Molenbeek, le Waterloo de la gauche belge


Molenbeek, le Waterloo de la gauche belge

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En Belgique, la gauche ne s’est pas contentée, comme le think tank Terra Nova en France, de conceptualiser la figure de l’immigré, nouveau prolétaire appelé à remplacer une classe ouvrière déclinante. Depuis vingt ans, Bruxelles est devenue le laboratoire du communautarisme ethnique et religieux. Dopée au cocktail détonnant du multiculturalisme et du déni des réalités, la capitale belge est également devenue celle de l’islamisme radical en Europe et une base arrière du terrorisme djihadiste. Le problème est loin de se résumer à Molenbeek, aujourd’hui symbole de toutes les dérives.

Comment en est-on arrivé là ? Immigration incontrôlée et communautarisme ont causé un dérapage. Pas un de ces petits « dérapages » que les médias belges autant que français aiment traquer avec jouissance. Plutôt une sortie de route fracassante et une collision de valeurs avec des conséquences funestes. Rapportée à la taille de sa population, la Belgique est le pays qui fournit le plus de djihadistes à la Syrie et à… l’Europe. Pourquoi ? Le monde politique belge préfère éviter de se poser la question.

Tentons une explication. L’immigration massive et incontrôlée est une première réponse. Depuis les années 2000, la Belgique, et Bruxelles en particulier, a connu un choc migratoire, pudiquement qualifié de « démographique ».[access capability= »lire_inedits »] En douze ans, plus d’un million de personnes ont immigré dans un pays d’à peine dix millions d’habitants[1. Une partie de cette immigration est d’origine européenne, un élément souvent mis en avant pour masquer l’importance de sa dimension extra-européenne. La population de Molenbeek a augmenté de 30 % en quinze ans, une croissance due en grande partie à une immigration en provenance du Maghreb.]. Sur cette période, en pourcentage, le solde migratoire est quatre fois plus important que celui de la France et de l’Allemagne, et dépasse celui des pays traditionnels d’immigration comme les États-Unis ou le Canada. Regroupement familial (50 % de l’immigration !), mariages blancs, régularisation des clandestins, générosité du système social, acquisition de la nationalité facilitée jusqu’à l’absurde (une simple preuve de résidence suffit à devenir belge), toutes les politiques publiques se renforcent mutuellement pour transformer la population et la physionomie des villes du royaume. Aucun débat public n’accompagne cette évolution majeure[2. Il faudra attendre 2014 et un gouvernement de centre droit dont, pour la première fois depuis vingt ans, les socialistes sont exclus, pour inverser la tendance… avant que la crise des réfugiés ne remette en cause ce tournant.].

S’y ajoute une marche forcée vers le communautarisme. Au pays de Magritte, point de politique d’intégration. Le terme même est contesté, la gauche lui préférant celui d’« inclusion sociale », qui a l’avantage de transférer l’obligation d’intégration du migrant vers la société d’accueil.

Le problème culturel que constitue l’arrivée massive de populations musulmanes, surtout marocaines et turques, a été nié. Sans problème, il ne peut y avoir de solution. L’intégration était censée se faire naturellement grâce au miracle du brassage multiculturel. Il suffisait de l’encourager par des fonds publics et en muselant, par l’accusation d’islamophobie ou de racisme, le téméraire qui oserait le contester. À Molenbeek, ces politiques ont été poussées au paroxysme par les édiles locaux. Visites dans les mosquées, subventions versées à des associations musulmanes, mise à disposition des locaux publics pour des écoles coraniques, grands frères transformés en agents communaux, clientélisme, candidats aux élections proches des mosquées, participation aux fêtes musulmanes (mais jamais à celles catholiques) ainsi qu’à des défilés anti-israéliens où l’on scande des slogans antisémites, sans jamais les condamner.

Un climat de tolérance s’y est instauré, par rapport aux infractions à la loi, à la multiplication des mosquées (une cinquantaine à Molenbeek pour 100.000 habitants), aux discours salafistes et extrémistes. Certains quartiers sont devenus peu à peu des zones de non-droit. De tolérance en renoncements, un terreau favorable au développement de l’islamisme radical puis aux apprentis terroristes s’est progressivement créé.

Encore ne s’agit-il que de la partie émergée de l’iceberg. Sous le radar de la presse et du monde politique, ce sont les valeurs démocratiques qui souffrent en silence dans ces quartiers. La liberté élémentaire d’aller et venir en portant une tenue de son choix n’existe plus, sauf si, comme plus de la moitié des femmes, on porte le voile. La liberté d’exposer des œuvres de nus est inconcevable. Celle d’exprimer une opinion dissonante de la majorité sociologique non plus.

Sexisme et homophobie sont bien présents. Un antisémitisme virulent, généralisé mais nié, sévit dans ces quartiers. Les professeurs identifiés comme juifs ont dû partir. En 2013, l’école juive Maïmonide a décidé de quitter Anderlecht, la ville du célèbre club de football voisine de Molenbeek. Le monument aux déportés juifs qui s’y trouve doit être protégé sous peine d’être vandalisé. Récemment, les écoles publiques de la Ville de Bruxelles[2. La Région de Bruxelles-Capitale est composée de 19 communes dont la ville de Bruxelles, mais aussi Molenbeek, Anderlecht, Schaerbeek, Saint-Josse où, avec Bruxelles, les problèmes de communautarisme sont les plus aigus. Contrairement à la France, les quartiers à problèmes ne sont pas situés dans les banlieues mais au cœur des grandes villes. Il en va de même à Anvers, Liège, Verviers, Charleroi, etc.] sont devenues Judenrein[3. La Commission Bouchard-Taylor a été créée le 8 février 2007 par le Premier ministre du Québec afin d’examiner les questions liées aux accommodements raisonnables consentis au Québec.], le dernier enfant juif ayant quitté ces écoles, à la suite des intimidations de ses « camarades » musulmans. L’histoire de la Shoah n’y est plus enseignée. Un député socialiste de Molenbeek a même pu traiter l’expert en terrorisme Claude Moniquet de « crapule sioniste » sans encourir la moindre sanction. Cerise sur le gâteau, le PS local a produit il y a deux ans une caricature antisémite sur une affiche invitant à un débat. Le décalage entre les discours officiels lors des commémorations de la Shoah – attribuant l’antisémitisme contemporain à l’extrême droite – et la réalité de son contexte musulman dans les quartiers devient abyssal.

Outre cet antisémitisme presque identitaire, l’échec de l’intégration a créé le communautarisme qui lui-même a favorisé le développement de courants radicaux et fondamentalistes qui ont, parfois, sombré dans la violence.

En Wallonie et à Bruxelles, contrairement à la Flandre, le monde politique belge francophone est dominé par la gauche. Le Parti socialiste, le cdH – Centre démocrate humaniste (sic), d’inspiration sociale-chrétienne – et les écologistes (Ecolo) sont, ensemble, largement majoritaires. Pour capter ce nouveau vote immigré – 40 % environ de la population bruxelloise est désormais musulmane –, ils se sont lancés dans une surenchère permanente.

Ecolo est ainsi devenu le champion des « accommodements raisonnables », sur le modèle canadien, issu de la Commission Bouchard-Taylor[4. La Commission Bouchard-Taylor a été créée le 8 février 2007 par le Premier ministre du Québec afin d’examiner les questions liées aux accommodements raisonnables consentis au Québec.]. Le PS compte aujourd’hui une majorité d’élus d’origine étrangère, dont l’élection dépend souvent d’un vote exclusivement communautaire. On trouve désormais des tracts électoraux rédigés en turc, ourdou, arabe… Des candidats utilisent la liste des électeurs pour ne cibler que les Turcs, Congolais, Pakistanais ou autres.

En 2009, le cdH, le parti démocrate-chrétien, fit élire la première femme voilée dans un Parlement européen. La députée belge Mahinur Özdemir, proche du président turc Erdogan, a ainsi joué un rôle important pour faire régresser le statut des femmes en Turquie. Après tout, si le voile est autorisé au Parlement belge, pourquoi ne pas l’autoriser en Turquie où, suivant la ligne d’Atatürk, il était interdit ? Longtemps, la ministre de l’Intérieur de ce parti a traité les départs de jeunes Belges en Syrie sous un angle humanitaire, les présentant comme des victimes de la société plutôt que comme de dangereux terroristes. Elle a été jusqu’à faciliter le retour de Syrie d’une femme enceinte de son compagnon djihadiste, afin qu’elle puisse « accoucher en Belgique dans de bonnes conditions ». Aujourd’hui ministre de l’Enseignement, elle ferme les yeux sur le non-respect des obligations scolaires dans les écoles de ces quartiers : les absences des filles aux cours de sport, les difficultés d’enseigner certaines matières telles que la biologie (Darwin), le français (Voltaire) ou l’histoire de l’art (cachez ces nus indécents!).

La responsabilité de la gauche dans cette descente aux enfers est écrasante, mais elle l’a fait dans un climat médiatique et intellectuel, favorable et complaisant. Les quelques universitaires qui travaillent sur ces questions sont davantage des militants du multiculturalisme que des chercheurs rigoureux. Selon eux, « la Wallonie et Bruxelles sont vouées à être diversifiées tant culturellement qu’au plan des identifications collectives ». Il y a donc lieu de reconnaître ces nouvelles identités et « le fait communautaire » : « c’est la raison pour laquelle nous préférons parler de citoyenneté multiculturelle plutôt qu’interculturelle ». Une évolution dont pourtant la majorité de la population ne veut à aucun prix, mais elle n’a pas vraiment voix au chapitre.

Médias, intellectuels, politiques ont cultivé le mythe du vivre-ensemble et de Bruxelles comme modèle de diversité multiculturelle. Par adhésion à un concept où il fallait à chaque incident « éviter de jeter de l’huile sur le feu », les problèmes ont été minimisés, voire niés[5. Pour ne pas être systématiquement écarté du pouvoir, le parti libéral de centre-droit auquel j’appartiens n’a pas toujours non plus dénoncé assez haut et fort les dérives communautaristes.]. L’immigration de masse couplée à l’absence de politique d’immigration dans un contexte de montée en puissance de l’islamisme s’est transformée en poison mortel.

Il faut ajouter à ces facteurs le morcellement des compétences et même le délitement de l’État belge, ainsi que la présence de coalitions politiques différentes aux nombreux niveaux de pouvoir qui empêchent de mener une politique cohérente contre le radicalisme. L’immigration est ainsi une compétence fédérale, tandis que l’intégration relève des Régions et l’enseignement des Communautés!

Du côté francophone du pays, le système éducatif est encore plus sinistré qu’en France. Des dizaines de milliers de jeunes, surtout issus de l’immigration, végètent dans des « classes poubelles » sans perspective d’obtenir un diplôme valorisé sur le marché de l’emploi. Dans certains quartiers, le chômage des jeunes atteint 40 %. Si souvent invoquée, l’explication sociale du radicalisme – l’arbre qui cache la forêt de la dimension politico-religieuse de l’islamisme radical – ne tient cependant pas quand on analyse le parcours de la majorité des djihadistes.

Avant de céder aux charmes du communautarisme prôné par Terra Nova ou d’autres, la France ferait bien d’analyser de près le « modèle bruxellois », longtemps présenté comme une réussite au prix d’une fable digne d’Orwell. Ou plutôt d’une farce qui se termine en tragédie.[/access]

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21824206_000012.

Décembre 2015 #30

Article extrait du Magazine Causeur



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Sénateur honoraire belge, ex-secrétaire général de Médecins sans frontières, ex-président de l’International Crisis Group

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