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L’homme, une erreur de casting


L’homme, une erreur de casting

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La télévision a sa petite idée sur ce qu’est un homme, ou en tout cas sur ce qu’il devrait être. Très terne.

Il y a une quinzaine de jours, en allumant la télé, je suis tombé sur une émission de télé-réalité. Ça m’a tout de suite intéressé. Elle présentait des agriculteurs célibataires qui devaient sélectionner des « prétendantes ». Tous semblaient bien contents qu’on amène à chacun, sur un plateau, une dizaine de femmes ! Joyeux comme des enfants ! Ils n’avaient plus qu’à choisir, croyaient-ils. À vrai dire, tout le monde avait l’air optimiste. Hommes et femmes croyaient fermement à l’amour romantique. Leur capacité à aimer paraissait intacte. Le bonheur semblait donc à portée de main.

Tout a commencé à se gâter au fromage. Un homme et une femme sont entrés, pour un premier tête-à-tête, dans un beau restaurant. Ils semblaient éblouis par le choix de la production. Surtout lui, qui marchait derrière.[access capability= »lire_inedits »] Un premier drame a failli se produire au moment où il s’est baissé pour s’asseoir. Le serveur, pensant l’aider, a brusquement tiré son fauteuil en arrière. C’était peut-être un gag prévu par les organisateurs ! Mais j’ai vu la femme se rembrunir. Elle commençait à avoir des doutes sur l’agriculteur. Elle lui a demandé s’il allait souvent au restaurant, si c’était important, selon lui, d’y amener une femme régulièrement, à quelle fréquence précisément ils s’y rendraient, au cas où ils feraient affaire tous les deux. J’ai compris qu’il commençait à perdre pied quand il a dit : « Dans l’agriculture, avec les bêtes, il y a du travail tout le temps. » Je crois qu’il s’appelait Albert ou peut-être bien Gérard. Disons Gérard ! Je ne me souviens plus vraiment des détails. Je mélange sûrement avec d’autres émissions. En tout cas, je m’identifiais à ce pauvre Gérard.

Une table ronde très encombrée séparait les deux convives. De petite taille, tassé dans un fauteuil excessivement moelleux, Gérard regardait cette femme en contre-plongée et il peinait à l’entendre. Les serveurs ont apporté des buissons de crustacés. Elle a répété une question : « Gérard ! Est-ce que tu as bien réfléchi à ce que tu peux apporter à une femme ? » Il a hésité. Puis il a tenté, goguenard : « Eh bé ! C’est pas bien difficile ! » Il pensait être tiré d’affaire. Mais elle s’est mise à lui poser des questions de plus en plus détaillées et insistantes. Elle le regardait fixement. Ses sourcils étaient épilés et remplacés par des traits noirs en forme d’accent circonflexe. La conversation entre Gérard et cette femme virait à l’entretien d’embauche. Gérard perdait pied. Il coulait à vue d’œil. C’était flippant.
Tout à coup, il s’est affaissé sur le côté. « Il se passe quelque chose », a exulté la commentatrice. La caméra s’est avancée et a zoomé sur Gérard qui cachait son visage sous une serviette. Il était agité de soubresauts. On a compris qu’il sanglotait comme un enfant. La scène a été coupée là. On est passé à la pub. D’abord des voitures. Ensuite des gâteaux secs. Puis un clip a évoqué avec beaucoup de tact l’existence de nouveaux traitements contre l’impuissance. L’émission a repris avec le débriefing des protagonistes. La scène se situait quelques jours après ce dîner calamiteux. Gérard avait retrouvé sa bonne humeur. Il était avec ses potes. Tous ensemble, ils buvaient des canons et jouaient aux cartes. Gérard a reconnu sportivement qu’il avait loupé son coup, mais il n’en faisait pas un drame. La femme aux sourcils épilés s’est exprimée à son tour. Elle a méthodiquement dressé la liste des qualités qu’un homme doit réunir pour être utile à une femme. En effet, insistait-elle, l’homme doit être utile à la femme, car trop longtemps ça a été le contraire. Il n’était plus question, à ce stade de l’émission, d’amour « romantique ». D’autres prétendantes sont intervenues au sujet de leurs dîners respectifs. Les avis concordaient. Dans un nombre de cas limité, c’était vrai, certains hommes pouvaient les faire vibrer. Mais ce que ces prétendantes attendaient unanimement en matière de compagnon, c’était quelqu’un « qui participe », « qui partage », « un homme sur qui compter ». Elles ne voulaient pas « un enfant de plus ». Elles disaient toutes cela, même celles qui envisageaient d’avoir des enfants, des vrais. Cette expression est revenue plusieurs fois pour définir l’homme idéal : IL N’EST PAS UN ENFANT DE PLUS. Ça m’a fait mal, car ce qui me plaît le plus, justement, ce sont les enfantillages ! L’insouciance ! L’inattendu ! La belle vie !
Quelques jours après, j’ai vu une autre émission consacrée à la vie de couple. La question de l’utilité effective de l’homme revenait sans arrêt. Je me souviens, en particulier, d’une certaine Marina qui gagnait deux fois plus que son Thierry. Ils étaient au bord de la séparation. Pour « sauver son couple», Marina a proposé à Thierry de se porter volontaire pour un projet test : rénover la salle de bains. Ça n’avait pas l’air de l’emballer, mais il a accepté. Dans une autre famille, Philippe était chômeur. Ses indemnités excédaient le salaire de Nathalie, mais il se sentait dévalué. La situation semblait sans issue, mais il a eu, de lui-même, une idée : « se lancer dans des travaux de jardinage pour reconquérir le cœur de Nathalie ».

Certaines femmes faisaient preuve d’une détermination stupéfiante. Je me souviens, notamment, d’une certaine Valérie qui s’exprimait en tenue de jogging. Elle a expliqué pourquoi la question du partage des rôles revêtait pour elle une importance cruciale. Il s’agissait d’une affaire remontant à son enfance. Chez ses parents, quand elle était petite, sa mère faisait tout, mais c’était son père qui choisissait le programme télé. Tous les soirs, western ! L’épouse apportait des steaks-frites, ou des plats de ce genre, puis elle regardait le film avec son mari. Mais, d’après Valérie, ce n’était pas normal. Sa mère n’aurait pas dû accepter tant de machisme. Avec un homme, d’après elle, il faut être « cadrante ». D’ailleurs, elle a souvent dit à sa mère qu’elle aurait dû divorcer. Pourtant, ça faisait de la peine à cette femme d’entendre ce genre de reproche venant de sa fille. Mais Valérie aime le parler-vrai. Et elle ne voulait pour rien au monde avoir une vie comme celle de sa mère. Dans son couple, c’était elle qui tenait la zappette, et elle était bien décidée à ne pas la lâcher. Beaucoup d’autres témoignages allaient dans le même sens. La question du partage des rôles et des tâches est un point névralgique pour de nombreux couples. Certains hommes jouent le jeu, d’autres rechignent.

On a quand même l’impression que les choses avancent. Qui s’en plaindrait ? Cependant, le diable se loge dans les détails, surtout dans les détails du quotidien. L’accumulation de prescriptions génère parfois de la tristesse. En mettant l’accent sur les services attendus et les fonctions à remplir, on peut laisser au second plan ce qui fait le sel d’une relation. L’homme utile n’est pas forcément un individu attirant. Les trop bons élèves peuvent devenir des êtres ternes, de gentils toutous, voire de pauvres types. En résumé, il y a un peu de morosité dans l’air. On peut dire que parfois, pour les hommes, ce n’est pas si facile. Et en prime, très ennuyeux pour les femmes.[/access]

Novembre 2013 #7

Article extrait du Magazine Causeur



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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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