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Les trains qui arrivent à l’heure, ça c’est de l’info


Photo : ɹǝʇǝd.

C’est pas pour me vanter mais je crois avoir résolu une énigme aussi épaisse que celles du Masque de fer et du Vase de Soissons. Pourquoi la presse s’obstine-t-elle à parler des trains qui n’arrivent pas à l’heure ? D’abord, c’est objectivement plus compliqué puisqu’il faut leur courir au train, à ces trains, et que l’incertitude empêche le malheureux journaliste lancé à leurs trousses d’assumer loyalement sa part des tâches ménagères ou d’honorer régulièrement le couscous de vendredi soir chez belle-maman. Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, les événements mettent un point d’honneur à surgir n’importe quand, avec une préférence vicelarde pour le soir, le week-end et le mois d’août. De surcroît, la préférence médiatique pour les trains qui n’arrivent pas à l’heure est l’un des principaux griefs que le public adresse à une profession accusée de saper le moral des troupes en passant sous silence tout ce qui va merveilleusement bien dans le pays ou dans le monde.

Il serait donc à la fois plus facile et plus gratifiant, pour les journalistes, de se concentrer sur les trains qui, en nombre infini, arrivent à l’heure. Pas besoin de visa, ni même d’un ticket de RER, il suffit de regarder autour de soi : chaque jour, des centaines de filles ne sont pas violées, des milliers d’écoles ne sont pas brûlées et des millions de gens ne sont pas licenciés. Et pourtant, ça continue. Dans la presse, il n’y en a que pour les catastrophes, conflits, crimes et autres plans sociaux. Il est possible, bien sûr, que le journaliste soit le seul animal à manifester systématiquement et simultanément des tendances sadiques et masochistes – les premières l’incitant à torturer ses contemporains à coup de mauvaises nouvelles et les secondes à se faire détester d’eux. Sinon, je ne vois qu’une seule explication à cette prédilection: rien n’est plus soporifique et, osons le mot, plus emmerdant, que les trains qui arrivent à l’heure. La preuve nous en a été administrée ce week-end.

Sobrement qualifié de « big bang », le nouvel horaire de la SNCF a relégué au second plan les malheurs de l’euro, les caisses du PS la crise conjugale franco-allemande. Vendredi, un Guillaume Pepy frais et fringant annonçait au bon peuple que tout se passerait bien. Et depuis dimanche soir, épuisé mais soulagé, il répète en boucle que tout s’est bien passé. Entretemps, parce qu’il ne faut pas abuser des bonnes choses, on a abondamment entendu des cheminots énervés et des usagers en colère se plaindre de l’absence de con-cer-ta-tion. Nous allons accepter sans moufter ou presque de renoncer à notre souveraineté budgétaire sans être consultés, mais nous entendons bien donner notre avis sur l’indicateur des chemins de fer.

Je sais, il s’agit de la vraie vie des vrais gens : il est bien fâcheux que la petite dame du nord n’ait plus qu’un train par heure au lieu de deux. Et je suis bien désolée pour ce couple qui avait choisi un pavillon à cinq minutes d’une gare TGV et qui se retrouve à trois heures de micheline de la sous-préfecture la plus proche. Il me semble malgré tout que l’espèce qui a gagné le pompon de l’Evolution devrait être capable de s’adapter à ce genre de désagrément. Ou alors, fallait s’arrêter à la machine à vapeur, on n’aurait jamais eu besoin de moderniser les voies. Pour ma part, alors que je trouve affreusement compliqué d’organiser une réunion de quatre personnes, j’admire que l’on parvienne à synchroniser des milliers de trains circulant entre des milliers de gare. Après tout, je comprends que de son pavillon désormais perdu au milieu de nulle part, Madame Dugenou voie les choses différemment. Et je note que les voyageurs déboussolés n’ont même pas eu droit à une cellule d’aide psychologique, c’est un comble.

Quoi qu’il en soit, les trains sont arrivés à l’heure et cela a été l’événement du week-end.
Il y a deux siècles, Kant célébrait la prise de la Bastille en modifiant l’immuable itinéraire de sa promenade quotidienne. Aujourd’hui, le peuple français est prêt à faire la révolution parce qu’on lui change ses horaires de train. Le Nullepart-Trifouilly de 6h24 est un droit de l’homme. Alors vous, je ne sais pas, mais moi ce week-end de trains arrivés à l’heure m’a épuisée. Pitié, parlez-moi de ce qui rate, de ce qui déconne, de ce qui échoue, de ce qui s’enlise. Parce qu’encore deux jours à ce régime et je fais exploser un caténaire. Comme ça, les confrères auront des trains en retard à se mettre sous la dent.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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