Terrorisme: Lagrange appelle un chat un chat


Terrorisme: Lagrange appelle un chat un chat
Hugues Lagrange. Sipa. Numéro de reportage : 00531797_000004.
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Hugues Lagrange (Photo :Sipa.00531797_000004)

Quatre ans après les attentats de Toulouse et Montauban et malgré toutes les attaques terroristes que des pays comme la France et la Belgique ont subies depuis, certains persistent dans le déni : certes d’inspiration musulmane, le djihadisme serait avant tout une pathologie sociale. Autrement dit, bien que les terroristes et leurs complices soient toujours musulmans (pour éviter toute polémique inutile, disons qu’ils se réclament de l’islam et que nous n’avons nulle autorité pour les excommunier) et soient souvent issus de l’immigration maghrébine, ces deux caractéristiques ne devraient pas être considérées comme les causes de leur comportement, pas plus que leur taille ou la couleur de leurs yeux.

C’est ce discours d’aveuglement qu’Hugues Lagrange dénonce dans une tribune publiée dans Le Monde avant-hier. Si son titre « En France, les jeunes issus de l’immigration musulmane n’ont pas de destin commun », ne nous dit pas grand-chose de son argument principal, une grande partie de son argumentation paraîtra tout aussi sibylline au grand public, peu au fait des querelles byzantines entre chercheurs en sciences sociales.

Car l’objet de la controverse est le rapport intitulé « Recherches sur les radicalisation, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent – Etat des lieux, propositions, actions » signé par le président du CNRS Alain Fuchs. Répondant à une commande passée après les attentats de novembre dernier, ce texte remis début mars à Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, et Thierry Mandon, secrétaire d’Etat chargé des universités, recense différents travaux de recherche (sur l’islam en prison ou dans l’armée, la ségrégation spatiale, les comportements violents), afin éclairer les décideurs politiques sur le phénomène de radicalisation islamiste.

Et il est clair que Lagrange, déjà diabolisé pour son étude des émeutes urbaines de 2005, ne va pas se faire que des amis. Derrière une politesse prudente, l’auteur du Déni des cultures (Seuil, 2010) doute de la capacité même des sciences sociales en France à apporter des explications au terrorisme islamique, avant de préciser sa cible. Lagrange s’attaque de front aux thèses d’Olivier Roy, qui ont largement influencé ledit rapport, selon lesquelles le djihadisme n’est pas une forme radicale de l’islam mais relève en fait d’une islamisation de la radicalité. Roy avait en effet déclaré au Monde que la radicalisation ne représente pas la « révolte de l’islam » ou celle « des musulmans » mais concerne deux catégories très précises de jeunes, certes majoritairement issus de l’immigration, mais aussi certains Français « de souche ». Pour Roy, l’islam est quasi-anecdotique dans l’affaire et aurait autant à voir avec leur radicalisation que la couleur de leur caleçon. De surcroît, seuls seraient en cause les enfants d’immigrés de la « deuxième génération » ainsi que des convertis (dont le nombre augmente constamment, mais qui constituaient déjà 25% des terroristes à la fin des années 1990).

À ses arguments de spécialiste, Lagrange répond que des immigrés des première et troisième générations se retrouvent pourtant parmi les radicalisés, « dans des proportions mal connues ». Et lorsque Roy monte en épingle le double conflit opposant les djihadistes à leurs parents et à la société, Lagrange réplique par une évidence : « Bien peu de jeunes en conflit avec la culture de leurs parents et avec la société deviennent terroristes ». Il est vrai que la jeunesse rebelle préfère généralement le look gothique avec vêtements sombres et rat sur l’épaule à l’option djihadiste…

Allant un chouïa plus loin, Lagrange rappelle que « les inconduites des jeunes issus des migrations musulmanes en Europe, puis les violences et le terrorisme, dont ils sont aussi acteurs, se sont développés parallèlement à la dérive de l’islam et aux guerres civiles qui ensanglantent les sociétés du Moyen­-Orient [ainsi que] l’effondrement de l’Etat et de son appropriation clanique.» Effectivement, il paraît inconcevable d’ignorer les événements qui se sont produits dans le monde arabe depuis 2011. Au sujet de leurs répercussions en France, Olivier Roy évoque « l’élan » qu’il aurait provoqué chez les jeunes habitants de nos banlieues. Mais Lagrange explique que  les printemps arabes n’ont pas entraîné d’enthousiasme, voire d’intérêt, de la part de ces jeunes, alors même qu’en Grèce et en Espagne le mouvement des Indignés s’est explicitement inspiré de ces printemps.  Ainsi, contrairement à Roy, Lagrange estime que « les violences extrêmes sont l’expression d’une terrible dérive, d’une course à l’abîme, pas un registre d’action sociale. Culture et religiosité sont complètement mêlées ». En clair, ce n’est pas la révolution tunisienne ni la jeunesse égyptienne de la place Tahrir et leur projet démocratique qui ont fait rêver dans les quartiers, mais plutôt les égorgeurs de l’Etat islamique qui ont capté l’imagination et poussé à  l’action.

Après un avertissement de circonstance (« Je trouve détestable leur exploitation pour fermer la porte aux réfugiés qui y sont dans leur écrasante majorité étrangers, et non moins lamentable l’instrumentalisation du discours féministe contre les immigrés »), le sociologue s’attaque enfin à l’analyse « royiste » des événements de Cologne. Et Lagrange de lâcher une bombe dans le petit monde des sciences sociales : les événements de la Saint-Sylvestre en Allemagne ne sont pas « des débordements liés à la boisson, mais des violences asymétriques dans l’espace public commises par des hommes, pas nécessairement demandeurs d’asile, issus de pays musulmans dans leur grande majorité ». Tout ça pour ça ? Appeler un chat un chat n’est jamais évident, surtout pas quand il s’agit de faire dessiller notre classe dirigeante.

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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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