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Les juifs de France et la gauche


Les juifs de France et la gauche
Assiette en procelaine à l'effigie de François Mitterand, détail d'une vitrine. Photo AmerigoLand, flickr.com
Assiette en porcelaine à l'effigie de François Mitterrand, détail d'une vitrine. Photo AmerigoLand, flickr.com
Assiette en porcelaine à l'effigie de François Mitterrand, détail d'une vitrine. Photo AmerigoLand, flickr.com

Ces dernières semaines, les gazettes se sont intéressées au renouvellement du comité directeur du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Le Journal du Dimanche, suivi par Le Monde ont pointé du doigt une « droitisation » de la communauté juive organisée. Celle-ci se traduirait par la brillante élection de l’avocat Gilles-William Goldnadel, et la réélection plutôt poussive des membres de ce comité marqués à gauche, comme l’ancien président de l’UEJF Patrick Klugman, aujourd’hui conseiller de Paris (PS) ou Gérard Unger, un proche de Laurent Fabius.

Le propos de ces analyses est limpide : démontrer la tendance au « repli communautaire » des responsables associatifs juifs rassemblés au sein du CRIF. Dans la foulée, les mêmes commentateurs font le lien entre la cuisine interne de cette organisation, et l’exclusion des représentants du PC et des Verts du fameux repas annuel du CRIF, où les personnalités politiques de premier plan, de droite comme de gauche, ont coutume de participer, en dépit de la médiocre qualité de la nourriture[1. Cette remarque gastronomique se fonde sur mon expérience des années 90, où je participais régulièrement à ces agapes. Les choses se sont peut-être améliorées depuis.].

Outre que l’on n’avait pas, sous la plume de ces mêmes analystes ou de leurs prédécesseurs, pu lire naguère d’éloges dithyrambiques du CRIF lorsqu’il était dirigé par des personnalités plutôt marquées à gauche, comme Théo Klein ou Henri Hajdenberg, on pourra objecter qu’à leurs yeux, le soutien à Israël constitue un incontestable marqueur de droite. Et inversement, la critique systématique, voire obsessionnelle, de la politique israélienne vaudrait certificat d’appartenance à la gauche. Ainsi, hormis son activité d’avocat poursuivant ceux qu’il considère comme des antisémites (Dieudonné) ou des détracteurs d’Israël ayant à ses yeux franchi la ligne rouge (Edgar Morin et consorts)[2. On peut, comme moi, ne pas être totalement d’accord avec cette judiciarisation de la lutte contre l’antisémitisme et la diffamation d’Israël, mais cela est un autre débat.], il ne me semble pas avoir entendu Gilles-William Goldnadel participer de manière active au débat politique franco-français. Pas plus que le président du CRIF Richard Prasquier, d’ailleurs, à moins que l’on ne considère qu’habiter Neuilly-sur-Seine vaut une inscription d’office à l’UMP…

Quant à la non-invitation à dîner de Marie-Georges Buffet, Cécile Duflot ou Olivier Besancenot, on peut comprendre, sinon excuser qu’une organisation se refuse à servir d’amphitryon à des gens qui ne cessent de lui cracher dessus. J’exagère ? A-t-on entendu Cécile Duflot désavouer la sénatrice verte Alima Boumedienne-Thiéry qui s’est affichée récemment en Sorbonne avec les représentant du Hamas et du Hezbollah ? Faut-il faire le baise-main à une secrétaire générale du PCF qui soutient le boycott des produits israéliens ?

Si c’est se « droitiser » que de considérer que ces formations politiques ne méritent pas plus que le Front national de se prévaloir d’une amitié avec la communauté juive de France, alors va pour la droitisation. Par ailleurs, l’injonction faite aux représentants de la communauté organisée de prendre leurs distances avec les gouvernements israéliens qui se sont succédé ces dernières années n’a aucune raison d’être : cette critique est menée par les Israéliens eux-mêmes dans le cadre du débat démocratique interne à cette nation. Si Israël était un pays totalitaire à la manière de l’URSS d’hier, on pourrait à bon droit reprocher à ses soutiens français de cautionner par leur silence des pratiques inacceptables. Et comme l’a dit Hillel :  » Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? ».

Cela dit, la désaffection des juifs d’aujourd’hui pour la gauche est un phénomène que la «sociologie spontanée » pratiquée au café du commerce casher ne manque pas de souligner, soit pour le déplorer, soit, au contraire pour s’en réjouir.

Où sont passés les gros bataillons de juifs communistes lecteurs, jadis de la Naïe Presse en yiddish ? Que sont devenus les  » bundistes » de la rue René Boulanger et du cercle Gaston Crémieux ? Bien sûr, le Cercle Bernard Lazare et l’Hachomer Hatzaïr existent toujours comme lieu de rassemblement de la gauche sioniste française, mais ce n’est pas leur faire injure que de constater leur perte d’influence au sein de la communauté.

Si l’on essaie d’aller un peu au-delà de cette sociologie spontanée, et qu’on a la curiosité de consulter les études de sociologie consacrées à ce sujet, on découvre que le comportement politique des juifs de France est banalement déterminé en première instance par le statut social. En gros, les riches votent à droite et les pauvres à gauche. En dépit du tabou français sur les statistiques ethniques, deux éminentes sociologues, Dominique Schnapper et Hélène Strudel l’on démontré de manière brillante dans un article paru en 1983.

Lorsque dans la première moitié du 20ème siècle, les juifs d’Europe orientale fuyant la misère et la persécution trouvent refuge en France, ils ne vont pas s’installer directement dans le XVIème arrondissement. Ce petit peuple d’ouvriers et d’artisans se retrouve mêlé au Paris populaire, celui qui vote « rouge » et vomit le bourgeois. Pourquoi aurait-il adopté un comportement électoral différent de celui de ses voisins de palier, d’autant plus que l’antisémitisme était alors massivement présent dans le « peuple de droite » ?

Quant aux « israélites français », hormis une partie des intellectuels juifs dont Lucien Herr et Léon Blum sont les exemples les plus emblématiques, ils se comportent comme leurs équivalents de la bourgeoisie goy, à la différence près qu’ils manifestent un républicanisme intransigeant par fidélité à ceux à qui ils doivent leur émancipation.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Les enfants de prolétaires juifs polonais sont devenus professeurs, avocats, hommes d’affaires et la communauté juive de France a été profondément marquée par l’arrivée massive des juifs d’Afrique du Nord au début des années 60. Ces derniers, traumatisés par leur arrachement forcé à la terre de leurs ancêtres, n’adhéraient pas spontanément à une gauche rendue responsable, avec de Gaulle, du « bradage » de l’Algérie française. Peu à peu, leur comportement électoral s’est  normalisé et tend à rejoindre celui de l’ensemble de la population, à la notable exception du vote Front national, même si quelques juifs ont été mis en avant par Le Pen.

La surreprésentation des juifs français dans les milieux intellectuels : université, presse, édition, traditionnellement orientés majoritairement vers la gauche a produit un effet acoustique pervers. Le bruit de leurs interventions publiques a donné l’impression que les juifs français échappaient au déterminisme de classe pour régler leur comportement politique sur des valeurs. Le couple Badinter en est l’illustration : l’avocat d’affaires, époux de l’héritière d’une des plus belles fortunes de France sont d’incontestés icônes de la « gauche morale ».

Mais cela n’invalide pas les résultats obtenus par les tâcherons de la sociologie de terrain : le vote juif n’en est pas un, ou alors à la marge.

Un bobo juif est bobo avant d’être juif. À Paris, il votera Delanoë comme ses copains, ou peut-être même écolo en oubliant que l’arbre Cohn-Bendit, « modéré » sur la question du Proche-Orient cache une forêt d’antisionistes rabiques peints en vert.

Ceux qui soutiennent la thèse de la « droitisation » des juifs de France mettent en avant l’itinéraire de quelques personnalités hyper-médiatisées, comme Alain Minc, André Glucksmann, Bernard Kouchner ou Alain Finkielkraut pour transposer en France le modèle américains des « neo-cons » juifs venus de la gauche et parfois de l’extrême gauche pour se faire les idéologues de George W. Bush.

C’est le procès qui fut fait, par exemple à la revue Le Meilleur des mondes aujourd’hui en sommeil, par la gauche bien-pensante, celle du Nouvel Obs notamment. Si cette estimable revue, à laquelle je m’honore d’avoir contribué, souffre aujourd’hui de langueur, c’est justement parce qu’elle n’a pas voulu rompre totalement les ponts avec une gauche qui joue encore le rôle de surmoi pour certains de ses animateurs, notamment les plus jeunes, qui ne sont pas passés par la case antitotalitaire. Le ralliement de quelques personnalités pipolisées à Nicolas Sarkozy ne marque pas la montée en puissance d’un courant « bushiste » français, pour l’unique et simple raison lapallissienne que la France n’est pas les Etats-Unis. Sa responsabilité réduite dans la conduite des affaires du monde ne favorise pas l’émergence d’idéologies politiques à vocation universelle, si l’on excepte la persistance d’un droit- de-l’hommisme bien fatigué.

D’autre part, on constate une radicalisation gauchiste des juifs dits « antisionistes » qui se retrouvent à Europalestine ou l’UJFP, ceux que Shmuel Trigano nomme les « alterjuifs ». Entre eux et la masse du peuple juif de France, viscéralement attachée à Israël, mais ne se déterminant pas politiquement sur ce seul critère, il n’y a rien. Le vacarme qu’ils produisent est inversement proportionnel à leur influence, mais ils sont les chouchous des médias qui veulent entendre dit par un juif ce qu’ils n’osent pas affirmer directement.

Ah, j’allais oublier. Il existe bien un vote juif français, mais en Israël, où ils sont près de 150 000 binationaux à faire la queue devant les consulats lors de chaque présidentielle. En 1981, ils ont voté à 75% pour François Mitterrand contre Giscard d’Estaing. En 2007, ils furent plus de 80% à préférer Nicolas Sarkozy à Ségolène Royal. On n’a pas besoin d’aller chercher bien loin les motivations de ce vote, mais il serait pour le moins abusif d’en tirer argument pour enfoncer le clou de la « droitisation » des juifs de France.



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