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Liberté pour les ennemis de la Liberté !


Liberté pour les ennemis de la Liberté !

Jean-Marie Le Pen a raison. Vous avez bien lu. Alors que l’Elysée étudierait la possibilité de faire interdire par la justice les « listes antisionistes » concoctées par son ami Dieudonné pour les élections européennes, le patron du Front national a déclaré : « Les inconvénients de la censure sont plus graves que ceux de la liberté. » Au risque de servir sur un plateau à ceux qui aimeraient me faire pendre bien plus que les deux mots de ma main nécessaires à l’opération, je le répète : je suis d’accord avec Le Pen. Sur la conclusion en tout cas. Face à un Dieudonné, interdire ne sert plus à rien. Il faut l’affronter. À mots nus.

Je l’admets, le cas n’est pas simple. Interrogé sur Radio J, Claude Guéant a sobrement résumé le problème : « Peut-on se présenter aux élections avec un programme ouvertement antisémite ? »

La réponse semble s’imposer d’elle-même. Les « inconvénients de la liberté » sont évidents. La perspective d’un Dieudonné crachant librement sa haine d’Israël, sans doute devant quelques salles surchauffées, qui donneront, l’espace de la campagne, l’illusion qu’il dispose de puissantes divisions, est une perspective déplaisante. Il suffit de citer les propos de l’un de ses coéquipiers, le gracieux Yahia Gouasmi, pour se faire une idée de l’épreuve qui nous attend. Lors de la conférence de presse de lancement de la campagne, le 24 avril, M. Gouasmi expliquait : « À chaque divorce, moi je vous le dis, il y a un sioniste derrière. À chaque chose qui divise une nature humaine, il y a derrière un sionisme. C’est ce que nous croyons. Et c’est ce que nous allons démontrer. » Au terme de la campagne, il sera acquis, pour des milliers et, par la magie des médias, pour des millions de personnes, que l’on peut proférer de telles insanités et briguer les suffrages des électeurs. Comment les prohibera-t-on dans les salles de classe ?

Tout cela est vrai, mais Le Pen a raison : l’interdiction serait encore pire. À supposer d’ailleurs qu’elle soit prononcée. On peut imaginer qu’un tribunal juge que le « Parti antisioniste » est en parfaite conformité avec nos lois – lesquelles doivent bien avoir quelque chose à faire avec nos valeurs. L’antisionisme, qui a déjà cours des salles des profs aux cours de récré en passant par pas mal de rédactions, ferait ainsi son entrée en majesté dans le consensus républicain. Et moi, qu’il dissimule ou non de l’antisémitisme, l’antisionisme, ça ne me plaît pas. Parce qu’enfin, comme disait le Général, il faut vouloir les conséquences de ce que l’on veut. Concrètement, être « antisioniste », cela signifie que l’on souhaite soit la disparition d’Israël en tant qu’Etat juif, soit la disparition des Juifs de l’ensemble de la Palestine mandataire. Dans les deux cas, on a le droit de trouver ça moyen. Bref, je n’aimerais pas que la justice de mon pays dise « antisémitisme non, antisionisme oui », ce qui reviendrait à délivrer un permis de haïr Israël.

Il est vrai que le risque paraît faible, nos joyeux lurons ne prenant guère de précautions pour cacher que leur obsession israélienne est une obsession juive. Il est assez clair qu’ils la souhaitent ardemment cette interdiction, et ce seul fait devrait faire réfléchir tous ceux qui sont partis, sabre au clair et « heures les plus sombres de notre histoire » en bandoulière. Invité à commenter l’intervention de Guéant, Alain Soral, le troisième homme de cette aimable troupe, a répondu : « L’Etat se soumet au lobby sioniste. » Les mots sont peut-être pesés au trébuchet, mais on connaît la chanson.

Et pourtant, je n’en démords pas : Le Pen a raison. Supposons que les listes antisionistes soient interdites de scrutin par la justice pour cause d’antisémitisme avéré. Premier résultat, cela renforcera la conviction déjà fort répandue dans certains milieux que les juifs sont puissants, qu’ils tiennent les médias et la politique, jouissent de protections exorbitantes et que ces privilèges sont la première cause des malheurs du monde. Quant à tous ceux, bien plus nombreux, qui suivent ces polémiques de loin avec un agacement croissant, ils penseront paresseusement qu’après tout, « les juifs exagèrent et qu’on ne peut rien dire sur Israël sans être traité d’antisémite ».

J’imagine par avance les commentaires furibonds de ceux qui auront compris ce texte sans l’avoir lu. Que les autres ne se méprennent pas, je ne prône nullement le laissez-faire face à l’antisémitisme/antisionisme. Mais la question n’est pas seulement tactique, elle est existentielle pour nous tous, nous les Français civilisés comme disait l’autre. Déléguer à un tribunal, fût-il habilité à juger en notre nom, le soin de faire mordre la poussière à Dieudonné, c’est déserter le champ de bataille. Ne répliquons pas à la redoutable conjonction du ressentiment et de la sottise par une guérilla judiciaire, battons-nous avec nos armes à nous, l’intelligence et l’humour. Soyons plus drôles et plus malins qu’eux – c’est quand même pas difficile, merde ! Dieudonné et ses amis nous attaquent sur notre terrain, celui de la liberté. En leur interdisant le combat, c’est nous qui le perdrons.

Juin 2009 · N°12

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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