Migrants : le communautarisme qui vient


Migrants : le communautarisme qui vient

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La guerre, civile ou internationale, a été presque entièrement bannie de l’Europe. Ce progrès décisif de la civilisation est le fruit de la longue histoire des Européens. La bienveillance envers autrui recommandée par les morales grecques et romaines est devenue l’amour obligatoire du prochain que nous impose le christianisme. Celui-ci va jusqu’à nous ordonner d’« aimer nos ennemis », précepte antinaturel qu’on ne trouve dans aucune autre morale. Saint Paul affirme que devant Dieu il n’y a plus « ni homme ni femme », fondement, selon Chantal Delsol, du respect de la faiblesse physique des femmes, respect que les temps modernes ont transformé en exigence d’égalité (Chantal Delsol et Martin Steffens, Le nouvel âge des pères). Les Européens ont peu à peu « désensauvagé » leurs sociétés.

Les monarchies ont fait cesser les conflits féodaux, les Lumières ont entraîné l’émancipation des juifs par Napoléon, qui fut une décommunautarisation en bonne et due forme  (« Ne rien donner aux juifs comme nation, tout leur donner comme individus »). Nous avons obtenu ce miracle européen, tellement évident que nous n’en avons plus conscience : des sociétés sans communautés, des sociétés homogènes sur le plan civil, quoique diverses sur le plan linguistique, religieux, etc. Un Bavarois qui va à la messe et parle son dialecte n’hésitera pas à épouser une Hanovrienne protestante qui jargonne en plattdeutsch s’il en est amoureux. L’intermariage signe la fin des communautarismes.

L’Europe est un long effort pour venir à bout des conflits de toutes sortes, et cet effort a culminé à la fin du XXe siècle avec le bannissement des guerres internationales, du moins à l’ouest du continent. De ce long processus de mise à l’écart de la violence, nous sommes les filles et les fils. Un peu lâches, égoïstes et domestiqués, c’est vrai. Mais du moins l’idée ne vient pas à un propriétaire lésé par la loi Duflot d’aller faire exploser sa ceinture au milieu du groupe écolo de l’Assemblée Nationale ou à un éleveur limousin en colère de tirer à la kalachnikov dans les couloirs du ministère de l’Agriculture.

Et « eux » ? Le Moyen-Orient n’a pas connu cette inlassable pacification des rapports entre individus et entre groupes sociaux à fondement ethnique, religieux ou linguistique. Peut-être à cause d’une religion dominante qui met moins l’accent sur l’amour du prochain que le christianisme. Peut-être à cause de l’humiliation subie lors des colonisations ottomanes, puis européennes. De plus savants que moi trouveront la cause de cet état de fait évident : les communautarismes produisent des guerres en Syrie, en Irak, au Yémen et des violences presque partout ailleurs. L’Etat turc lutte à nouveau contre les Kurdes, les Coptes sont plus menacés que jamais en Egypte, les Chiites sont persécutés dans les Etats sunnites du Golfe et en Arabie Saoudite. Les chrétiens sont partout violentés, même sur les chemins de l’exil, même dans les foyers d’accueil allemands !

Les hommes nés dans la plupart des cultures du Moyen-Orient ne se sentent pas obligés de respecter la faiblesse physique des femmes, ils ne se sentent pas obligés de préserver la paix entre peuples, ethnies, et religions différentes. Les femmes obéissent aux hommes, et s’il se trouve des chrétiens à bord d’une embarcation qui vogue vers l’Europe, on ne se gêne pas pour les noyer. Chacun conçoit les représentants des autres communautés que la sienne comme des ennemis potentiels, non comme des frères à aimer. Un surmoi qui obligerait à vivre fraternellement avec les Autres ne s’est pas construit, et nous ne sommes coupables en rien de ce ratage proche-oriental.

Accuser l’Occident des malheurs de l’Orient (millième édition du sanglot de l’homme blanc que nous resservent les bonnes âmes, avec le méchant Bush et le méchant Sarkozy en semeurs de discorde chez les peuples arabes), ce n’est pas très sérieux et cela sert à éluder une question très gênante : que transportent au juste les migrants dans leurs sacs à dos ?

C’est simple : ils transportent leur culture, comme chaque être humain. Les Syriens installés dans la région de Montbéliard y formeront une nouvelle communauté se défiant des autres. A Audincourt, les Roméo d’origine turque et les Juliette d’origine syrienne auront bien du mal à braver l’hostilité de leurs familles et à se marier. Le Maghreb et le Machrek se rendront compte qu’ils ne parlent pas le même arabe, et ce sera une raison supplémentaire d’hostilité. Je gage, sans avoir de boule de cristal, qu’il y aura des mosquées syriennes et des mosquées maghrébines. Daoud Boughezala, dans un article passionnant mais quelque peu déprimant, vient de décrire sur Causeur la montée des communautarismes dans cette partie de la Franche-Comté. L’histoire occidentale les avait supprimés, ils reviennent dans les sacs à dos des migrants.

On voit ces derniers comme de pauvres victimes. Ils le sont assurément, mais ils sont aussi porteurs d’habitudes sociales qui ne sont pas les nôtres. A qui sera-t-il utile que l’Occident s’orientalise ? A qui sera-t-il utile qu’on vive à Montbéliard avec la même peur des déchaînements communautaires qu’à Alep ou à Baghdad ? A personne. Il faut donc avoir le courage cruel de refuser les migrants. Il faut refuser le déluge de bons sentiments, compréhensible chez les peuples, absurde chez les gouvernants. Ceux-ci doivent se guider sur la raison, la réflexion, et non sur l’émotion. Jean Raspail vient de déclarer au Point que les migrants doivent « se débrouiller » et on est tenté de lui donner raison. Le cynisme fait de meilleurs hommes d’Etat que la compassion. Chamberlain avait promis la paix et il a perdu. Churchill avait promis du sang et des larmes et il a gagné.

*Photo: Sipa: numéro de reportage: 00424240_000016



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est romancier et professeur de lettres agrégé.

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