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Syrie : Sarkozy s’en va-t-en guerre


Un ancien président, ça ne parle pas énormément. D’ordinaire, les ex locataires de l’Elysée s’en tiennent à un strict devoir de réserve, tuant le temps entre les soporifiques séances du Conseil Constitutionnel et des bains de foule place des Lices à Saint Trop’, lorsqu’ils ne sont pas occupés à siéger sous la Coupole, parmi les Quarante Immortels qui ont eu la largesse de leur offrir l’épée et le bicorne.

Patatra. Voilà qu’à peine remis de son revers du 6 mai, Nicolas Sarkozy remet les pieds dans le plat diplomatique en dispersant façon puzzle la politique étrangère de son successeur. La conversation téléphonique entre Sarkozy et le chef du Conseil National Syrien, Abdel Basset Sayda, ainsi que le communiqué officiel conjointement signé par les deux hommes, ont provoqué leur petit effet. Du jamais vu de mémoire de satrape oriental ! Sarkozy s’en prend vertement à François Hollande en insinuant que la France n’en fait pas assez pour aider les « rebelles » syriens en guerre ouverte contre le régime de Bachar Al-Assad. Comprendre entre les lignes : je me suis décarcassé pour la Libye, Flamby reste les bras ballants devant la situation syrienne, comparez un peu ! Déjà, BHL se dit ouvertement déçu par le candidat qu’il soutenait tout en vantant le « grain de folie » de son rival UMPiste. Quant aux porte-flingues de l’UMP, j’ai nommé Frédéric Lefebvre et Nadine Morano, tous deux battus dans leur circonscription législative, ils ont brusquement (re)lu Jacques Berque, Henry Laurens et Michel Seurat pour devenir de vrais spécialistes du Levant, irrémédiablement persuadés du bienfondé d’une intervention militaire internationale en terre syrienne.

Bien sûr, la manœuvre politicienne est évidente et ses ficelles bien épaisses. Mais, dans cette histoire de présidents, personne peut se targuer d’agir en conscience tant l’hypocrisie est la chose la mieux partagée du monde. Rien ne nous dit en effet qu’un Sarkozy réélu aurait géré le dossier syrien comme le cas libyen de 2011. Sauver Benghazi garantit certes de belles images de film hollywoodien avec happy end artificiellement programmée à la fin, mais cela ne fait pas de la Libye libre un Etat pérenne et démocratique, ni même un Etat de droit. De surcroît, les puissances belligérantes ayant largement outrepassé le mandat que leur confiait la résolution 1973 de l’ONU, censée assurer la simple protection des populations civiles, la Russie et la Chine qui s’étaient alors pliées à la volonté occidentale, ont retenu la leçon, au point d’entraver tout projet de texte onusien condamnant les abus du régime de Damas.

La question est simple : soit l’ancien président pense qu’il faut contourner le Conseil de sécurité soit il détient la botte secrète qui permettrait à la France de convaincre Pékin et Moscou . Le cas échéant, nous serions curieux de savoir pourquoi il n’en a pas fait usage avant le dimanche 6 mai à 20 heures.
Tout pétri de bonnes intentions interventionnistes, Sarkozy aurait donc eu les mains liées, devant composer avec son partenaire de jeu otanien, le britannique David Cameron, qui a d’autres chats à fouetter en cette période de jeux olympiques et de crise économique. Sans parler du maître de la Maison Blanche, Barack Obama dont la cible prioritaire s’appelle…Mitt Romney, à quelques mois de l’échéance présidentielle.

Mais, rassurez-vous, au niveau diplomatique comme dans nombre d’autres domaines, passée la séquence des symboles et des ravalements de façade, le changement n’est pas pour maintenant.
Comme sur la règle d’or, bientôt adoptée en catimini par la majorité parlementaire de gauche sous la forme d’une loi organique[1. Depuis hier soir, nous savons que les Sages n’ont pas jugé bon d’exiger une révision de la Constitution pour adopter la règle d’or. Hollande pourra donc formellement tenir sa promesse de ne pas inscrire cette règle dans la Constitution, tout en contentant Bruxelles et Francfort. L’histoire retiendra que le trio d’anciens présidents Sarkozy-Chirac-Giscard, siégeant rue de Montpensier, lui a donné ce coup de pouce du destin.], UMP et PS rivalisent de déclarations d’intention indignées.
Sur le cas syrien, à l’indignation déclamatoire des grognards de l’UMP, répond le pragmatisme des nouveaux dirigeants français, qui posent pour la photo avec Stéphane Hessel mais potassent leur Clausewitz dès qu’il s’agit d’affaires stratégiques sérieuses. Laurent Fabius a ainsi troqué les condamnations hémiplégiques (qui lui firent condamner très mollement l’attentat de Damas du 18 juillet) contre un attentisme de bon aloi. Le ministre a beau jeu de dénoncer l’opportunisme et l’inélégance protocolaire de l’ancien président, avant d’avancer des arguments de fond.

« La situation de la Syrie est très différente de celle de la Libye » plaide-t-il pour justifier l’immobilisme français avant d’expliquer : « d’abord, d’un point de vue géostratégique puisque la Syrie est entourée, comme chacun devrait le savoir, de l’Irak, du Liban (avec les conséquences sur Israël), de la Turquie et de la Jordanie (…) D’autre part, « les situations militaires ne sont pas du tout les mêmes : la Syrie dispose de stocks d’armes importants, notamment chimiques ». Sur ce dernier détail, qui a son importance, l’hôte du quai d’Orsay marque un point. L’armée syrienne n’est pas la légion désorganisée d’un Kadhafi obligé de recourir à des mercenaires tchadiens pour pallier la faiblesse de ses troupes. Mais, justement, si le Proche-Orient est bien une poudrière potentiellement explosive, surtout aux zones frontières (Golan, Sinaï, Kurdistan…), si la mosaïque interconfessionnelle syrienne est propice à toutes les exactions, l’Afrique subsaharienne n’est pas en reste. Laurent Fabius, son collègue de la Défense Jean-Yves Le Drian comme François Hollande mesurent l’étendue de la déstabilisation du Sahel qu’a encouragée l’aventure libyenne, au point qu’une force africaine d’intervention s’apprête à débarquer au Mali pour arracher Tombouctou aux mains des salafistes. Géostratégiquement, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) a notamment prospéré sur les ruines des Etats fragiles que sont la Libye et le Mali, où essaiment des groupes de shebab à la somalienne.

Or, lorsque l’OTAN, Sarkozy en tête, décida de lancer ses avions en soutien aux rebelles libyens, le Parti Socialiste lui reconnut enfin une petit part d’humanité en lui remettant un brevet de morale diplomatique. S’il serait extrêmement risqué, voire irréaliste, de mettre les pieds dans le bourbier syrien, le précédent libyen n’en était pas moins douteux. Même l’inspiré Hubert Védrine se trouve pris en flagrant délit d’incohérence, louant le courage de l’OTAN hier, dénonçant le risque de « faire comme Bush en Irak aujourd’hui », sans reconnaître que l’opération libyenne relevait de la même myopie tactique.

UMP ou PS, suivant que vous soyez dans la majorité ou l’opposition, vous virerez donc droit de l’hommiste ou réaliste échevelé. « Dans des circonstances aussi graves, il vaut mieux faire bloc avec la politique de son pays » conclut Fabius. En l’occurrence, Paris attend fébrilement que la bourrasque passe sur Damas avant d’accompagner la transition syrienne. Assumer l’inaction, ne serait-ce pas ici le choix de la sagesse ?

*Photo : Boquisucio



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