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Le machisme ne passera pas !


Le machisme ne passera pas !

« Un jour, j’ai réalisé que Dom Juan n’était pas vraiment la pièce que j’avais envie de mettre en scène. Mais, comme un sursaut créatif, l’idée d’adapter Don Quichotte m’est apparue (…) l’intuition était là. » (Irina Brook)

Parfois, il est inutile de commenter. Et puis, on ne peut pas s’en empêcher. Au cours de l’interview parue dans le JDD du 12 avril, l’artiste s’explique : en relisant Dom Juan, elle s’est aperçue que la pièce « ne montrait que des femmes qui souffraient ». Et ça, c’est pas possible. Les femmes qui souffrent : critère suprême. Exit Dom Juan.

Il y a encore quelques années, on montait Dom Juan justement pour en souligner la nature abjecte, la noirceur, pour le renvoyer au banc des accusées de l’histoire de l’oppression féminine (entre autres). Le grand seigneur méchant homme était caricaturé, grossi, mais au moins il existait. Autrement dit le passé existait encore, il servait même de repoussoir : voyez comme cet affreux bonhomme incarne la bassesse, le machisme, l’injustice des siècles passés ! Voyez, public, cet affreux mâle méprisant, sur de lui et dominateur du passé, voyez d’où nous revenons ! Ainsi Ariane Mnouchkine nous avait-elle dépeint Molière et son temps : époque barbare, où régnaient le manque d’hygiène, le machisme, l’injustice sociale, et où ce sublime jeune homme, mi-Jésus mi-Cat Stevens, se rebellait contre le « système » avant de devenir lui même un affreux jojo tyrannique et jaloux… La vision était controversée, gauchie, mais – outre l’interprétation magnifique des acteurs et la beauté des images – elle avait le mérite d’exister… Molière, Dom Juan, même combat : affreux certes, mais vivants.

Un pas vient d’être franchi : Dom Juan ne devrait pas avoir existé. On ne peut pas mettre en scène une pièce qui montre autant de femmes qui souffrent. Exit l’histoire ! (Don Quichotte, lui, ne fait souffrir personne, c’est un héros sympa : il est poétique, presque victime de ses rêves, il souffre, mais c’est un homme, et puis comme c’est un roman, on y choisit ce qu’on veut…)

Il est vrai que cette pièce, la plus énigmatique de son auteur, présente un redoutable défi : Molière (l’affreux machiste qui empêcha Armande Béjart de s’épanouir et la quitta pour sa nièce) refuse de prendre véritablement parti. Boulevard de liberté pour le metteur en scène… et occasion en or, maintes fois exploitée. Dom Juan n’est pas un caractère lisible, et c’est précisément cette opacité qui rend le texte mystérieux, inclassable, étrange. En tout état de cause, au cours de la pièce, toutes ses tentatives de séduction échouent ! Charlotte lui échappe, Elvire le sermonne, son père le renie, il ne séduit aucune proie et, même face au mendiant refusant de nier sa foi, il doit baisser les armes… ainsi va-t-il d’échec en échec, jusqu’à sa mort. Nuance, donc.

Quand bien même Dom Juan serait le mal absolu, faut-il cesser de le représenter pour qu’il cesse d’exister ? Comment va-t-on éduquer les jeunes filles ? Exit Barbe bleue et Valmont, bientôt. Faudrait pas donner des mauvaises idées aux garçons…

Dom Juan ou Le Festin de pierre

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Mai 2009 · N°11

Article extrait du Magazine Causeur



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Charlotte Liébert-Hellman est éditeur.

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