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Philippe François, le Saint-Cyrien condamné à 10 ans de travaux forcés à Madagascar

Maintenant qu'il a été réélu, Emmanuel Macron va-t-il s'en occuper?


Philippe François, le Saint-Cyrien condamné à 10 ans de travaux forcés à Madagascar
Le colonel d’infanterie de marine, Philippe François © D.R.

Ancien de Saint-Cyr, colonel à la retraite, décoré de l’Ordre du mérite, envoyé dans la boue au Kosovo, en Bosnie ou en Croatie, Philippe François, 54 ans, est détenu depuis près d’un an à Madagascar, dans la Maison de force de Tsiafahy, à trente kilomètres d’Antananarivo. Notre compatriote est accusé d’avoir participé à une opération baptisée « Apollo 21 », dont le but supposé était d’assassiner le président malgache. Le Quai d’Orsay, lui, semble traîner les pieds. Enquête.


Tout commence en 2013. Après une brillante carrière dans l’armée, Philippe François se reconvertit dans le civil. Il devient responsable-sûreté pour la Fnac, pour FM Logistics puis pour XPO Logistique. En 2020, Madagascar lui offre l’opportunité de travailler dans l’intelligence artificielle. Pas timoré pour un sou, cet ancien baroudeur fonce sur l’île de l’Océan Indien. Il y endosse l’habit de directeur de SmartOne, une entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle. Décrit par ses proches comme généreux, loyal et rempli d’humour, le quinqua tisse des liens avec les expatriés. En décembre 2020, lors d’une soirée à l’ambassade de France, il rencontre Paul Rafanoharana. Âgé de 58 ans, ce dernier est ancien gendarme et issu, comme lui, de Saint Cyr. Les deux hommes sympathisent donc. Pour sa part, Paul Rafanoharana est versé dans la politique malgache. Après avoir été un temps conseiller diplomatique du président Rajoelina, il assure rêver d’un meilleur futur pour son île. Dénonçant la corruption locale, il est assez proche de l’évêque d’Antananarivo. En 2021, Madagascar était classé 147ème sur 180 pays en matière de corruption par l’organisme Transparency International. Parallèlement, l’île est en proie à des famines récurrentes que les gouvernements n’enrayent pas.

Un mystérieux complot

En janvier 2021, les deux comparses créent Tsara First, une société visant à œuvrer au développement de l’île. Nous avons pu consulter des photos de la présentation de la société prises lors de son lancement. « Il y a 40 ans, Madagascar avait le même PIB que la Corée du Sud. En 2020, c’est le 4ème pays le plus pauvre du monde », y est-il rappelé d’emblée. Au menu, la lutte contre la corruption, améliorer les infrastructures, développer l’agriculture et les énergies vertes, lutter contre la fuite des cerveaux ou encore, « rebâtir le secteur de la défense et de la sécurité ». Parallèlement, Philippe François ne s’entend plus avec le comité de direction de SmartONe et démissionne. L’orpaillage étant en passe d’être régularisé, c’est une occasion d’investir dans le futur de Madagascar et de développer l’île, lui dit Paul Rafanoharana. N’ayant pas peur des défis, Philippe François se lance alors dans l’extraction et la revente d’or. Malheureusement, le milieu de l’orpaillage malgache ne lui tend pas les bras, et ce filon ne donne rien. Le militaire n’insiste pas et jette l’éponge. Sa femme tombant alors malade, il décide de rentrer à la maison. Il est resté en très bons termes avec XPO Logistique, chez qui un emploi de responsable sûreté l’attend, à Roissy. Le 20 juillet 2021, il se rend à l’aéroport d’Antananarivo. La douane malgache arrête le couple, qu’elle accuse d’être de mèche dans un complot visant à assassiner Andry Rajoelina, le président malgache. Dans la foulée, des affaires de Philippe François sont saisies, dont son ordinateur portable et une clé USB.

Philippe François, officier de l’Ordre National du Mérite © D.R.

Le 26 juillet 2021, six jours après l’arrestation de Philippe François, la presse malgache publie un courrier adressé au CEO de Benchamark Group, actionnaire principal de la Madagascar Oil. Attribué à Paul Rafanoharana, il est non daté. Le politicien y confie tout le mal qu’il pense du président. Tandis qu’Andry Rajoelina y est dépeint comme un illuminé, le régime est qualifié d’autocratique. L’homme ne s’arrête pas là : il dit espérer un « succès du renversement du régime au pouvoir ». Et notre révolutionnaire d’en appeler l’actionnaire à lui verser 10 millions d’euros pour assurer des lendemains qui chantent au peuple malgache. Lors du procès, la Madagascar Oil assurera que ce document a été fabriqué par l’accusation. « L’examen du contenu des appareils informatiques de ces deux hommes a permis la découverte de plusieurs correspondances numériques, ainsi que des documents corroborant les intentions des prévenus », déclare, en août 2021, la procureure Razafiarivony, en charge du dossier. Un document l’intéresse particulièrement : le budget du « projet Apollo 21 ». Rien à voir avec un film d’astronautes, il s’agit d’un plan pour tuer cinq hautes personnalités politiques malgaches, dont le président Andry Rajoelina.

En décembre 2021, le procès du projet « Apollo 21 » a lieu. 20 accusés sont alors à la barre pour atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs et complot en vue d’assassiner le président. Parmi elles, un ancien ministre, des gendarmes, Paul Rafanoharana et Philippe François. Ces deux derniers sont notamment accusés d’avoir créé la société Tsara First pour dissimuler leurs activités liées au projet supposé d’assassinat. Après dix jours de procès, le verdict tombe. Six personnes sont condamnées, dont l’ancien Premier ministre Victor Ramahatra. Tous les gendarmes incriminés sont acquittés sauf Paul Rafanoharana, qui est condamné à vingt ans de travaux forcés. De son côté, Philippe François écope de dix ans de travaux forcés. Sa compagne, elle, est acquittée. L’AFP rapporte que pendant le procès, le colonel déclare aux juges n’avoir jamais songé à attenter à la vie du président, « mais a admis avoir eu connaissance du projet [de coup d’État présumé] auquel il a refusé de prendre part ». « L’AFP n’était même pas sur place au moment du procès, les propos de mon père ont été déformés. Mon père n’a jamais dit être au courant du prétendu complot. Il a dit que comme tout le monde à Madagascar, il était au courant de l’engagement politique de Paul Rafanoharana sur la grande île. Comme ils se voyaient régulièrement, Paul lui parlait parfois de politique, c’est logique. Par ailleurs, toutes les prétendues preuves ont été créées », me lance sans détours Constance Wagner François, une des filles de Philippe François.

Philippe François accompagné de ses enfants © D.R.

Des articles de nos confrères de RFI, présents tous les jours au procès, il ressort un procès pour le moins baroque. Au 7ème jour, Philippe François et Paul Rafahorana apprennent que leurs ordinateurs et un smartphone appartenant au Franco-malgache, saisis en juillet, et supposés contenir « des documents corroborant les intentions des prévenus », viennent étrangement de se volatiliser. Ils devaient pourtant être présentés comme pièces à conviction. Alors que Paul Rafahorana est accusé d’être le cerveau du complot, le fameux projet « Apollo 21 », supposé être dans son ordinateur disparu, reste donc introuvable. « La justice est dans l’incapacité de nous présenter les pièces à conviction. Comment peut-on m’accuser de quelque chose que l’on ne peut pas prouver ? », lance alors Paul Rafanoharana. Pour sa part, Philippe François assure que tous ses messages envoyés ou reçus au sujet de Tsara First ont été effacés de son téléphone portable, et que des copies du budget du projet « Apollo 21 », rédigé par Paul Rafanoharana, sont apparues sur sa clé USB après son arrestation. Philippe François s’insurge, il dénonce une « grossière et stupide manipulation ». À un avocat de la défense qui s’étonne de voir des preuves disparaître, l’avocat général répond qu’on peut toujours montrer d’autres pièces et les amener le lendemain.

Selon nos informations, Paul Rafahorana a reconnu être l’auteur du fameux projet « Apollo 21 », mais a affirmé qu’il ne souhaitait pas passer à l’action. Des parts d’ombre subsistent donc dans cette affaire, et chacun se fera sa propre opinion. Mais ce qui est sûr, c’est que ce procès a été entaché de vices de procédure, des pièces à conviction disparaissant ou apparaissant au fil des jours. Actuellement, Philippe François et Paul Rafanoharna clament leur innocence. Tous deux sont incarcérés dans la Maison de force de Tsiafahy, à 30 km d’Antananarivo. En Malgache, Tsiafahy signifie « la prison qui ne peut être assiégée ». Vu d’ici, les images et témoignages nous parvenant de cette prison donnent le tournis. La peau sur les os, 11 000 détenus sont entassés et certains se plaignent d’un air irrespirable. Autrement dit, ne manquerait qu’un Alexandre Soljenitsyne malgache pour immortaliser cet enfer. Pour sa part, Philippe François n’est pas entassé, lui. Il est placé à l’isolement dans une cellule de six mètres carrés avec un seau d’eau. Sa cellule ne dispose pas de lumière électrique mais il y est filmé 24 heures sur 24, nous a confié sa famille. Il y a six mois, François Alline, oncle de Philippe François, nous a contactés. Le Quai d’Orsay assurant à François Alline qu’il suivait la situation, je lui ai promis de ne pas faire le moindre bruit. Aujourd’hui, Philippe François attend toujours.

On s’occupe de tout…

Pendant ce temps-là, Constance Wagner François, 28 ans, ne chôme pas. Consultante en cybersécurité, elle suit le dossier tous les jours depuis un an. Elle centralise tout, tant les relations avec les médias ou avec le ministère des Affaires étrangères, que les lettres envoyées via l’avocat ou la logistique pour faire livrer de la nourriture à son père en prison via l’avocat. La prison n’offrant pas de quoi manger à ses détenus, c’est en effet à ces derniers de se faire livrer leurs repas. Parallèlement, elle goûte aux joies diplomatiques. « La veille de l’arrivée prévue de mon père à l’aéroport Charles de Gaulle, nous avons reçu un SMS de sa compagne disant qu’ils avaient été arrêtés par la douane. Ensuite, nous n’avons plus eu de nouvelles. Le lendemain, nous avons donc appelé le numéro d’urgence de l’ambassade de France à Madagascar pour leur dire que nous étions inquiets. Vous savez ce que ce service d’urgence nous a répondu ? Qu’il fallait envoyer un mail ! C’est d’autant plus surprenant que mon père avait des contacts dans l’ambassade. J’ai donc appelé le Quai d’Orsay, qui était en pause déjeuner. J’ai réussi à les avoir à 14h. Vers 17h, ils nous ont rappelés et nous ont dit qu’apparemment, mon père était bien avec sa femme dans les locaux du GIGN de Madagascar ». En raison des mesures sanitaires puis de l’arrestation, elle n’a pas vu son père depuis près de trois ans. Quant aux courriers qu’elle échange avec lui, ils sont systématiquement lus par les autorités de la prison.

Entre la France et Madagascar, le contentieux au sujet des îles Eparses n’est pas du tout réglé. Alors qu’elles ont été conservées par la France après l’indépendance, Madagascar en revendique la possession. Une des promesses électorales d’Andry Rajoelina était d’ailleurs de les récupérer. Il n’est donc pas farfelu de penser qu’en gardant Philippe François sous son aile, le président malgache dispose d’une monnaie d’échange face à l’ancien colon. « Mon père n’est pas responsable des mauvaises relations franco-malgaches, continue Constance Wagner François. Le ministère des Affaires étrangères m’a proposé de visiter mon père toutes les six semaines, alors qu’ils pourraient aller le visiter, par le biais du consulat, toutes les semaines. J’ai insisté, et ils sont donc allés le visiter tous les mois, mais là, ça fait bien deux mois qu’ils n’y sont pas allés  ». Contacté par Causeur, le Quai d’Orsay nous a répondu par la voie d’un communiqué : Philippe François « bénéficie depuis son arrestation de la protection consulaire prévue par la convention de Vienne du 24 avril 1963. À ce titre, il reçoit des visites consulaires régulières qui permettent de s’assurer de ses conditions de détention et de son état de santé ». Pourtant, Philippe François a perdu 20 kg depuis un an. Il y a un mois et demi, il a demandé un bilan de santé complet au service de l’ambassade. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il ne l’a toujours pas obtenu. En raison du stress, de la fatigue ou de la colère, il n’est pas exclu qu’il couve quelque chose de grave.

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Combative quinquagénaire, Arlette Rafanomadio a pris le dossier « Apollo 21 » à bras-le-corps. Tous les week-ends, depuis Antananarivo, l’avocate malgache se rend à la Maison de force de Tsiafahy en 4 x 4. Elle apporte à Philippe François et à Paul Rafanoharana « des provisions et des habits propres ». « Philippe est particulièrement isolé, mais pour tenir le coup, il s’est mis au yoga et à prier », indique cette increvable optimiste. Le Bon Dieu aurait-il entendu notre compatriote ? Toujours est-il que le 8 juin, la Cour de Cassation a désigné un magistrat rapporteur pour le suivi du dossier. L’obstination de l’avocate, qui a déposé des requêtes pour violation des Droits fondamentaux et non respect de la présomption d’innocence pourrait donc porter ses fruits. La Cour attend que ledit magistrat ait terminé son travail et qu’il lui renvoie le dossier pour prendre sa décision. Le magistrat n’ayant pas de délai pour statuer sur l’état du dossier, aucune date de verdict n’a été fixée jusqu’à présent. Autrement dit, les journées de Philippe François et de Paul Rafanoharana risquent d’être encore longues. En attendant des jours heureux, nos deux bagnards ont une petite consolation : depuis un mois, les causeries qu’ils ont avec Maître Rafanomadio, et qui constituent actuellement leur seul contact direct avec l’extérieur, ne se font plus au parloir mais à l’air libre.

Entre la France et Madagascar, des accords d’extradition de prisonniers existent. Cependant, le ministère des Affaires étrangères a assuré à la famille qu’il fallait attendre le recours en cassation pour pouvoir agir, et qu’un éventuel rapatriement de Philippe François pourrait prendre des mois, voire des années. Difficile, pourtant, de ne pas penser au cas de Sophie Pétronin, otage au Mali pour laquelle nous avons envoyé des militaires risquer leur peau. Philippe François n’est certes pas otage, et a été condamné par un tribunal, mais certains de ses soutiens ne peuvent se départir de l’impression que le gouvernement traîne les pieds à son égard, alors qu’il s’agit d’un ancien colonel, médaillé, qui a missionné au service de son pays pendant 25 ans. De son côté, le ministère des Armées suit l’affaire de près, et répond dans la foulée aux lettres que la famille lui envoie. « Pratiquement toutes les semaines, le ministère des Armées relance le gouvernement », dit l’oncle de Philippe François. « C’est au niveau du gouvernement que ça bloque ».

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Laissé dans un cachot camerounais pendant 17 ans à la suite d’un détournement de fonds publics camerounais dans lequel il n’avait jamais trempé, comme cela a été officiellement reconnu, le Français Michel Thierry Atangana a légué son nom à la « Loi Atangana ». Adoptée le 18 novembre 2021 par l’Assemblée nationale, puis par le Sénat, cette loi stipule que la France doit désormais accompagner nos compatriotes détenus arbitrairement à l’étranger. Remué par le sort du colonel, il vient d’obtenir un rendez-vous au Quai d’Orsay pour évoquer son cas. « Le problème est qu’à l’heure actuelle, le ministère des Affaires étrangères n’est pas armé pour s’occuper de Philippe François, tempère-t-il. Il n’a pas les outils pour, c’est justement pourquoi cette loi a été créée. Maintenant qu’elle a été adoptée, reste à l’appliquer. Rappelez-vous la loi d’abolition de la peine de mort, il a fallu quatre ans pour qu’elle commence à être effective ». « Si le président Macron décide de rapatrier mon père, il le sera, estime pour sa part Constance Wagner François. Ça ne dépend que de lui, c’est une question de volonté politique, le président a beaucoup plus de pouvoir que les ministères ».

Son vœu sera-t-il entendu ? Une chose est sûre : pour rapatrier notre compatriote, le président Macron n’aura pas besoin de l’aval du Palais Bourbon. En attendant, si le cœur vous en dit, vous pouvez aller soutenir les actions de l’association Soutenons Philippe, lancée par des anciens de Saint-Cyr !



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Enseignant, auteur du roman "Grossophobie" (Éditions Ovadia, 2022).

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