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Ne nous gâchez pas la fête !


Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Elisabeth Lévy et Pascal Riché s’interrogent sur la diffusion des résultats électoraux avant 20 heures.

Informer avant tout. Telle est l’unique — et noble — ambition de nos confrères belges et suisses qui ont annoncé que, dimanche prochain, ils publieront dès 18 heures — soit deux heures avant la fermeture des bureaux de vote — le résultat des sondages « sortie des urnes » — lesquels , jusque-là, ont toujours été conformes aux résultats tout court. La loi interdisant aux médias français de faire de même, l’électeur hexagonal pourra, dès 18h30, faire la gueule ou pousser des cris de joie en se plantant devant la RTBF (radio-télévision belge). Au demeurant, on se demande pourquoi seuls les médias belges et suisses sont sur les starting-blocks: dans le merveilleux monde sans frontières, on voit mal pourquoi un pays frontalier serait plus concerné qu’un autre par ce qui se passe en France. Et les Chinois, Paraguayens, Ivoiriens et autres, ils s’en foutent de notre élection ? C’est un peu vexant.
Ce qui est certain, c’est que nos confrères et voisins se paient notre tête dans les grandes largeurs. « Nous ferons donc notre boulot de journalistes en faisant circuler l’information et en donnant les résultats dès qu’ils seront disponibles», explique Christian Dauriac, de la RTBF. « Notre boulot de journalistes », elle est bonne celle-là ! Leur boulot de journalistes, en l’occurrence, consiste à faire du pognon en faisant circuler l’information prohibée en France. Alors, qu’au moins, ils nous épargnent leurs fastidieux numéros sur la transparence, le droit de savoir et tout le toutim. C’est juste une affaire de fric. On attend qu’ils communiquent sur les recettes que leur aura procurées cette soirée. Question de transparence.

On me dira qu’il n’y a pas de quoi s’énerver. Certes. Après tout, ce qui est en jeu, c’est seulement la démocratie — autant dire une vétille. En effet, si le législateur a cru bon d’interdire la diffusion de sondages durant les 48 heures précédant l’élection, ce n’est pas pour enquiquiner les sondeurs, ce qui aurait déjà été un objectif réjouissant, mais parce qu’ils pourraient fausser le résultat. Supposons que l’on apprenne à 18 heures que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon réalisent de très bons scores: cela inciterait certainement des électeurs qui avaient l’intention de leur accorder leur voix et qui, rentrant de week-end, n’ont pas encore accompli leur « devoir civique », à « voter utile ». Cela n’a rien d’infamant. Reste que si le suffrage universel a un sens, c’est que, le jour de l’élection, chacun de nous choisit seul, en son âme et conscience, celui qu’il estime le meilleur (ou le moins pire). Si on publie des estimations, le citoyen ne se déterminera pas seulement en fonction de ce qu’il croit bon pour le pays, mais aussi en fonction de ce qu’ont fait ses compatriotes. Ou pire, il jettera l’éponge: pourquoi aller voter si les jeux sont faits ? Comment peut-on dire, alors, que chaque voix compte ? Nos amis belges et suisses aimeraient-ils qu’on leur raconte la fin du film qu’ils s’apprêtent à voir ?

Mais le plus grave, c’est que nos confrères épris d’information risquent de nous gâcher la fête, et qu’ils s’en fichent éperdument. En effet, s’il est un moment où la France est unie, c’est bien celui du lever de rideau des soirs d’élection. À 20 heures, qu’ils soient de droite, de gauche ou du centre, les Français découvrent ensemble la page de leur histoire qu’ils sont en train d’écrire. Pendant ces quelques secondes où des pourcentages s’affichent sur nos écrans, nous faisons corps. Je l’avoue, j’aime ces instants fugitifs où nos querelles font de nous une nation. J’aime entendre les cris de joie se conjuguer aux clameurs d’angoisse. Que les uns aient gagné et les autres perdu n’y change rien. Riches et pauvres, « de souche » et « issus de », jeunes et vieux, hollandais et sarkozystes, nous sommes tous logés à la même enseigne. Et pendant quelques heures, nous pouvons nous bercer de l’illusion que notre destin nous appartient. On peut juger ce lyrisme ridicule ou déplacé. Dix minutes de lyrisme tous les cinq ans, est-ce trop demander ?
Sans doute y a-t-il dans ce bref moment de fusion une part de comédie, puisque dès 17 ou 18 heures, les états-majors politiques et les rédactions savent à quoi s’en tenir. Sauf que même en comptant les papas-mamans et copains-copines des initiés, cela fait un tout petit monde. De plus, tant qu’elles ne sont pas publiées, les estimations ne sont pas des informations.

De toute façon, on n’y peut rien — c’est l’argument que brandissent tous les partisans du laissez-faire sondagier. Avec internet, disent-ils, on ne peut pas empêcher l’information de circuler. C’est pourtant simple: il suffirait d’interdire aux sondeurs de fournir leurs résultats à qui que ce soit avant 20 heures (allez, ne soyons pas chiens: avant 19h30). Il est probable que l’intérêt passionné que les médias de nos voisins vouent à notre scrutin s’effriterait rapidement.
L’ennui, c’est qu’il est trop tard pour que cette solution simple et élégante soit adoptée. Il y a pourtant un moyen d’empêcher nos excellents confrères de s’offrir du scoop sur notre dos. Bien que n’étant pas candidate à l’élection présidentielle, je lance un appel solennel à mes compatriotes: si vous êtes sondés à la sortie des urnes, racontez n’importe quoi ! Entubez-les ! En prime, nous ridiculiserons ces marchands d’information qui prétendent nous voler notre élection.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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