Suisse : en Turgovie, le français n’a plus cours


Suisse : en Turgovie, le français n’a plus cours

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En Suisse, les élèves des écoles primaires du canton de Thurgovie seront dispensés d’apprendre la langue de Molière. Les autorités du canton alémanique expliquent qu’il s’agit d’une mesure technique destinée à mieux repartir la charge de travail des enfants. Un argument qui laisse perplexe du côté francophone. Il est vrai qu’en matière d’enseignement, chaque canton est souverain et possède son propre système éducatif. Mais, en Suisse romande, on vit ce recul du français comme un coup porté au fragile équilibre helvète. Dans ce pays fait de subtils compromis entre les communautés, les langues sont un point sensible. Contrairement à sa voisine française – censée rester une et indivisible, la Suisse suit une toute architecture identitaire centrée autour de l’attachement à une langue particulière. Autant dire que les cours de langues des  « kinder » de ce canton dépassent largement la sphère des débats entre pédagogues.

Thomas Maissen, directeur de l’Institut Historique Allemand à Paris (IDH), relativise l’importance de la décision thurgovienne : « Il ne s’agit pas d’interdire la langue française dans les cantons alémaniques. La vraie question pour ces régions est de devoir choisir entre l’anglais et le français ». Autrement dit, pour des raisons pragmatiques – l’anglais présente surtout un intérêt économique – les professionnels de l’éducation se sont trouvés face à un problème pédagogique : ajouter l’anglais au programme déjà chargé ou bien reporter les cours de français (jugées plus difficiles) à plus tard. Or, toucher au Français a une dimension éminemment politique… 

Mais qu’en est-il côté francophone ? Sacrifie-t-on l’allemand sur l’autel de l’efficacité et de l’utilité pour faire de la place à l’anglais ? Cette question, certes légitime, est à nuancer : 19 des 26 cantons suisses sont alémaniques, ce qui fait de l’allemand une langue à l’utilité non- négligeable. Les italophones, quant à eux, se sentent plus proches des cantons alémaniques. On retrouve logiquement la domination de la langue allemande dans le domaine politique puisque la majorité de la population suisse est germanophone. Supprimer – ou affaiblir – l’apprentissage de l’allemand ne ferait qu’isoler la France romande du reste de la Suisse.

Ceci étant, Thomas Maissen n’oublie pas de rappeler que « chaque canton se sent protégé linguistiquement ». Selon lui, les véritables clivages au sein de la société suisse ne sont pas linguistiques mais séparent les urbains des ruraux, les catholiques des protestants et les tenants de telle politique étrangère contre telle autre. L’attachement aux identités cantonales n’est pas exclusif d’autres affiliations, au moins aussi importantes.

La question des langues à l’école relève donc d’une question bien plus pratique que politique. Dans l’ouest francophone on aimerait que le français reste la « lingua franca »; dans l’est alémanique,  on pousse  l’anglais.

Mais derrière ces arguments parfaitement pragmatiques, une question sous-jacente persiste : y a t-il une volonté plus large de bannir définitivement le français de tous les cantons alémaniques ? Pour l’instant, la  réforme Thurgovienne a inspiré les canton de Nidwald et Grison qui ont déjà appliqué cette restriction.

Pour autant, l’hypothèse d’un glissement de la « toute-puissance » allemande vers la Suisse est à écarter : les Suisses-Allemands ne sont pas les « Volksdeutsche » des années 2000… Ils prendraient comme une insulte d’être assimilés aux Allemands. A l’inverse, les Suisse romands entretiennent avec la France, sa langue et sa culture une liaison bien plus étroite.

Si la Suisse est loin de traverser une guerre de langues, malgré les crispations suscitées par le débat sur l’enseignement du français. Cette anecdote nous en dit long, aussi bien sur le statut de la langue française que sur l’attractivité croissante de l’anglais.  Dans un monde multipolaire où les puissances anglo-saxonnes ont tendance à décliner,  Shakespeare peut mettre tout le monde d’accord.

* Photo : Wikicommons



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