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Liban : vers la proportionnelle confessionnelle ?


Liban : vers la proportionnelle confessionnelle ?

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Au Liban, où la gestion de crise est un véritable mode de gouvernement, une proposition de réforme électorale fait couler beaucoup d’encre. À quelques mois des élections parlementaires, le Rassemblement orthodoxe, un groupe hétéroclite mené par un député baathiste, voudrait dynamiter le mode de scrutin en instaurant un vote à la proportionnelle pour chaque communauté au sein d’une circonscription unique, les druzes votant pour des druzes au plan national, les grecs-catholiques pour des grecs-catholiques, etc. Apprenons aux non-initiés que les députés libanais sont jusqu’à présent élus au scrutin majoritaire en fonction de leur étiquette confessionnelle et politique au sein de 26 circonscriptions régionales. Par exemple, la circonscription d’Aley, au centre du Liban, envoie 5 parlementaires à l’Assemblée, obligatoirement 2 druzes, 2 maronites et un grec-orthodoxe.

Dans une vidéo promotionnelle de son cru, le Rassemblement orthodoxe fait défiler plusieurs citoyens libanais chrétiens, qui avancent leur identité, leur confession et leur circonscription de rattachement. La première du lot, Mouna, se présente comme une électrice grecque-catholique d’Aley, qui ne s’estime pas représentée puisqu’elle ne peut désigner un député de sa confession. Idem pour la ravissante maronite Daniela, qui confesse ne jamais avoir voté de sa vie, sa circonscription de Zahrani désignant deux parlementaires chiites et un grec-catholique. Un voyage en Absurdie dixit le Rassemblement orthodoxe selon lequel « 50 000 électeurs chrétiens inscrits dans la circonscription d’Aley ne désignent pas un seul chrétien ». Conclusion : les abstentionnistes voteront le jour où ils se sentiront représentés à l’Assemblée Nationale libanaise ; la proportionnelle intégrale, c’est maintenant !

Ce serait aller bien vite en besogne. D’abord parce que cette campagne fait l’impasse sur une notion floue et ténue qui est censée cimenter l’ensemble des Libanais : le sentiment national. La Constitution libanaise définit en effet chaque député comme le représentant de la nation, malgré des modes de scrutin successifs qui flirtent allègrement avec le confessionnalisme et le néo-féodalisme des fiefs locaux.

En réduisant le mandat parlementaire à une représentation confessionnelle pure et dure, le Rassemblement orthodoxe a mis les pieds dans le plat du communautarisme libanais. Ce dernier s’appuie sur le principe d’une parité islamo-chrétienne – 64 députés « musulmans » incluant sunnites, chiites, druzes et alaouites contre 64 chrétiens des différentes Eglises – qui a cours depuis les accords de Taëf ayant soldé la guerre civile en 1989. Auparavant, du haut de leur piédestal démographique, les Chrétiens disposaient d’un ratio de 6 contre 5 au sein de la Chambre, conformément au dernier recensement officiel en date, une enquête de…1932 ! Aujourd’hui, les Chrétiens bénéficient d’une représentation parlementaire qui ignore superbement leur infériorité numérique au sein de la population libanaise, un secret de polichinelle devenu un authentique tabou à l’heure où les Chiites constituent, selon certaines projections démographiques, la première confession du pays. Malgré le soutien des principales forces chrétiennes et le ralliement des chiites Amal et Hezbollah, l’avenir de la formule orthodoxe semble compromis.

Tout simplement parce que toutes les institutions qui tiennent à peu près debout au Liban s’appuient sur le consensus. Or, s’il était adopté tel quel, le vote national-communautaire à la proportionnelle ruinerait les fiefs locaux. Si les communautés éparses comme les chrétiens melkites y gagneraient en représentativité, le groupe politique du druze Walid Joumblatt, qui bénéficie d’une rente dynastique dans le massif du Chouf depuis des siècles, perdrait la moitié de ses membres et dirait ainsi adieu à son rôle de faiseur de majorité. Quant à Saad Hariri, qui attire sur son nom 80% de l’électorat sunnite, il voit d’un très mauvais œil la perspective de refluer électoralement. Fort des 38 sur sièges acquis en 2009, son Courant du Futur perdrait mécaniquement des plumes en cas de refonte des circonscriptions. Preuve que le découpage actuel lui est favorable, sa coalition antisyrienne avait raflé la majorité parlementaire tandis qu’elle se révélait minoritaire en voix (45% contre 54% à l’alliance Hezbollah-Amal-Aoun) lors des dernières législatives.

Malgré ses déboires, la solution avancée par le Rassemblement orthodoxe a donc reçu l’approbation d’une large partie des factions chrétiennes, réalisant l’unanimité du Baath arabiste aux Forces Libanaises farouchement antisyriennes. Mais, y compris chez les partisans de la formule, on déplora la fossilisation politique qu’elle entraînerait en calquant les clivages idéologiques sur la carte du vote confessionnel. Or, le mouvement majoritairement chiite Amal envoie des députés chrétiens à l’Assemblée pendant que le Parti Socialiste Progressiste du druze Walid Joumblatt se fait fort de dépêcher des représentants sunnites dans le même conclave et que le CPL de Michel Aoun peut se targuer d’avoir un député chiite. Le maillage confessionnel ne recoupe donc pas entièrement la carte électorale, ce qui explique la vive opposition des députés chrétiens indépendants à la formule orthodoxe tant ceux-ci craignent que la logique confessionnelle ne leur revienne en pleine face comme ces jouets d’enfant dotés d’un diable en ressort.

Que le statu quo ante prévale ou non, le dessein d’une nation déconfessionnalisée[1. Le préambule de la Constitution libanaise fait officiellement du système confessionnel un régime provisoire.] n’est néanmoins pas pour demain à l’heure où les Libanais cherchent l’équation communautaire « la moins pire », sinon la meilleure. Du devenir de l’ancienne « Suisse du monde arabe » dépend potentiellement l’avenir d’Etats atomisés par les clivages politiques, confessionnels et ethniques, en quête de la formule magique pour chasser le mistigri de la discorde tout en s’arrachant à l’autoritarisme jacobin d’une élite prédatrice. Plus qu’un spectre à conjurer, la fameuse « libanisation » est peut-être la solution introuvable qui réconciliera le monde arabe post-révolutionnaire avec le pluralisme…

*Photo : chadinleb.



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