Najat Vallaud-Belkacem, migrante politique


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Migrante ou réfugiée ? Le débat sémantique  qui agite actuellement les rédactions à propos des déplacements massifs de populations en direction de l’Europe pourrait s’appliquer à la translation, géographiquement minuscule, mais politiquement significative, que Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Education nationale, vient d’effectuer ce week-end. Elle s’est rendue, en effet,  vendredi 3 septembre, au pot de rentrée de la section de Villeurbanne du Parti socialiste, pour y officialiser sa mutation de la section du quartier de Montchat, dans le 3ème arrondissement de Lyon, vers celle de la deuxième ville de la Métropole. Villeurbanne, 148 000 habitants qui jouxte la capitale régionale, est un bastion socialiste depuis le début du siècle dernier, et  cette commune est farouchement attachée à son autonomie malgré son étroite imbrication dans le tissu urbain de la capitale des Gaules.

Villeurbanne l’ouvrière contre Lyon la bourgeoise, c’était l’éternel affrontement social et politique qui animait les controverses locales. Le fait qu’aujourd’hui les deux villes soient dirigées par des municipalités dominées par le PS, avec Gérard Collomb à Lyon et Jean-Paul Bret à Villeurbanne ne change rien à l’affaire : Lyon c’est Lyon, et Villeurbanne c’est Villeurbanne. Au point que lors de la constitution, le 1er janvier 2015, de l’assemblée de la Métropole du Grand Lyon, remplaçant le Conseil général dans l’aire métropolitaine, les élus socialistes villeurbannais ont formé un groupe autonome, membre de la majorité de Gérard Collomb, mais bien décidé à peser sur les décisions de l’exécutif. En passant d’une ville à l’autre, Najat Vallaud-Belkacem rompt les derniers liens l’unissant à son Pygmalion politique, Gérard Collomb, et se pose en prétendante à la succession de son ex-patron à la primature de la gauche dans la deuxième agglomération urbaine de France.

C’est donc bien un asile politique que la ministre de l’Education nationale est venue solliciter, car il était évident pour  tous les observateurs de la vie politique locale que le sénateur-maire de Lyon n’était pas prêt à dérouler le tapis rouge à son ex-protégée pour les élections législatives de 2017. Voir une jeune femme que l’on a formée comme collaboratrice à son cabinet,  puis fait élire au Conseil départemental, enfin donné un poste d’adjoint à l’Hôtel de Ville, monter au sommet de l’Etat en s’émancipant de son patron n’est jamais agréable pour un vieux crocodile de la politique. Surtout lorsque la jeune femme en question vient se poser en rivale de l’héritière pressentie, qui n’est autre que la jeune épouse du septuagénaire Gérard Collomb, Caroline, de trente ans sa cadette…

C’est ce contexte qui a donné une ampleur nationale à un micro-événement, le pot de rentrée d’une section socialiste d’une ville française moyenne. Il faut dire que le teasing avait habilement été géré par Najat-Vallaud Belkacem : cela fait maintenant plus de trois ans qu’elle profite de ses fonctions ministérielles, comme ministre du Droit des femmes, puis comme ministre de l’Education nationale, pour se faire voir à Villeurbanne. Elle promeut, par exemple, ses si controversés «  ABCD de l’égalité » dans une classe d’un quartier difficile  de la ville. Elle distribue des Légions d’honneur à des personnalités politiquement signifiantes : Gilbert Chabroux, ancien maire de la ville, très populaire parmi les anciens, et Zohra Bonnet présidente de l’Association France-Algérie locale, dans une commune où les immigrés maghrébins représentent à peu près 25% de la population… Il ne lui reste plus qu’à obtenir de Nicole Bornstein, la présidente du CRIF Rhône-Alpes, d’être l’invitée d’honneur au dîner annuel, en janvier prochain, de cette institution juive pour tenter de rallier les suffrages de la plus importante communauté juive de l’agglomération lyonnaise. Elle mouille le maillot, la Najat, au sens propre de l’expression, en venant, en juillet 2014, participer à un match de basket opposant, pour le fun, les légendaires basketteurs de l’ASVEL emmenés par Tony Parker, le repreneur du club de la ville, aux élus locaux.

Au début de cette année, elle fait savoir qu’elle vient d’acquérir un appartement dans un quartier de Villeurbanne, qui jouxte l’arrondissement de Lyon dont elle fut, naguère, la conseillère générale. Que ne faut-il pas faire pour séduire les militants socialistes d’une des rares circonscriptions françaises considérée comme «  sûre », même en cas de débâcle socialiste à l’élection présidentielle de 2017 ! Restait à obtenir de la députée locale, Pascale Crozon, qu’elle lui laisse sa place au Palais Bourbon, ce qu’elle avait rechigné à faire en 2012, alors que l’espoir, pour Najat de remporter  la circonscription qui lui avait été attribuée à Lyon, acquise à la droite depuis la nuit des temps, était nul[1. Najat Vallaud-Belkacem avait alors renoncé à se présenter, en raison de la règle édictée par François Hollande, indiquant que tout ministre battu  aux législatives devait quitter le gouvernement.]. Âgée de 70 ans, ayant effectué deux mandats et mettant un terme à sa carrière parlementaire, Pascale Crozon sert aujourd’hui de marraine à Najat dans la procédure d’adoption engagée depuis trois ans.

La petite sauterie au local du PS de la rue Michel-Servet, dans le quartier historique des Gratte-Ciel, perle architecturale des années trente du siècle dernier, s’est déroulée parfaitement dans le cadre du plan com’ bien troussé d’un parachutage en douceur : Najat la joue modeste, arrive à pied en compagnie du minimum d’équipage : un agent de sécurité, et deux collaborateurs de son cabinet. On a déplacé de quelques dizaines de mètres les deux militaires affectés à la surveillance permanente de la synagogue voisine, pour le cas où… On  a même laissé approcher une poignée de jeunes contestataires de l’organisation étudiante de droite UNI qui braillent, pendant trente secondes «  Najat, démission ! », avant d’aller, à la bonne franquette, partager la pizza distribuée à l’assistance sur le trottoir devant le local, trop petit pour accueillir militants et journalistes venus en nombre…

D’une petite voix fluette, Najat minaude que sa candidature au législatives n’est pas à l’ordre du jour, que la procédure de désignation n’est pas encore lancée, et que d’autre tâches plus urgentes sollicitent son énergie, notamment soutenir son ami Jean-Jack Queyranne, président sortant de la région Rhône-Alpes, bien mal parti dans ce combat avec une gauche éclatée façon puzzle, face à une droite et un centre rassemblé sous la houlette de Laurent Wauquiez. «  La section de Villeurbanne, cœur battant du PS régional, fera toute sa part et même plus que sa part dans cette campagne », affirme-t-elle. Encore une pierre dans le jardin de Gérard Collomb et de ses ex-camarades lyonnais, dont la mobilisation pour ce combat électoral, jugé perdu d’avance, est à la mesure des sentiments que le maire de Lyon éprouve pour le président de la région : tièdes, et c’est un euphémisme.

Le pari de Najat-Vallaud Belkacem, celui d’assurer sa survie politique quelles que soient les conséquences du scrutin présidentiel, est-il gagné d’avance ? Un peu de mémoire historique devrait la rendre circonspecte. A deux reprises, au siècle dernier, la droite avait remporté, contre des sortants bien implantés, cette circonscription ancrée à gauche : en 1958, avec la vague gaulliste, et en 1993, dans la débâcle  aux législatives du mitterrandisme finissant.

 *Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00722243_000002.

 



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