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Mariage gay : les arguties du Conseil constitutionnel


Mariage gay : les arguties du Conseil constitutionnel

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Il ne sert à rien de « maudire ses juges », rappelait Beaumarchais. En revanche, rien n’interdit de jeter un regard critique sur leur jugement.  Par exemple, examinons comment le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 17 mai relative au « mariage pour tous », a écarté une question fort gênante qui l’aurait contraint à se heurter aux politiques en déclarant la loi non-conforme à la Constitution.
Parmi les règles formant ce qu’on appelle le « bloc de constitutionnalité », autrement dit, l’ensemble de normes suprêmes auxquelles les lois doivent se plier, figurent les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », une catégorie simplement mentionnée par le Préambule de la Constitution de 1946, à laquelle le Conseil constitutionnel a donné depuis 1971 une importance de premier plan, en déterminant lui-même les « principes » en question. Bref, en dégageant de nouvelles règles constitutionnelles s’imposant au législateur. C’est pourquoi les spécialistes se sont interrogés sur les contours, initialement très flous, de cette catégorie : dès 1972, le publiciste Jean Rivero publie une tribune où il prend le Conseil à parti : « Quels principes ? Quelles lois ? Quelles Républiques ? » Des questions qui virent bientôt à l’accusation lorsque d’autres universitaires stigmatisent des principes « à géométrie variable, au contenu élastique et aux effets aléatoires.[1. D. Lochak, « Le Conseil constitutionnel protecteur des libertés », Pouvoirs, n° 13, 1980, p. 37.]» Ce mouvement contraint le Conseil à lever le voile sur le mode de création desdits principes dans une décision du 20 juillet 1988, où il explique qu’il y a un principe fondamental reconnu par les lois de la République « quand ledit principe se fonde sur une législation précise et constante, adoptée sous l’une des Républiques ayant précédé la constitution de 1946, et qu’il se trouve doté d’un caractère obligatoire et général ».
Il y a donc trois séries de critères : le  fait de se fonder « sur une législation précise et constante », le fait que celle-ci  a été « adoptée sous l’une des Républiques ayant précédé la constitution de 1946 », et enfin, le fait que le principe ait « un caractère obligatoire et général ».  Trois critères, ni plus, ni moins. Lorsque l’un des trois fait défaut, le Conseil doit refuser d’y voir un principe : notamment, comme c’est le cas en 1988, lorsque la législation n’est pas « constante », ou qu’elle est assortie de dérogations importantes. Mais à l’inverse, lorsque les trois critères sont bien présents, le Conseil a l’obligation de reconnaître l’existence d’un de ces principes – sans quoi les critères en question n’auraient qu’une valeur indicative, le Conseil conservant toute liberté de les fabriquer selon son bon plaisir. Une situation inacceptable au regard du principe de « sécurité juridique » – sans même parler de l’atteinte au principe démocratique.
Or, c’est à une telle difficulté que se trouve confronté le Conseil avec la loi sur le mariage, puisque selon les requérants, « l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe méconnaît le principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme » – un argument auquel il est obligé de répondre, et qui semble imparable. En effet, au regard des critères précités, la définition du droit au mariage comme n’étant ouvert qu’aux couples de sexes différents constitue incontestablement un principe doté d’ « un caractère obligatoire et général », fondé sur une législation « précise et constante (…) adoptée sous l’une des Républiques ayant précédé la constitution de 1946 ». Le problème est donc simple : comme ne réussir à ne pas le reconnaître, ce qui obligerait à annuler la loi – et donc, à susciter l’ire de la majorité ?
Le Conseil, en l’espèce, va donc faire montre de rares talents de contorsionniste en se livrant à un double mouvement qui a pu échapper à la foule, mais que les connaisseurs ont apprécié à sa juste valeur. Un mouvement figurant dans le considérant 21 de sa décision : « si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 ».
Décomposons l’acrobatie : premier mouvement, le Conseil rajoute, de son propre chef, un quatrième critère, inédit, portant sur l’objet du « Principe fondamental » – lequel doit concerner « les droits et libertés fondamentaux », « la souveraineté nationale » ou « l’organisation des pouvoirs publics ». Où donc a-t-il « découvert », puisque tel est le terme consacré,  ce quatrième critère ? Nulle part, si ce n’est peut-être dans le proverbe selon lequel nécessité fait loi : en l’espèce, la nécessité d’éviter une non-conformité qui aurait fait si mauvais genre…. Mais cette opportune innovation ne suffit pas à balayer la demande du requérant. Le Conseil va donc se livrer, dans un second mouvement, à une interprétation non moins surprenante de la notion de « droits et libertés fondamentaux », puisqu’elle le conduit à déclarer que le mariage n’en est pas un.  Peu lui importe que l’article 12 de Convention européenne des droits de l’homme fasse du droit suivant lequel « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit » l’un des droits les plus essentiels et les plus intangibles ;  peu lui chaut que  l’article 23 du pacte international relatif aux droits civils et politiques précise dans son alinéa 2 que  « le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile. »  Que lui-même  ait déclaré, dans une récente décision[1. Décision n° 2010-92 QPC du 28 janvier 2011] – où il refusait du reste de reconnaître  l’inconstitutionnalité de la législation restreignant le mariage aux couples hétérosexuels – que « la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle, résulte des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 », semble plus délicat : puisqu’on voit mal comment la règle délimitant l’étendue d’une liberté ou d’un droit fondamental, autrement dit, déterminant la consistance de cette dernière, pourrait ne pas « intéresser les droits et libertés fondamentaux »… Certains diront que le Conseil a tout bonnement changé la règle du jeu en cours de partie, les mauvaises langues ajouteront qu’il n’est plus à cela près. Les autres salueront l’artiste…

*Photo : ActuaLitté.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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