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Pas de Printemps pour Martine


Pas de Printemps pour Martine

Mille cinq-cents participants selon les organisateurs. Quiconque a fait un peu de politique est capable de ramener ce chiffre vers sa valeur réelle : à tout casser, mille clampins, non plus selon les organisateurs mais en comptant les organisateurs. Ce qui nous ramène à huit cents spectateurs. Une fois déduits de ceux-ci les six autocars de militants du Nord-Pas de Calais réquisitionnés pour faire la claque et on arrive au grand maximum à cinq cents Parisiens ou banlieusards venus de leur plein gré. On n’ose même pas imaginer le chiffrage si le « grand » rassemblement du PS n’avait été agrémenté d’un concert gratuit de Sanseverino. Auquel cas nos amis socialistes auraient aussi bien fait de fêter le Printemps des Libertés sous un préau d’école du Pré-Saint Gervais.

La cata, le bide absolu, la Bérézina. Même Martine n’a pas pu le cacher aux participants, et s’est trouvée forcée d’abandonner dans son allocution le principe de déni absolu qui tient lieu de langue vernaculaire aux politiques de tous bords, bref de cracher le morceau : « Alors on nous dit qu’on n’est pas très nombreux ! » Oui, Martine, on te le dit, vous n’étiez pas très nombreux, en vérité vous étiez ridiculement peu nombreux ; et comme on n’est pas des méchantes filles, on va même t’expliquer pourquoi.

Arrêtons-nous d’abord à l’hilarante thèse officielle du parti, à savoir le manque de préparation et le calendrier trop chargé du fait des mouvements sociaux. Manque de préparation, manque de temps ? De qui se moque-t-on ? Le Livre Noir du PS sur les libertés publiques – socle de ce rassemblement – annoncé depuis des mois, a été présenté il y a dix jours, accompagné d’un tonnerre de louanges dans la presse et imprimé à des dizaines de milliers d’exemplaires.

Manque de bol pour Martine et Marie-Pierre de la Gontrie, son auteur, si ce livre a probablement enthousiasmé Laurent Joffrin et Edwy Plenel, ce ne sont pas eux qui sont chargés de diffuser cet excellent ouvrage sur les marchés, dans les manifs ou au porte-à-porte. A peine imprimés, des dizaines de milliers d’exemplaires sont allés s’entasser dans les sous-sols des sections, impitoyablement livrés, comme disait Tonton Karl « à la critique rongeuse des souris ».

Sur place, au Zénith, même les plus vaillants militants renâclaient à lâcher un billet de 5 euros pour acquérir la chose. C’est que l’enthousiasme, lui, n’était pas à son zénith et la vision des travées vides donnait l’impression de s’être trompé d’endroit ou d’heure. Il est fort regrettable que la sauterie n’ait pas été programmée une semaine plus tard. Il y avait alors moyen d’exciper de la difficulté du passage à l’heure d’été et de son heure de sommeil en moins pour justifier l’ambiance sépulcrale.

D’ailleurs, deux petits signes ne trompent pas : les facebookiens socialistes ayant annoncé avec tambours et trompette sur leurs status du dimanche matin qu’ils filaient Porte de Pantin, se sont bien gardés de faire des commentaires élogieux le soir venu sur leur activité dominicale. Et lisons les leftblogs : sinistrose, sinistrose, le matin après les débats sur les collectivités locales. « À la fin de l’intervention, rien, pas un appel pour manger ensemble, partager un verre, sinon par ses propres moyens. Tout le monde faisait la gueule dans les rangs. Les militants venus en car pour voir, les intervenants sur scène, sans doute les chefs au premier rang. Et moi qui me demandais si j’avais bien fait de perdre une heure de métro pour venir me plomber le moral (…) J’ai donc eu un coup de blues. Pas longtemps. Juste le temps de sortir, parce qu’après le parc de la Villette, avec Géode, canal de l’Ourcq, cité des Sciences, est très sympathique, même sous un ciel grisouille[1. Lu sur le blog Au café Royal.]. » Des militants socialistes se sont cachés dans le jardin au milieu des joueurs de djembé et des enfants en bas âge, sauras-tu les reconnaître ?

Côté excuses à deux balles, on retiendra aussi celles de quelques hiérarques solfériniens présents sur place, tel David Assouline, qui a osé expliquer que l’affluence n’était pas si nulle pour assister à un « colloque ». Bien, bien, David. Mais as-tu le programme : « Rassemblement républicain pour la défense des collectivités locales et des droits de l’opposition », « les libertés d’expression menacées, avec témoin slam », sans oublier la clôture par Sanseverino, néo-chanteur français sautillant. Vous avez dit colloque ?

Quant à l’hallucinante antienne du mouvement social qui a gêné la préparation elle laisse sans voix. Heu, c’est quoi un parti gravement handicapé par un développement exponentiel du mécontentement populaire ? Normalement, c’est l’UMP. Ben non, ce coup-ci, c’est le PS. Et autant le dire tout de suite, en se cherchant des excuses à la va-vite pour justifier sa contre-performance de dimanche, Solférino, pour une fois, s’est approché de la vérité. Nous avons croisé des centaines de socialistes dûment badgés dans le cortège parisien jeudi dernier. Rien que devant le Cirque d’Hiver, point de rendez-vous des militants, ils étaient, au minimum un bon millier (c’est-à-dire plus qu’au Zénith, mais ne soyons pas cruels). Eh bien, pas un qui nous ait proposé d’acheter ce fichu Livre Noir, et à peine deux ou trois pour distribuer le tract du Printemps. Les autres, on se demande pourquoi, préféraient massivement distribuer le dépliant consacré aux problèmes du moment : « Réagir avec les socialistes ». Interrogé par nous-mêmes sur ce manque d’enthousiasme libertitudophile, un maire de la grande couronne nous a tranquillement expliqué qu’il se refusait absolument à diffuser un livre où l’on laissait entendre « que la justice était trop dure avec les petits voyous » avant de conclure, un rien agacé : « Marie-Pierre, quand elle veut, je l’emmène dans une cité ! » Bref, oui, le mouvement social a plombé le Zénith des Libertés, pas pour cause de contretemps technique, mais de contresens stratégique. En clair, la direction du Parti a été incapable de voir qu’en bas, la mayonnaise sociétaliste ne prenait pas, qu’une fois franchies les frontières de l’hypercentre parisien, le militant lambda se contrebattait de la grande affaire du moment.

Le pire est qu’avec un soupçon de clairvoyance, on aurait pu éviter le naufrage : il suffisait, il y a une semaine, de changer de cap et transformer le raout « pour les libertés » en rassemblement pour le pouvoir d’achat ou contre les licenciements ou même pour l’abrogation immédiate du bouclier fiscal. Mais changer le programme des festivités, c’était alors prendre le risque de se fâcher avec la Ligue des Droits de l’Homme, le Grand Orient, les associations gaies lesbiennes ou trans, sans parler des SM ou du SM… C’était aussi prendre le risque d’avoir des choses concrètes à dire aux Français en matière d’emploi, de salaires, de protectionnisme.

Alors cessons d’accuser le temps ou le timing, la fatigue ou la haute tenue intellectuelle des débats. Si personne n’est venu, c’est qu’encore une fois le PS est à côté de la plaque. On avait pu croire qu’avec la défaite à la présidentielle, le retour de maman Martine, alias « La dame des 35 heures, du Nord et de ses usines », le parti allait revenir aux fondamentaux. On sait que le PS est un parti de profs, de fonctionnaires, d’élus, de bac+5 bien pensants, mais on n’efface pas l’histoire comme ça. Dans les esprits, la gauche est du côté des petits. En clair ceux qui en bavent au boulot, dans des fonctions absurdes, mal payées ou guère mieux, dans des usines (excusez-nous pour le gros mot), des entrepôts ou des open space à la Défense. Et que c’est auprès de ces pouilleux-là, aujourd’hui encore plus qu’hier, que le PS doit aller chercher des électeurs. Et accessoirement tacler Sarkozy et la droite.

Croire que la droite est gênée aux entournures sur le mariage gay ou les sans-papiers est une erreur létale. Nadine Morano lance la polémique sur le « statut du beau-parent », en clair pour les parents homo, ou bien s’étrangle sur les propos de Benoît XVI sur le préservatif et le sida ? La droite s’en fiche. Roger Karoutchi fait son coming-out médiatique ? Les militants UMP continuent à se demander qui est Roger K, sans s’interroger sur sa vie sexuelle.

Croire surtout que les électeurs de gauche ou même du centre font de ces thèmes une question centrale est une monumentale ânerie. Plus que tout le mal que nous avons pu dire sur ce penchant suicidaire, la fête de la libertitude en a fait la démonstration. On a voulu, une fois de plus, faire au Zénith du ségolénisme sans Ségolène. Bien vu !



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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