre la puce à l’oreille : le Breton est celte, irrationnel et la même pulsion mystique le pousse à adorer les fées, les korrigans et Saint-Anne-du-Palud. On ne sait jamais avec eux, un accès de violence lyrique est vite arrivé et ça ferait mauvais effet dans une France où tout le monde, même les romanciers, semble avoir peur de hausser le ton.

Arnaud Le Guern mouille depuis quelques années déjà dans les parages de la Flore, boit du champagne avec des jeunes filles et continue, le naïf, à leur parler littérature alors qu’elles ne pensent qu’à l’édition. Breton et germanopratin. Le dossier s’alourdit. On l’aurait vu en compagnie de la bande de Cancer, une éphémère revue littéraire, hargneuse, intolérante, talentueuse et provocatrice. Il les a quittés assez vite. Il n’aime pas les bandes mimétiques qui rejouent mal le surréalisme en mettant des bouts de fascisme et de porno crade dedans. On l’a vu aussi co-signer récemment, avec Thierry Séchan, le dernier volume de Nos Amis les chanteurs, un guide aux allures d’exécutions capitales pour se faire plein d’amis dans le chobizeness, comme disait Jean Yanne, et en particulier chez les idoles anémiées genre mous du slam ou filles nées en 73.

Arnaud Le Guern, anarque finistérien, se reconnaît pourtant une divinité tutélaire. Une seule. Jean-Edern Hallier. Vous voyez, son compte est bon. Et on a des pièces à transmettre au procureur. À vingt-cinq ans, en 1991, alors qu’il aurait pu faire une école de commerce ou, si vraiment il voulait gribouiller, écrire un récit de son enfance cernée par des prêtres pédophiles (il est breton après tout), le voilà qui balance comme une gifle salée et insolente une Stèle pour Jean Edern. Les jeunes écrivains ont tous besoin d’intercesseurs, mais reconnaissons que choisir un mort récent, dont la vie et l’œuvre ne furent qu’un long scandale, il fallait une certaine dose d’inconscience et un vrai mépris pour un plan de carrière balisé dans la République des Lettres. Hallier fut sans doute la dernière figure littéraire du monde d’avant, se servant d’un journal, L’Idiot International, pour faire feu contre l’époque tout entière y compris le pouvoir lui-même qui ne vous embastille plus mais vous ruine à coups de procès : c’est évidemment ce qui a plu à Le Guern. Il est né en 1976, mais il préfère les bibliothèques municipales où l’on photocopie des chroniques de Bernard Frank et des romans épuisés de Jean Freustié à Facebook où des gens de son âge répondent à des quizz genre « Quel bonbon Haribo êtes-vous ? »

Nous avons préféré vous mettre en garde sur l’individu avant de vous parler de son premier roman, Du soufre au cœur. Comme ça, vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus.

Le Guern emprunte un titre qui fait écho à Louis Malle et indique au passage que le bonheur est aussi une salle obscure où passeraient en boucle des Godard première période ou des Chabrol dialogués par Gégauff. Dans Du Soufre au cœur, il sera question d’un jeune homme en cure de désintoxication au Val de Grâce. Trop de bulles, trop de tremblements matinaux. Il ne se cherche pas d’excuse, refuse le repentir. Il se fait le documentariste amusé ou furieux d’une déchéance somme toute somptueuse puisqu’elle est habitée par le style. Le style, c’est la grande affaire de Le Guern. Il a bien raison : quand on en aura fini avec toutes les idées, il nous restera le style. Il nous restera d’avoir fait jouir la langue française dans des positions que la morale réprouve. Cela seul nous sera compté.

Le Guern l’a compris et ça donne des autoportraits de ce genre : « Qui je suis ? Un grand rien percuté par la berline saoule de mes émotions. Aristocrate échoué à l’asile, oiseau fou mazouté, vieux gamin français passé trop vite des jupes de sa mère aux jupes des filles, jouisseur au regard froi, plaisantin du plaisir, dandy de foire, picoleur assermenté, enfant du siècle passé à tabac, socialo suicidé, idiot inutile, coco fascistoïde, prof de merde, écrivain de basse-fosse, pouilleux sans dieux, ni maîtres – sauf les miens ! –, franc tireur jamais partisan, derviche blasphémateur, Zorro au cœur qui pleure, fada de fado, de la peau et des frissons. »

Vous comprenez ? Oui ? Vous voulez le relire pour le plaisir, pour vérifier que ce qui coule tout seul est admirablement travaillé ? Allez-y, c’est fait pour ça.

D’autant plus que tout le roman de Le Guern est de cette eau-de-vie-là. On se dit qu’il ne va pas tenir le rythme, qu’il ne va pas pouvoir, en gardant ce tempo là, raconter comment on perd un amour, comment on pourrait en retrouver un autre, comment il est impossible de ne pas avoir envie de boire le verre en trop quand Iseult se met à vouloir passer des concours administratifs ou que Shéhérazade par haine de soi suce des anciens d’Afghanistan dans la salle des internes.

Eh bien si, on peut. Ce roman en est la preuve. C’est pour cela qu’il faut lire Le Guern, grand admirateur de la foulée de Katrin Krabbe et des envolées de Marco Pantani, ce martyr.

Du Soufre au cœur, c’est un sprint immobile. Une retrouvaille avec le souffle. Une course de champion.

Du soufre au coeur

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